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Lors de la Conquête, l'armée britannique fut déployée dans la nouvelle colonie qu'elle ne quitta définitivement qu'en 1871. Initialement, l'armée britannique devait occuper et pacifier la Province of Quebec, mais suite à la guerre d'Indépendance américaine, son rôle se résuma essentiellement à protéger cette colonie peu développée en cas de conflit avec les États-Unis. Les tensions entre les Américains et les Britanniques subsistèrent très longuement et obligèrent les autorités britanniques à maintenir dans la colonie une force armée régulière suffisamment puissante pour résister au choc initial d'une éventuelle invasion américaine (MORTON, 1992 :174). Les coûts très élevés liés au maintien de l'armée britannique dans les colonies étaient entièrement défrayés par les contribuables britanniques. Par ailleurs, au Canada, des sommes colossales furent investies dans la construction d'ouvrages militaires tels les casernes, les canaux ou les forteresses (CHARTRAND, 1995 :121-122). Institution extrêmement puissante, l'armée britannique constitue la pierre d'assise du gouvernement colonial, d'ailleurs très influencé par le puissant establishment militaire (OUELLET, 1980 : 389). Par sa seule présence, l'armée britannique joue un rôle pacificateur dissuadant efficacement toute velléité de rébellion. L'armée peut évidemment être appelée à intervenir en cas de troubles, bien qu'elle n'eut pas à le faire systématiquement avant les rébellions de 1837-1838 puisque la colonie bas-canadienne était ordinairement paisible. Mentionnons néanmoins que l'intervention violente de l'armée lors de l'émeute électorale de Montréal en 1832 suscita un tollé et fut abondamment dénoncée par les tribunes patriotes. Bref, seule l'armée est garante de l'ordre dans la colonie bas-canadienne (CHARTRAND, 1995 : 146). En cas de conflit, elle peut être appuyée par les milices canadiennes, potentiellement très nombreuses mais aussi peu fiables que professionnelles. Par ailleurs, la levée de régiments coloniaux est très rare en dehors des périodes de guerres ou de troubles.Avant le milieu du XIXe siècle, la structure de commandement et d'organisation de l'armée britannique est peu centralisée et archaïque. Son efficacité est minée par une administration politique et militaire constituée d'une kyrielle d'organismes bureaucratiques et dont les juridictions s'entrecoupent (WHITFIELD, 1981 : 6). C'est au quartier général de l'armée à Londres que le secrétaire de la Guerre, le commandant en chef, l'adjudant général et les autres officiers de l'état-major prennent l'ensemble des décisions globales et importantes concernant tous les régiments d'infanterie et de cavalerie. Leurs ordres sont transmis aux généraux en chefs des armées coloniales qui, jouissant de la confiance des autorités britanniques, disposent d'une marge de manœuvre presque illimitée à l'échelle de leur colonie. Tel fut le cas du commandant militaire du Bas-Canada, Sir John Colborne, qui joua un rôle de tout premier plan lors des rébellions de 1837-1838. Néanmoins, la collaboration avec Londres demeure assez étroite, bien qu'elle est entravée par la lenteur des communications. Cela oblige souvent les commandants militaires des colonies à agir de leur propre chef, surtout en cas d'événements imprévus et inusités tels le début des rébellions en novembre 1837. Plusieurs fonctions administratives importantes échappent à l'autorité du quartier général métropolitain et du général en chef des colonies (CHARTRAND, 1995 :121-122). L'approvisionnement en vivres de l'armée, la logistique et le casernement sont généralement assurées par les officiers du corps du Commissariat délégués par le conseil du Trésor (Treasury). Réparti à travers l'ensemble de l'empire britannique, le personnel du puissant Board of Ordinance assure plusieurs tâches : l'approvisionnement de l'armée en armes, canons, munitions et poudre, l'édification et l'entretien de toutes les constructions militaires, la gestion des magasins et des casernes. Le Board of Ordinance possède sa propre armée regroupant toutes les unités spécialisées du service : artilleurs, ingénieurs, sapeurs, artificiers, etc. Le quartier général canadien du Board of Ordinance et de l'armée se trouve à Québec, au parc de l'Artillerie (CHARTRAND, 1995 :121-122). L'armée britannique est composée exclusivement de soldats britanniques professionnels, regroupés en régiments de taille variable. C'est une institution très hiérarchisée, où les différences entre officiers et soldats sont très nettes tant au niveau du rang social que des conditions de vie. Les soldats sont recrutés parmi les classes les plus pauvres de la société britannique. Peu rémunéré, le métier de soldat britannique est extrêmement difficile, ce qui explique pourquoi les soldats boivent énormément et désertent en grand nombre, souvent pour trouver refuge aux États-Unis (CHARTRAND, 1995 :123-132). Quant aux officiers, leur sort est beaucoup plus enviable que celui de leurs soldats. Ils ont plus de temps libre, s'adonnent à des sports et à des loisirs raffinés en plus de participer quelque peu à la vie sociale mondaine de leur ville de casernement. L'élite des officiers est issue de la noblesse, mais dans l'ensemble les officiers sont issus de la petite noblesse et de la bourgeoisie. Les soldats ayant gradué en raison de leurs aptitudes exceptionnelles sont très rares. Les officiers peuvent accéder à un rang supérieur en achetant un grade ou en accumulant prouesses et ancienneté. Ainsi, la mobilité sociale reste très faible en temps de paix et les postes