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Authentique Gaël issu d'une vieille famille irlandaise catholique et ruinée, Daniel O'Connell fut incontestablement l'homme politique irlandais le plus important du 19esiècle. Subissant le joug anglais, le peuple irlandais se révolte entre 1796 et 1798. Après une répression terrible, le gouvernement britannique imposa en 1800 l'humiliant acte d'Union donnant naissance au Royaume-Uni et d'Irlande. Dès lors, O'Connell s'intéresse au problème de la libération nationale irlandaise, qu'il associe à la cause du catholicisme, toujours pas reconnu par les autorités britanniques. En 1823, ce brillant avocat progressiste fonde une Association catholique qui devient en 1825 la Nouvelle Association catholique. Soutenue par l'Église, cette organisation éveille le peuple, soutient ses griefs et le mobilise en période d'élections (les catholiques ayant le droit de voter mais étant inéligibles). L'éloquence d'O'Connell, son dynamisme et son charisme lui valent une immense popularité auprès du peuple irlandais, désespéré, miséreux et affamé. Bien qu'inéligible, O'Connell se présente aux élections de 1828 et les remporte très aisément. Cet acte audacieux démontre aux autorités britanniques l'ampleur du mouvement catholique irlandais. Soucieuses d'éviter une nouvelle rébellion, celles-ci acceptent le résultat électoral et contraignent le Parlement à voter l'Acte d'émancipation (avril 1829), qui accorde aux catholiques l'accès à l'ensemble des fonctions militaires et civiles. Cette victoire éclatante n'arrête pas O'Connell, qui exige une réforme parlementaire et le rappel de l'acte d'Union. Infatigable, il poursuit une active propagande et réunit des foules immenses. Refusant les méthodes violentes et illégales et craignant une sévère répression, O'Connell est contraint de céder devant les autorités britanniques en 1843 et perd progressivement l'appui d'une frange grandissante d'Irlandais plus radicaux.Les peuples irlandais et bas-canadiens furent souvent comparés au XIXe siècle : deux peuples majoritairement catholiques, pauvres et agraires ayant leurs particularités culturelles, soumis politiquement à la Grande-Bretagne et dominés par une élite aristocratique et financière presque entièrement britannique (TAFT MANNING, 1962: xiv). Il n'est donc guère surprenant que les Irlandais ayant immigré au Canada aient développé des affinités avec les Canadiens français à travers leurs aspirations nationales, religieuses et à travers leurs dénonciations des politiques britanniques et ce, malgré la barrière linguistique. L'importance qu'eurent les Irlandais Daniel Tracey, Edmund O'Callaghan et leur journal Vindicator au sein des rébellions en témoigne bien. Les succès obtenus par O'Connell rendirent les Canadiens enthousiastes et extrêmement admiratifs envers lui. Surpris par l'engouement des Canadiens à l'égard d'O'Connell, l'agent loyaliste Nathaniel Gould affirmait avoir vu dans des maisons canadiennes des gravures à l'effigie de " O'Connell, l'homme du peuple " côtoyant celle de la Vierge Marie (TAFT MANNING, 1962: 206). La 87edes 92 résolutions exprime bien toute la reconnaissance et l'admiration que les députés de l'Assemblée du Bas-Canada avaient envers O'Connell. Au Bas-Canada, les Canadiens et les Irlandais voyaient en Louis-Joseph Papineau le Daniel O'Connell du Bas-Canada, deux hommes politiques doués autour desquels le peuple devait se rallier (GREER, 1997 :126). La 10erésolution prise par les patriotes de l'assemblée de Saint-Ours (7 mai 1837) en témoigne également. Leader parlementaire d'une trentaine de députés irlandais, O'Connell joue un rôle important aux Communes car le gouvernement whig ne détient pas la majorité absolue et doit contracter des alliances avec les Radicaux ou les Irlandais. Cherchant désespérément des alliés politiques en Grande-Bretagne, les patriotes canadiens tentèrent de se rapprocher d'O'Connell, notamment par le biais d'O'Callaghan, qui communiquait avec le leader irlandais (TAFT MANNING, 1962: 367). Ainsi, malgré leur alliance informelle avec les Whigs, les Irlandais, comme les Radicaux, prenaient le parti des patriotes canadiens lorsque le gouvernement whig souhaite légiférer à propos des problèmes canadiens, ce qui explique en partie la lenteur des autorités britanniques à tenter de les solutionner. En 1835, les Radicaux et les Irlandais d'O'Connell appuient le projet proposé par Roebuck visant à former une commission d'enquête pour régler les problèmes canadiens, d'où émergea la Commission Gosford (DBC; BUCKNER : Acheson, Archibald). En février 1837, les Radicaux et les Irlandais s'opposent vigoureusement aux 10 résolutions proposées par Lord Russell, mais en vain. En janvier 1838 les Radicaux s'opposent à la motion du gouvernement whig visant à suspendre la constitution du Bas-Canada pour quatre ans, mais O'Connell et les Irlandais l'appuyèrent. S'opposant à toute violence, O'Connell déclara que s'il désapprouvait les politiques du gouvernement britannique à l'égard du Canada, il désapprouvait également le fait que Papineau ait recourut à la guerre civile pour parvenir à ses fins politiques (PREST, 1972 : 130-131). Dans les faits, il semblerait qu'O'Connell ne s'y opposa pas parce qu'il était reconnaissant envers Lord Russell, qui fut très conciliant sur la question irlandaise (PREST, 1972 : 131). Ainsi, le vote des Irlandais d'O'Connell était davantage orienté en fonction des intérêts irlandais qu'en fonction de leurs alliances politiques ou de la cause canadienne. La résignation passive d'O'Connell suscita beaucoup de déception et de ressentiment chez les Radicaux comme chez les patriotes canadiens. Vincent Fontaine
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