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Les Patriotes de 1837@1838 - Les relations des militaires britanniques avec les civils à Québec, de 1759 à 1871
 ANALYSE 
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Les relations des militaires britanniques avec les civils à Québec, de 1759 à 1871
Article diffusé depuis le 06 décembre 2000
 




À midi, le 17 septembre 1759, 7000 soldats de l'armée britannique pénètrent dans la ville ; ils y seront pendant plus d'un siècle, jusqu'à leur départ en 1871. Durant toutes ces années, la garnison britannique fait sentir sa présence, tant dans le paysage urbain que dans la vie sociale. Évident au plan matériel, l'impact de cette présence l'est peut être moins au plan social. Pourtant, au cours de cette période, des relations plus ou moins étroites sont tissées avec les citoyens de Québec. La question demeure à savoir de quelle nature furent ces relations.

Quelle est la nature des relations qu'ont entretenues les militaires britanniques avec les citoyens de Québec ? Cette question n'est pas négligeable dans l'étude de l'évolution sociale de la ville de Québec. Pendant longtemps, les personnes qui s'y intéressèrent le firent dans une perspective matérielle. Ainsi furent étudiés les apports des militaires dans le paysage urbain de ville et dans son économie. Les conditions matérielles de la vie des soldats furent aussi à l'étude. À partir des années 60, la présence des militaires et ses conséquences sociales commencèrent à être davantage objet d'étude. Celle-ci s'intègre dans des ANALYSEs générales de la société québécoise (dont celles de Fernand Ouellet et de Michel Brunet) . Enfin, plusieurs ouvrages récents (à partir des années 80) portant sur la ville de Québec abordent l'apport matériel et social des soldats britanniques dans l'histoire de la ville. Peu d'ouvrages cependant sont consacrés uniquement aux relations des militaires avec la population civile.

Il serait toutefois biaisé de s'attarder aux relations entre les militaires britanniques et les civils de Québec sans tenir compte de la hiérarchie sociale et de l'origine ethnique des différents membres de l'armée et de la société de Québec. Entre 1759 et 1871, la société coloniale de Québec est fortement hiérarchisée et l'organisation de l'armée britannique reflète bien cette réalité. Le rang social et l'origine ethnique influencent beaucoup les conditions de vie de chaque citoyen, de même que ses fréquentations. C'est pourquoi il vaut la peine de d'abord brosser un bref portrait des deux groupes.

I- Une société et ses couches : stratifications sociales et ethniques

L'armée

Entre 1759 à 1871, l'armée britannique est une organisation très hiérarchisée et la garnison de Québec ne fait pas exception. La distinction entre les officiers et les sous-officiers et soldats est nette, tant pour le rang social que pour les conditions de vie. Au sommet de la hiérarchie se trouvent les officiers. La proportion de ceux-ci dans l'armée varie entre 10 et 15 pour cent des effectifs. Comme les grades doivent la plupart du temps être achetés, les membres de l'élite militaire sont recrutés parmi l'élite civile, lorsqu'ils ne sont pas fils d'officiers. Les conditions de vie dont profitent les officiers placent ces derniers dans le haut de la hiérarchie sociale de Québec.

Le reste des effectifs est constitué des sous-officiers et des simples soldats. Ceux-ci sont au bas de la pyramide et vivent dans des conditions beaucoup plus difficiles que les membres de la classe supérieure. Les soldats de la garnison de Québec sont recrutés dans les classes basses de la société et sont, dans la presque totalité, originaires d'Angleterre. Il est extrêmement rare que des soldats ou des sous-officiers accèdent aux grades supérieurs.

La population civile

Tout comme l'armée, la société québécoise de la fin du 18e siècle et du 19e siècle est très hiérarchisée et la mobilité sociale y est relativement rare. Celle-ci se trouve "encore plus restreinte par les préjugés ethniques qui réduisent les possibilités d'interactions entre francophones et anglophones". Il est possible de distinguer quatre niveaux à l'intérieur de la société urbaine.