supérieurs demeurent réservés aux nobles très riches (CHARTRAND, 1995 :133-136). Les soldats britanniques logent généralement dans des casernes, tout comme leurs officiers. Les casernes plus importantes sont, à Québec, la citadelle et le Parc de l'Artillerie et, à Montréal, la caserne de la porte de Québec et la caserne du fort de l'île Sainte-Hélène. De petites garnisons logent également dans d'autres casernes dont la plupart se situent stratégiquement au sud et à l'est de Montréal : Laprairie, Saint-Jean, Sorel, Chambly, Île-aux-Noix. Les soldats et leurs officiers y vivent pratiquement en vase clos (CHARTRAND, 1995 :123-136). Généralement, les régiments britanniques sont soumis à un système de rotation et leur séjour dans la colonie ne durait que quelques années. Ces facteurs font en sorte que les militaires britanniques nouent peu de liens avec la population bas-canadienne, essentiellement francophone et un peu anglophobe. L'impact de la présence de l'armée britannique est donc beaucoup moins fort au plan social qu'au plan économique. La formation intensive dispensée aux soldats, la discipline extrêmement sévère à laquelle ils sont soumis ainsi que la détermination d'officiers expérimentés, ambitieux et fiers de leurs soldats font en sorte que l'armée britannique jouit d'une très bonne réputation (CHARTRAND, 1995 :123-136). Bien équipées, ces troupes sont généralement disciplinées, braves et redoutables au combat. Ainsi, les autorités militaires et politiques des colonies pouvaient théoriquement compter sur la fidélité et sur l'efficacité des militaires en cas de conflit. Toutefois, les longues années de paix routinières ont entraîné un certain laxisme au niveau de l'administration militaire. Après la guerre de 1812, le nombre de soldats britanniques dans les deux Canadas fut considérablement diminué, variant entre 3000 et 3500 de 1820 à 1837 (CHARTRAND, 1995 : 141). Au printemps 1837, les garnisons des deux Canadas comptent environ 2500 hommes (WHITFIELD, 1981 : 142). Au début de l'été 1837, il y a un peu moins de 600 soldats britanniques cantonnés dans l'immense district de Montréal (SENIOR, 1997 : 11). Les patriotes et les autorités politiques savent fort bien que cette force militaire n'était pas suffisante pour assurer la paix de cette immense colonie bas-canadienne dont les 650 000 habitants sont agités (SENIOR, 1997 : 11). C'est pourquoi Colborne, militaire illustre, pragmatique et austère, entreprend de faire venir des renforts au Bas-Canada dès le début de l'été 1837, et ce, probablement moins pour mater une rébellion encore très hypothétique que pour dissuader les extrémistes des factions loyales et patriotes d'en venir aux coups. Des régiments arrivent de Halifax et de Toronto et le 1eraoût, la garnison de Montréal compte plus de 1000 hommes et celle de Québec, environ 1700 (SENIOR, 1997 : 49). Ce n'est qu'en septembre que Colborne pressent pleinement l'ampleur de l'agitation naissante au Bas-Canada et entreprend de renforcer sa garnison montréalaise. En octobre, suite à la demande de Colborne, l'audacieux lieutenant-gouverneur du Haut-Canada, Sir Francis Bond Head, ordonne à son dernier régiment britannique de se rendre au Bas-Canada. Suite aux assemblées du 23 octobre, les autorités civiles réalisent que le pouvoir doit dorénavant être assuré par les militaires. Au début novembre 1837, Colborne perd tout espoir de conciliation et demande des renforts au gouvernement métropolitain. Il fait réaménager plusieurs casernes du district de Montréal pour accueillir les renforts qui arrivaient du Haut-Canada, de Québec et des Maritimes (CHARTRAND, 1995 : 145-147). Il fait transférer son quartier général de Québec à Montréal. Les autorités politiques entreprennent alors d'arrêter par la force les dirigeants patriotes. C'est le seul moyen d'apaiser les tensions rapidement, avant que les rebelles n'aient le temps de s'organiser et avant que les glaces flottantes sur le fleuve n'isolent Montréal. La défaite de Saint-Denis cause un certain traumatisme au sein des administrateurs militaires, ceux-ci n'ayant pas crû possible que des habitants mal armés puissent vaincre des soldats réguliers britanniques ; traumatisme rapidement oublié suite aux écrasantes victoires de Saint-Charles et de Saint-Eustache (CHARTRAND, 1995 : 145-150). Le fleuve étant gelé durant l'hiver et empêchant toute possibilité de renforts militaires par voie maritime, les autorités britanniques ordonnent à trois régiments cantonnés au Nouveau-Brunswick de gagner Québec en traversant les forêts. Dès le moment où la navigation était accessible, des milliers de soldats britanniques débarquèrent à Québec (CHARTRAND, 1995 : 146). Ainsi, à l'été 1838, "l'armée britannique constitue une force de 5000 hommes dans le Bas-Canada et de 3000 dans le Haut-Canada. En novembre 1838, quand éclate la deuxième tentative de soulèvement, le quartier général de Montréal commande à environ 3200 réguliers" (SENIOR, 1997 : 11). Avec une telle puissance militaire (sans compter les centaines de volontaires loyaux), les chances de réussite pour les rebelles de 1838 étaient pratiquement nulles. Le long de la frontière américaine, les opérations militaires sont menées avec grand succès par les volontaires où l'armée arrive généralement beaucoup trop tard. Bref, les rébellions furent aisément écrasées, si bien que certains historiens n'hésitent pas à comparer l'intervention militaire à une vaste opération policière, n'ayant fait qu'une trentaine de morts du côté des forces de la couronne (SENIOR, 1997 : 297). Vincent Fontaine
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