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1 - contexte britannique de la nomination 2 - le rapport 3 - les études 4 - historiographie On peut considérer la nomination de Durham comme une victoire des Radicaux en Angleterre (NEW,1939:126). Avec le Reform Bill de 1832, Durham sert en quelque sorte de porte-parole des Radicaux et défend les mêmes vues qu’eux. Le Bill en question permit de doubler le nombre de votants en Angleterre et limitait de beaucoup le pouvoir aristocratique. Il limite aussi sur le pouvoir du roi, qui ne pouvait plus renvoyer et manipuler à sa guise le gouvernement. Dans un point de vue libéral, c’était une victoire de la liberté et de la démocratie. La situation politique d’alors est tendue, le gouvernement Whig a une faible majorité face aux Tories, si les Radicaux font front commun avec les Tories contre les Whigs, ceux-ci pourraient être renversés. La politique Whig est donc l’apaisement des Radicaux par la nomination d’un défenseur farouche du Reform Bill sur la question des colonies d’Amérique du Nord (NEW,1939:122). En même temps, Durham est tenu à l’écart et occupé. Les Radicaux avaient pris position avec les Patriotes. Roebuck, agent de l’assemblé du Bas-Canada, veut identifier la lutte des patriotes avec celle des Radicaux anglais (LAPORTE,1998:51). La question canadienne devient donc un point de litige important au sein du gouvernement britannique puisque c’est sur cette question que le gouvernement risque le plus d’être renversé (NEW,1939:125). Certains historiens considèrent la question comme étant plus un prétexte pour la politique intérieure en Angleterre qu’un lien véritable et durable avec le parti patriote (LAPORTE,1998:58). Dès le retour de Durham de son poste d’ambassadeur de Saint-Pétersbourg, il est utilisé par le gouvernement Whig pour calmer et se rallier les Radicaux. Par la même occasion, le gouvernement est content de voir Durham loin de l’Angleterre (NEW,1939:.126). La peur de voir un gouvernement de Whigs de gauche, aussi appelés durhamistes, et de Radicaux avec Durham à la tête pousse le gouvernement à l’éloigner tout en lui donnant un rôle prestigieux. De cette façon tout le monde est satisfait puisque le défenseur de la liberté pour les Radicaux s’occupe de la question canadienne et laisse tranquille l’esprit des Tories et des Whigs conservateurs. La situation après l’insurrection de 1837 semble toute indiquée pour faire l’affaire de tous et Durham est envoyé avec des pouvoirs extraordinaires dans le but de découvrir la raison du soulèvement. Ce n’est qu’une fois désavoué par le gouvernement britannique sur l’affaire des exilés aux Bermudes qu’il décide d’écrire son rapport, chose qui n’était pas prévue. Durham arrive donc en Amérique du Nord pour comprendre et régler les problèmes qui ont causé les troubles de 1837. En fin politicologue qu’il est Durham reconnaît de graves erreurs dans la constitution de 1791. « […] the original and constant source of the evil was to be found in the defects of the political institutions of the province; that a reform of the governement would remove all causes of contest and complaint. […] The tranquility of each of the North American Provinces was subject to constant disturbance from collision between the executive and the representatives of the people. […] The common quarrel [dans toutes les colonies] was the result of some defect in the almost identical institutions of these provinces. […] There had existed in the constitutions of the province […] defects that were quite sufficient to account for a great degree of mismanagement and disatisfation. » (LUCAS,1912,vol.2:15-16) C’est, pour plusieurs, un gouvernement responsable que réclame Durham; même si tout ce qui est politique extérieur est entre les mains de la mère patrie. Durham croit que c’est en renforçant le pouvoir du gouvernement colonial que le problème trouvera solution. C’est en se basant sur les institutions de l’Angleterre que les problèmes canadiens seront résolus. Il faut aller jusqu’au bout de la représentativité que promettait la constitution de 1791; un pouvoir représentatif du peuple. (LUCAS,1912, vol.2:277-278) Il est à noter pourtant que Durham voit dans la lutte entre l’exécutif et les représentants un conflit national. Dans cette optique, le conflit