Orateur d'une exceptionnelle éloquence, Louis-Joseph Papineau prononce des discours qui enthousiasment les foules et les soulèvent. À l'assemblée de Saint-Laurent, tenue le 15 mai 1837, il tente au contraire de calmer les patriotes venus en foule, en leur déconseillant la révolte armée et en les invitant à plutôt boycotter les produits importés d'Angleterre et vendus par les marchands anglais du Bas-Canada. Il s 'inspire ainsi d'une stratégie utilisée par les Américains dans la première phase de leur lutte pour l 'indépendance. Nous donnons ici des extraits de ce discours tels que publiés dans Histoire du Canada par les textes.
[...] Il y a quelques années lorsque votre ancien représentant, toujours fidèle à vos intérêts et que vous venez de choisir pour présider cette assemblée, vous servait au parlement, lorsque bientôt après lui, j'entrais dans la vie publique, en 1810, un mauvais gouverneur jetait les représentants en prison; depuis ce temps les représentants ont chassé les mauvais gouverneurs.
Autrefois, pour gouverner et mettre à l'abri des plaintes de l'assemblée les bas courtisans ses complices, le tyran Craig était obligé de se montrer, pour faire peur, comme bien plus méchant qu'il n'était. Il n'a pas réussi à faire peur. Le peuple s'est moqué de lui, et des proclamations royales, des mandements et des sermons déplacés, arrachés par surprise, et fulminés pour le frapper de terreur.
Aujourd'hui pour gouverner, et mettre les bas courtisans ses complices à l'abri de la punition que leur ajustement infligée l'assemblée, le gouverneur est obligé de se montrer larmoyant pour faire pitié, et de se donner pour bien meilleur qu'il n'est en réalité. Il s'est fait humble et caressant pour tromper.
Le miel, sur les lèvres, le fiel dans le cœur, il a fait plus de mal par ses artifices que ses prédécesseurs n'en ont fait par leurs violences; néanmoins le mal n'est pas consommé, et ses artifices sont usés; la publication de ses instructions qu'il avait mutilées et mésinterprétées, la publication des rapports, dans lesquels l'on admet que cette ruse lui était nécessaire pour qu'il pût débuter dans son administration avec quelque chance de succès, ont fait tomber le masque.
Il peut acheter quelques traîtres, il ne peut plus tromper des patriotes. Et comme dans un pays honnête le nombre des lâches qui sont en vente et à l'encan ne peut pas être considérable, ils ne sont pas à craindre. [...]
Je dois le dire, ce n'est ni la peur ni le scrupule qui me porte à dire que l'heure n'a pas sonné où nous devons répondre à cet appel (aux armes). Ce n'est pas la peur: si la nécessité y était, la force du pays, dans son éloignement de l'Angleterre et sa proximité des États-Unis, pourrait effectuer cet objet.
Ce n'est pas le scrupule; quiconque est familiarisé avec la connaissance de l'histoire de la juste et glorieuse révolution des États-Unis, voit un concert si unanime des hommes les plus éclairés et les plus vertueux de tous les pays du monde, qui applaudissent à la résistance héroïque et morale qu'opposèrent les Américains à l'usurpation du Parlement britannique, qui voulut les dépouiller et approprier leur revenu, comme il prétend aujourd'hui faire du nôtre, que ce serait pour ainsi dire s'associer aux réputations les plus grandes et les plus pures des temps modernes que de marcher avec succès dans la voie qu'ont tracée les Patriotes de 74.
La situation des deux pays est différente, et nos amis d'Angleterre ne la comprennent pas, quand ils nous croient dignes de blâme et une race inférieure, si nous ne résistons pas de suite. Je connais un peu mon pays pour avoir étudié son histoire, pour avoir été par les circonstances, jeté depuis trente ans de la manière la plus active dans les embarras de la vie publique [...]
Le flot démocratique a coulé irrésistiblement par une pente qui devenant de plus en plus rapide, renversera sans violents efforts les impuissants obstacles que l'on peut tenter de lui opposer. Dans ces circonstances, faut-il abattre, ou n'est-il pas mieux d'user un mauvais gouvernement par la résistance constitutionnelle que l'on peut, que l'on doit lui faire éprouver en parlement? [...]
Quels conseils nous ont donnés ceux de nos amis qui ont si honorablement pris notre défense en parlement? Ils ont dit aux ministres: Les Canadiens sauront vous punir, et se combiner pour appauvrir votre commerce et votre revenu [...]
C'est la marche qu'ont pris les Américains, dix ans avant de combattre. Ils ont bien commencé, et ils ont bien fini dans des circonstances semblables à celles où nous sommes placés. Nous n'en sommes qu'à bien commencer [...] Je crois que nous devons prendre l'engagement de discontinuer l'usage des vins, eaux de vie, rhums et de toutes autres liqueurs spiritueuses, importées et taxées. L'on trouvera l'avantage public et particulier dans l'abstinence de ces objets. Mais qu'au moins, ceux qui croient trouver de l'utilité dans l'usage des spiritueux consomment ceux qui sont fabriqués dans le pays, plutôt que ceux qui viennent du dehors [...]
Source: Guy Frégault et Marcel Trudel, Histoire du Canada par les textes, Tome 1 (1534-1854), Ottawa, Fides, 1963, p. 199-200 (extraits).