Il y a d'abord l'élite, dont font partie les administrateurs coloniaux, les évêques anglicans et catholiques et leur entourage, les marchands britanniques influents et les seigneurs canadiens vivant près de la ville, de même que les membres des professions libérales et leurs familles. Cette classe est constituée principalement d'anglophones, bien que quelques membres de l'aristocratie canadienne parviennent à s'y faire une place. De plus, en raison de la faible population et de l'économie peu développée de Québec, l'interaction entre les différentes professions est plus fréquente qu'en Europe. Ce groupe demeure cependant le plus fermé au membres de rangs inférieurs et le moins nombreux.

Nouveaux membres des professions libérales, clergé et membres des ordres religieux, marchands en général et quelques marchands-artisans forment la classe moyenne inférieure. " Ce groupe social est le plus mobile et le plus ouvert, puisque certains de ces membres se hissent parfois à l'échelon supérieur et qu'il accepte en son sein quelque maîtres artisans. " La diversité ethnique est plus grande dans cette classe que dans l'élite. En effet, il s'y trouve des Anglais, des Anglo-Écossais et des Canadiens et bien que les anglophones soient majoritaires, plusieurs francophones font partie du groupe.

Viennent ensuite les artisans et les employés des transports qui forment la classe moyenne inférieure. Les membres de cette classe sont surtout d'origine canadienne et anglaise. Enfin, ouvriers et fermiers forment le bas de l'échelle sociale. Ce groupe auquel viennent s'ajouter les immigrants irlandais dans la première moitié du 19e siècle, est dominé par les canadiens-français. Pour les membres de cette classe, les chances d'accéder à un rang supérieur sont quasi nulles.

I- Évolution des relations dans l'élite

Les premiers contacts

Les premiers contacts des officiers britanniques avec les civils sont plutôt froids. Alors que les nouveaux arrivants s'installent, plusieurs membres de l'élite locale voient d'un très mauvais œil la perte de leurs privilèges. De plus, les premiers arrivants d'origine britannique, des marchands qui profitent des nouvelles possibilités d'affaires, ne sont guère considérés par les officiers britanniques. Le général James Murray dit de ceux-ci qu'ils sont " la plus immorale collection d'individus que j'aie jamais connue. " Cela démontre bien la nature des relations qui existent entre ces deux groupes, pourtant de même origine ethnique. Cependant, cette situation semble se modifier assez rapidement : " pour les riches et les gens près du pouvoir, la présence d'une garnison à Québec est une garantie de sauvegarde de l'ordre établi". Le renouvellement de l'élite locale, dominée par des britanniques, n'est pas étranger à cette nouvelle perception.

Loisirs et mondanités

Les officiers disposent de beaucoup de temps libres qu'ils peuvent organiser à leur guise. Leurs activités sont aussi diverses que nombreuses. Parmi celles-ci, plusieurs favorisent les rapprochements avec les membres de l'élite civile.

" Les officiers de la garnison mènent une vie joyeuse; toutes les occasions semblent bonnes pour offrir un bal ou un dîner, qui clôturent toutes les fêtes. " Ce sont là de bonnes occasions de fraterniser avec les autres membres de la classe supérieure. Lors des fréquents bals offerts au château Saint-Louis, où se retrouve la haute société de Québec, plusieurs officiers se mêlent aux dirigeants de la colonie. Ce sont aussi des officiers qui introduisent des sports d'été comme le cricket, les régates et les courses de chevaux. Ces nouvelles activités deviennent fort courues et l'on voit des concours où s'affrontent militaires et civils sur les Plaines d'Abraham. L'annonce d'une partie de soccer, parue dans l'Événement de Québec le 6 octobre 1871, montre que les civils impliqués sont en grande majorité, issus de la communauté anglophone. Les officiers se mêlent également à la communauté civile en présentant des pièces de théâtre. Ces pièces étant jouées en anglais, les civils qui y assistent sont surtout issus de l'élite anglophone. Cela n'empêche cependant pas la présence de certains membres de la noblesse canadienne. Ainsi, plusieurs représentations de théâtre ont lieu devant " une nombreuse et brillante assemblée de dames et messieurs tant Anglais que Canadiens".