politique n’est qu’un prétexte pour une lutte de race. « I expected to find a contest between a government and a people : I found two nations warring in the bosom of a single state : I found a struggle, not of principles, but of races; and I attempt any amelioration of laws or institutions until we could first suceed in terminating de deadly animosity that now separates the inhabitants […] » (LUCAS,1912,vol.2:16) . Pour Durham, la seule façon de régler le problème est d’éliminer une fois pour toutes la question raciale; éliminer une des deux. En tant qu’Anglais, Durham ne peut qu’opter pour la nationalité britannique. Il est vrai qu’au XIXe siècle l’Angleterre est une puissance mondiale. La révolution industrielle est en avance sur l’Europe et le monde. C’est l’époque de l’apogée de la puissance et de l’hégémonie britannique; un empire sur lequel le soleil ne se couche jamais. Donc, face à ces fiers Anglais, les Canadiens-français font bien piètre figure. Français d’ancien régime, ils sont rétrogrades et manquent de tout ce qui fait avancer une nation. Ils ont hérité d’un caractère apathique à cause des institutions despotiques de la Nouvelle-France. « The institutions of France, during the period of the colonization of Canada, were, perhaps, more than those of any other European nation, calculated to repress the intelligence and freedom of the great mass of the people. » (LUCAS,1912,vol.2:27). Durham partage l’idée de plusieurs libéraux de l’époque : a savoir qu’un peuple ne peut s’élever que dans des institutions démocratiques. Lui-même ne cache pas son mépris envers Canadiens-français : « […] accustomed to form a high estimate of their own superiority, they [les Anglais] take no pains to conceal from others their contempt and intolerance of their usages »(LUCAS,1912,vol.2:38). La race française en Amérique est vouée à une infériorité chronique, que ce soit par rapport aux colonies anglophones ou aux États-Unis. C’est d’une certaine façon une faveur qu’il rend au Canadien-français en leur offrant une nationalité britannique. Soutenir et encourager leur nationalité serait une erreur. L’état des choses pousse inévitablement les Canadiens français à être soumis aux Anglais. Ce sont eux qui ont développé et entretenu le commerce sur le Saint-Laurent. Laisser s’épanouir une nationalité qui pourra un jour fermer l’artère commerciale aux Anglais est impensable pour Durham. « The question is, by what race is it likely that the wilderness wich covers the rich and ample sourrounding the comparatively small and contracted districts in wich French Canadians are located, is eventually to be converted into a settled and flouridhed contry ? ». (LUCAS,1912,vol.2:290) La réponse est : la race anglaise; par sa supériorité dans les affaires. La race canadienne française n’a aucun avantage à rester comme elle est; en revanche, c’est tout à son intérêt de devenir anglaise. Pour Durham, elle est appelée à disparaître. L’union législative semble la meilleure façon d’assimiler la nationalité canadienne française; l’immigration britannique finira de la noyer. L’amélioration des services offerts aux immigrants est à la fois pour cette raison et le peuplement du territoire. Le plan de Durham est donc d’assimiler pacifiquement les Canadiens français et ensuite de réformer les institutions coloniales. Pour étudier les différents problèmes et possibles réformes, il nomme des commissions d’enquête. Le système de tenure et de distribution des terres, l’immigration, les institutions municipales et l’éducation sont étudiés. Charles Buller est chargé d’enquêter sur le système de distribution des terres et de l’immigration. Il constate plusieurs lacunes dans la tenure au Bas-Canada. Charles constate que la gestion actuelle des terres n’encourage pas l’immigration. Le manque de pouvoirs locaux pour la distribution et la gestion des terres est un problème important (LUCAS,1912, vol.3:51). Pour l’instant, tous les titres sont fournis par le gouverneur à Québec et cause plus de soucis aux éventuels acheteur que le fait de s’approprier la terres et compter sur la négligence du gouvernement pour y vivre (LUCAS,1912,vol.3:51). Dans les cantons, le découpage imprécis des terres, souvent fait sans même voir le terrain, occasionne des différences entre la