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Situé au sud-est du district de Montréal, le comté de Missisquoi est bordé au sud par la frontière américaine; à l'est, par le comté de Stanstead; au nord, par celui de Shefford; à l'ouest, par le comté de Rouville; enfin, dans le coin sud-ouest, par la baie Missisquoi (Beaugrand-Champagne, 1990 : XI, 19). Le nom du comté s'écrivait autrefois Missiskoui, mot d'origine amérindienne signifiant " là où il y a des oiseaux aquatiques " (Drouin, 1972 : 174). Le comté est composé de la seigneurie de Saint-Armand et des cantons de Stanbridge, de Dunham et de Sutton (Beaugrand-Champagne, 1990 : 27). En 1831, la population de Missisquoi s'élève à 10 736 habitants, en presque totalité d'origine anglo-saxonne (Belden, 1972 : 6). Les Canadiens-français comptent à peine pour 10 % de la population des Cantons de l'Est en 1840 (Kesteman, 1998 : 108). La région est propice à l'agriculture - on y cultive notamment du blé, de l'avoine, du seigle et du sarrasin - mais l'élevage y est aussi très répandu et constitue une caractéristique régionale propre (Kesteman, 1998 : 137, 140-142). Les moulins de toutes sortes (à farine, à carder, à scie, à foulon) y sont nombreux (83 sont recensés en 1844), et la région accueille également diverses industries (fabriques de potasse et perlasse, distilleries, scieries) (Kesteman, 1998 : 148-151 et Beaugrand-Champagne, 1990 : 166-167). Dans les Cantons de l'Est en général, le réseau routier est réduit à sa plus simple expression, comme en témoignent les nombreuses pétitions des habitants (Caron, 1927 : 185, 224), mais le comté de Missisquoi s'en tire plutôt bien à ce chapitre puisqu'il a accès aux routes des États avoisinants ainsi qu'au Haut-Richelieu, à la baie Missisquoi et au lac Champlain; l'axe des échanges économiques du comté est donc davantage orienté en ce sens (Kesteman, 1998 : 104, 161-162).Le peuplement du comté est relativement récent. Bien que la seigneurie de Saint-Armand ait été concédée en 1748 à Nicolas Levasseur, elle n'est pas ouverte au peuplement avant 1787 lorsque Thomas Dunn en fait l'acquisition (Belden, 1972 : 11). Quant à Dunham, il a été le premier canton à être concédé au Bas-Canada (1796); Stanbridge et Sutton ont suivi plus tard, soit respectivement en 1801 et en 1802 (Kesteman, 1998 : 89, 94). Certains sites sont occupés et mis en valeur avant l'octroi officiel des terres, mais ce peuplement demeure parcellaire et certains pionniers sont évincés de leurs lopins par les nouveaux propriétaires (Kesteman, 1998 : 98-99). La colonisation est d'abord loyaliste et américaine (1775-1840), puis britannique (1815-1840) (Fournier, 1978 : 8-9). Le comté de Missisquoi élit ses premiers députés (2) aux élections partielles de 1829, lorsque la réforme électorale lui donne corps; la région faisait auparavant partie du comté de Bedford, qui n'avait alors droit qu'à un député. En 1829, donc, Richard V.-V. Freligh et Ralph Taylor, tous deux loyaux, sont élus. Le premier est remplacé par Stevens Baker aux élections générales de 1830, alors que le second est réélu. De 1834 à 1838, Missisquoi envoie à la Chambre d'assemblée un député réformiste, Ephraïm Knight, et un loyal, William Baker (Desjardins, 1902 : 124, 149 et Beaugrand-Champagne, 1990 : 52-53, 58). Le comté connaît une importante mobilisation, tant du côté loyal que patriote pendant la période des troubles, plus particulièrement entre 1834 et 1837, alors que les activités de chaque camp comptent respectivement pour 18 % et 7 % de celles qui se déroulent dans le district de Montréal, à l'exception du comté même de Montréal. C'est le comté le plus actif du côté loyal et un comté aussi mobilisé que Deux-Montagnes chez les Patriotes (Beaugrand-Champagne, 1990 : 2). Pendant cette période, on recense, chez les patriotes 83 militants actifs et de 26 à 35 événements; chez les loyaux, le nombre de militants est de 192 associés à 36 événements (Patriotes, 2001). On remarque toutefois un certain effritement du mouvement réformiste à la fin de 1836 et au début de 1837 (Beaugrand-Champagne, 1990 : 107, 176 et Kesteman, 1998 : 213). L'examen des activités de chaque mouvement dans le comté, de l'origine des habitants des différentes régions et