Les mariages

Le mariage est un bon indicateur de relations entre deux groupes. Les officiers étant issus de milieux aristocratiques et aisés, tendent à y rester par le mariage. Souvent, les officiers marient des filles d'officiers. Cependant, des observateurs notent que, depuis l'arrivée de l'armée britannique à Québec, les Canadiennes (de familles seigneuriales) ont un faible pour les officiers anglophones. Ainsi, la nouvelle belle-mère de Philippe Aubert de Gaspé est Thérèse Baby. Celle-ci se marie avec l'officier britannique Thomas Allison, lui-même père de l'épouse de Philippe Aubert de Gaspé. Cela montre que les mariages mixtes sont acceptables, " en autant qu'ils aient lieu entre membres des couches supérieures de la société".

Les mariages d'officiers ou de leurs filles avec les gens d'affaires britanniques existent aussi. Toutefois, en raison des préjugés initiaux des officiers envers les marchands, ce type de mariage ne se fait qu'avec les marchands dont la fortune et l'influence est considérable. Ces marchands qui réussissent à se faire une place dans les couches supérieures de la société coloniale sont surtout des anglophones d'origine anglaise et écossaise. On dénote même le mariage d'un officier avec la fille d'un évêque anglican.

II- Évolution des relations au bas de la hiérarchie

Un rapprochement difficile

De façon générale, les relations entre les soldats et les sous-officier et les civils sont distantes, les rapprochements étant plutôt rares. Plusieurs facteurs expliquent de telles relations.

D'abord, les soldats, tout comme les civils du bas de la hiérarchie sociale, disposent de peu de temps pour les loisirs. En effet les soldats doivent travailler du lever au coucher du soleil, en plus des exercices du soir. Il ne leur reste donc qu'une partie de leurs soirées et du dimanche, de même que quelques rares congés fériés . Cette situation est sensiblement la même pour les civils. Cela n'est pas sans affecter leurs relations sociales. En effet, pour les soldats et les civils au bas de la hiérarchie sociale, il est plus difficile d'établir et d'entretenir des relations avec les gens autres que ceux de leur entourage. De plus, la forte mobilité des soldats, dont le séjour à Québec ne dépasse pas 10 ans, rend tout enracinement encore plus difficile.

Étant donné que les soldats et les sous-officiers font partie de la classe inférieure de la société, ils ont peu de contacts avec les membres des classes supérieures. Or la population qui domine le bas de la hiérarchie sociale est constituée de canadiens-français. La barrière créée par la langue différente et le faible niveau d'éducation explique les difficultés de rapprochement. L'arrivée d'immigrants britanniques et irlandais au 19e siècle modifie peu la situation.

Bien que cela ne favorise pas beaucoup plus les rapprochements, il faut cependant noter que la population apprécie la présence d'une garnison à Québec pour l'aide apportée par les militaires lors d'incendies et le divertissement que procurent les défilés militaires.

Des relations tendues

Durant la majeure partie de leur séjour, les soldats britanniques ont des relations tendues avec la population civile de Québec. En plus d'éprouver des difficultés de rapprochement, plusieurs soldats sont impliqués dans des événements qui sont à la source de tensions avec les civils. Dès leur arrivée, ceux-ci sont plutôt mal perçus par la population francophone qui voit en eux des conquérants étrangers.