grandeur réelle et sur papier de l’ordre de 40 à 90 âcres (LUCAS,1912, vol.3:52). De même, l’imprécision des limites entraîne des procédures légales longues et inutiles qui nuisent à l’établissement et à la prospérité des colons. Pour y remédier, il suggère la création d’une commission qui veillera au bon fonctionnement de la distribution et de la gestion des terres (LUCAS,1912,vol.3:128). Le rôle d’une telle commission sera de bien distribuer les terres, régulariser les taxes pour l’amélioration des transports ainsi que de l’encadrement des immigrants, notamment par l’obtention de prêts. Charles Buller est aussi responsable de la commission d’enquête sur les institutions municipales. Pour cette tâche, il envoi William Kennedy et Adam Thom. Il faut dire que mis à part Montréal et Québec, encore que celles-ci n’aient que des pouvoirs très limités, il n’y a aucune institutions municipales au Québec (ST-PIERRE,1994:8-9). La déficience du gouvernement central pourrait être comblée par la création d’institutions municipales ayant pour but de gérer les affaires locales. Pour les assistants commissionnaires, le passage d’un système despotique à la démocratie peut avoir entraîner les problèmes de la décennie de 1830 (LUCAS,1912,vol.3 :140). La tradition anglaise transmet la démocratie par ses institutions libérales alors qu’il n’y a pas cet instrument d’apprentissage au Bas-Canada. La démocratie est un trait du peuple britannique que les Canadiens français n’ont pas. Thom et Kennedy avouent ne pas avoir eu le temps de trouver un système efficace aux maux et que la situation actuelle au lendemain des troubles rend la chose pratiquement impossible (LUCAS,1912,vol.3:234). Ils y vont tout de même de quelques suggestions. La redivision de la province sur une base de territoire et population. Les nouvelles divisions devraient être surveillées par des responsables propriétaires bien éduqués. Surtout, ceux-ci ne devraient pas avoir le contrôle policier, domaine réservé au pouvoir central exécutif, ni être liés à la politique (LUCAS,1912,vol.3:234-236). Pour le financement, des impôts indirects et l’emprunt pour des travaux publics favorisant la prospérité. Les travaux pourront favoriser le capital local et international (LUCAS,1912,vol.3:236). Arthur Buller, le frère de Charles, est chargé de l’enquête sur la situation de l’éducation au Bas-Canada. Son rapport fait état d’un système pitoyable. Le principal défaut est l’utilisation des écoles à fin de propagande politique. Il n’est pas rare en effet de voir des articles de journaux de La Minerve être utilisés comme textes d’apprentissage pour les enfants (LUCAS,1912,vol.3:262). De même, les postes et les salaires sont renouvelables aux deux ans et par conséquent plus aptes au favoritisme politique (LUCAS,1912,vol.3:263). La corruption est bien installée entre les inspecteurs, les maîtres et/ou les syndics pour s’approprier l’argent fournit par le gouvernement à d’autres fins que scolaire. Le système est dans un tel état que les parents ne voient pas la nécessité d’y envoyer leurs enfants (LUCAS,1912,vol.3:265). L’état de la population est en conséquence : rares sont ceux qui savent lire et écrire. Pratiquement toutes les pétitions, demandes et adresses envoyées au gouvernement sont signées par des croix (LUCAS,1912,vol.3:266). Chez les jeunes la situation n’est pas meilleure. Rares sont ceux qui peuvent écrire, ne serait-ce que leur nom. Parfois, même certains enseignants ne savent pas lire ni écrire (HAMEL,1948:142). Pour pallier à cette situation, il préconise un nouveau système d’éducation obligatoire de 6 à 12 ans financé par impôt direct. Ainsi que part l’aide financière des localités (LUCAS,1912,vol.3:278-280). Dans le but d’éliminer les conflits nationaux et religieux, les écoles devraient être mixtes et n’utiliser que les textes religieux qui sont acceptables pour tous, protestants et catholiques (LUCAS,1912,vol.3:274-275). Les enseignants devraient être rééduqués pour être eux-mêmes de bons éducateurs. Dernier problème à régler : couper tous liens avec la politique. De cette manière et sous contrôle d’une hiérarchie d’intendants, inspecteurs et surintendants, l’éducation pourrait permettre « impress upon the people the important truth, that education was as much their own