de l'allégeance des journaux qui y sont publiés nous permet de dégager une tendance, à savoir que les cantons de Dunham et de Stanbridge sympathisent plutôt avec les réformistes, tandis que Sutton et Saint-Armand, plus particulièrement les villages de Philipsburgh et de Frelighsburgh, sont des bastions loyaux (BEAUGRAND-CHAMPAGNE, 1990 : 21, 24, 41, 58, 81, 166, 190-191). Les principaux faits marquants qui suscite la tenue de tels événements sont le dépôt des 92 Résolutions au printemps 1834, les élections générales à l'automne de la même année, la création de comités de correspondance et d'associations constitutionnelles à l'automne 1834 et au printemps 1835, la Commission royale d'enquête de Lord Gosford à l'été 1835 et les réponses de Londres (Résolutions Russell) aux 92 Résolutions, au printemps 1837 (Beaugrand-Champagne, 1990 : 190-191). Ce dernier événement donne justement lieu à l'un des plus gros rassemblements du comté. Organisé le 4 juillet, jour de la fête de l'Indépendance des États-Unis, il regroupe d'ailleurs de nombreux américains. Près de 1000 sympathisants réformistes y participent et votent des résolutions dans le sens d'un rapprochement avec les États-Unis et du boycottage des produits anglais (BEAUGRAND-CHAMPAGNE, 1990 : 100-102 et LACOURSIÈRE, 1996 : 327). La dénonciation des agissements de Londres et des résolutions Russel y est telle que l'on brûle même un drapeau britannique (CHARTIER, 1999 : 2). Parmi les sujets de préoccupation qui font le plus souvent l'objet de débats entre les deux groupes du comté, on note la question des terres de la Couronne, de la tenure seigneuriale et de l'immigration; les 92 Résolutions; l'électivité du Conseil législatif; le patronage et les sinécures et le salaire des agents de la province à Londres, ainsi que le vote des subsides (Beaugrand-Champagne, 1990 : 114). Mais au-delà de ces thèmes de prédilection, l'omniprésence de la question ethnolinguistique est particulièrement marquante et ne manque pas d'enflammer les esprits, surtout par l'entremise de James Moir Ferres, éditeur du journal conservateur radical Missiskoui Standard, et de ses pamphlets incendiaires (Beaugrand-Champagne, 1990 : 157-163). À part le Missiskoui Standard, Missisquoi compte deux autres journaux entre 1834 et 1837, le Missiskoui Post and Canada Record et le Township Reformer, tous deux réformistes (Kesteman, 1998 : 210-211). L'événement le plus connu du comté de Missisquoi pendant les rébellions est sans doute la bataille de Moore's Corner, le 6 décembre 1837. Le soir du 6 décembre, un groupe d'environ 80 rebelles réfugiés aux États-Unis traverse la frontière et pénètre en territoire loyal à Moore's Corner (Saint-Armand), où il est attendu et repoussé par 300 volontaires armés et bien postés. L'escarmouche prend fin après 15 minutes avec la retraite de certains patriotes, alors que d'autres, blessés, sont faits prisonniers; un patriote y laisse aussi la vie. Cet événement révèle l'efficacité des contingents de volontaires de Missisquoi et leur contribution majeure à mettre en échec les rébellions dans la région, sans même que l'armée britannique n'ait à intervenir. Le calme est rétabli dans le comté jusqu'à la fin de 1837. Une certaine activité reprend en 1838 avec la radicalisation du mouvement et la nouvelle stratégie de combat qui provoquera la mobilisation des volontaires du comté à plusieurs reprises. C'est le cas notamment en février, lors de la déclaration d'indépendance de Nelson, ainsi qu'à l'occasion de la tentative d'insurrection des Frères chasseurs en novembre. Sutton sera même le site d'une nouvelle escarmouche en 1839 (Kesteman, 1998 : 216; Patriotes, 2001 et Senior, 1997 : 218). Les événements de 1837-1838 dans le comté de Missisquoi ont mené à la désorganisation du camp réformiste. La vie politique du comté est désormais entre les mains de députés conservateurs favorables à l'Union (Kesteman, 1998 : 422). En même temps, là comme ailleurs dans les Cantons de l'Est, une nouvelle période de colonisation s'ouvre, celle des Canadiens-français, à compter de 1840. Enfin, la décennie qui suit voit l'arrivée du chemin de fer dans la région (Fournier, 1978 : 10). Nathalie Mailhot
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