La principale source de tension entre militaires et civils est sans contredit l'alcool. L'ivrognerie est fréquente chez les militaires, plusieurs soldats occupant leur rares temps libres à courir les tavernes. Cette situation persiste jusqu'au départ de la garnison et ce malgré les efforts des autorités militaires, à partir du milieu du 19e siècle, de leur organiser des activités. Les abus d'alcool fréquents de plusieurs soldats est, au dire même des autorités militaire, à " l'origine de tous les maux " et la " source endémique des déportations et de l'immoralité. " De plus, il appert que " le grand nombre de matelots en liberté et la présence d'une garnison importante rendent la situation particulièrement mouvementée ." Ainsi, plusieurs citoyens se plaignent de l'ivresse des soldats et de ce qui en découle : tapage, vols, vandalisme, viols et meurtres. Parmi les nombreux exemples de citoyens qui en souffrent se trouve celui de Joseph-François Perrault, greffier de la cour. À l'hiver 1800, en revenant chez lui avec sa femme, il fait la rencontre de soldats ivres et turbulents à la porte même de leur demeure; " saisie d'une très vive frayeur, Ursule Perrault, qui attend un enfant, meurt le lendemain. " De tels cas contribuent à bâtir la mauvaise réputation des soldats britanniques et à créer une certaine tension entre ceux-ci et la population civile.

Peu de mariages

Les mariages entre soldats et civils sont rares. Les règles de l'armée sont strictes et restrictives quant au mariage : les soldats doivent obtenir une permission spéciale pour se marier et une autre autorisation pour pouvoir amener leur famille au Canada. On n'accepte qu'environ six femmes pour cent soldats. À cause de ces règles, peu de soldats sont mariés et, comme les permissions sont accordées selon la bonne conduite et l'ancienneté, ceux qui peuvent se marier le font à un âge relativement avancé. Dans le cas des soldats de passage à Québec, l'origine ethnique et la langue constituent, encore une fois, des obstacles à de telles relations. De toutes façons, les quelques soldats mariés le sont généralement avec des femmes de même origine ethnique.

À cause de ces restrictions, les soldats, célibataires dans une grande proportion, fréquentent les prostituées. Québec étant une ville dont l'activité portuaire amène une population flottante importante, les " lieux de débauche " et les filles " de basses mœurs " sont nombreux. Les soldats ne manquent pas de profiter de cette situation. Évidemment, il ne saurait alors être question de mariages. Cela ne contribue certes pas à améliorer la réputation des militaires auprès des civils.

Conclusion

En plus d'un siècle de fréquentations, militaires britanniques et civils de Québec ont entretenu des relations fort variées, et il appert que la nature de celles-ci fut tout particulièrement influencée par l'origine ethnique et, surtout, par le rang social des principaux acteurs. Si les officiers s'intégrèrent assez bien à la vie mondaine de l'élite de Québec, les soldats eurent des relations distantes et souvent tendues avec les citoyens. Malgré ces tensions, le départ des troupes anglaise à l'été 1871 laissa un vide dans la ville. Outre les bâtiments militaires, les soldats britanniques auront laissé bien des souvenirs, bons et moins bons, dans l'esprit des Québécois. Plusieurs regrettèrent les défilés ou simplement la présence rassurante des soldats. D'autres furent soulagés de voir partir les soldats turbulents. Mais au-delà des souvenirs, c'est une partie de sa population que Québec regardait partir. Il reste à savoir ce qui est resté de ces relations au lendemain du départ des troupes britanniques. Car si les marques laissées par les bâtiments apparaissent encore aujourd'hui évidentes, celles laissées dans la vie de tous les jours semblent encore difficile à saisir.

Etienne Massicotte

Bibliographie

Hare, John, Marc Lafrance et David-Thiery Ruddel, Histoire de la ville de Québec, 1608-1871, Montréal, Boréal/Musée canadiens des civilisations, 1993.

Rioux, Christian, La garnison britannique à Québec, Ottawa, Patrimoine canadien, Parcs Canada, 1996. Études en archéologie, architecture et histoire.

Rioux, Christian, La présence du régiment Royal Artillery à Québec de 1759 à 1871, Hull, Parcs Canada, 1982. Histoire et archéologie; 57.

Ruddel, David-Thiery, Québec, 1765-1832, L'évolution d'une ville coloniale. Hull, Musée canadien des civilisations, 1991. Dossier d'histoire, no 4.

 

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