concern as that of their rulers » (LUCAS,1912,vol.3:288). Ce nouveau système pourra aussi permettre d’accélérer le processus d’anglicisation des Canadiens français. Historiographiquement parlant, le rapport de Durham a fait couler beaucoup d’encre. Dans l’optique des historiens Whigs et libéraux, Durham est un génie politique doué d’une vision claire des problèmes constitutionnels auxquels font face les colonies. C’est un document qui transpire à la fois le libéralisme et l’impérialisme (NEW,1939:134). Ce fut l’inspiration qui donna souffle dans la bonne direction à la création du Canada comme État national à l’intérieur de l’empire britannique (LUCAS,1912,vol.1:301). C’est une contribution importante à l’émancipation coloniale et libérale des colonies. Le rapport est alors le reflet du courage, de l’indépendance et de la vision de ce grand homme (NEW,1939:134-135). Pour les nationalistes québécois et canadiens-français, le rapport montre comment l’empire britannique anglo-saxon traite avec les minorités culturelles. C’est une deuxième conquête qui vise l’élimination de la spécificité canadienne française. L’union législative et l’immigration importante donneraient une British Noth Amrica puissante et culturellement homogène (BRUNET,1968:213). L’idée profonde est que les Canadiens français ne peuvent et de doivent pas dominer, ou bien ils s’assimilent, ou bien ils sont minoritaires et ne peuvent donc pas diriger les affaires de la colonie (SÉGUIN,1997:313). Durham avait une vision grandiose du monde et du rôle joué par l’Angleterre et les Canadiens-français ont payé le prix de cette vision (HAMEL,1948:35). Pour l’école culturaliste canadienne anglaise, le rapport de Durham est une nouvelle définition des rapports entre gouvernants et gouvernés (BUCKNER,1985:335-336). Son rêve n’est pas celui d’un raciste plein de dégoûts pour les autres nationalités que la sienne, il n’est pas un chauvin culturel (AJZENSTAT,1988:4). Ce qu’il souhaite c’est l’élimination des particularismes nationaux qui entrave la libéralisation de tous (AJZENSTAT,1988:5). C’est dans un monde dénué de particularismes culturels que pourront réellement prendre racine les valeurs libérales. Pour la gauche britannique et canadienne anglaise, le rapport ne fait que démontrer les rapports de classe et d’intérêts socio-économiques à l’intérieur de la société canadienne et britannique. C’est la montée du capitalisme industriel qui souhaite créer un réseau mercantile. Le désir de voir un État autonome sur les rives du Saint-Laurent répond à une intrigue mercantile et capitaliste (RYERSON,1972,:503). Le rapport correspond au triomphe de la middle class qui s’intéresse plus d’ouvrir le marché que de la préservation des cadres traditionnel de l’empire (LAPORTE, 2001). Simon Ouellet AJZENSTAT, Janet, The Political Thought of Lord Durham, McGill-Queen’s University Press, Kingston & Montréal,1988; BRUNET, Michel, Québec Canada anglais, deux itinéraires un affrontement, ed HMH, Montréal, 1968; BRUNET, Michel, La présence anglaise et les Canadiens, Beauchemin, Montréal, 1964BUCKNER, The Transition to responsible; Government, Grenwood Press, Londres, 1985; HAMEL, Marcle-Pierre, Le rapport de Durham, Éd. Du Québec, S.L., 1948LAPORTE, Gilles, « Le parti patriote et les Philisophic Radicals anglais (1834-1838) » dans Bulletin d’histoire politique, vol 7, no 1, automne 1998, p50-65; LUCAS, C.P. Lord Durham report on the affairs of British North America, 3 volumes, Oxford, Claredon Press, 1912MARTIN, Ged, The Durham Report and British Policy, Cambridge, Cambridge University Press, 1972; MARTIN, Chester, « Lord Durham and its consequences » dans Canadian Historical Review, vol 20, no 2, juin 1939, p178-194; NEW, Chester, « Lord Durham and the British Background of his report » dans Canadian Historical Review, vol 20, no 2, juin 1939, p119-161; RYERSON, Stanley. B., Le capitalisme et la confédération, auc sources du conflit Canada-Québec (1760-1873), trad. Par A. d’Allemagne, ed Parti Pris, Montréal, 1972; SEGUIN, Maurice, Histoire de deux nationalismes au Canada, coll œuvres complète de M. Séguin, Guérin,; ST-PIERRE, Diane, L’évolution municipale du Québec des régions : un bilan historique, Union des MRC, Ste-Foy, 1994
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