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Mardi, le 3 septembre 1939, le capitaine François Jalbert s'avance à la barre du Palais de justice de Montréal après une incarcération de près de deux ans. Il est accusé, lui et ses complices, Jean-Baptiste Maillet, Joseph Pratte et Louis Lussier, d'avoir mis à mort, le 23 novembre 1837, le lieutenant George Weir, du 32e régiment de Sa Majesté. Seul Jalbert est présent, les autres s'étant réfugiés aux États-Unis.
À la veille de la bataille de St-Denis, le lieutenant Weir est porteur d'une dépêche à l'intention du capitaine Crompton, commandant de la garnison de Sorel. Toutefois, à cause de la mauvaise qualité des chemins, Weir arrive trop tard à Sorel, l'armée de Crompton étant déjà en chemin vers St-Denis afin de rejoindre celle du colonel Gore. Ignorant le détour adopté par les troupes, Weir se dirige en calèche sur la route normale et arrive à destination avant ceux-ci. Il est alors accueilli par une patrouille patriote qui le conduit à Nelson. Se croyant à l'abri, vêtu d'habits civils, il est reconnu par le député Ovide Perreault et devient prisonnier. Se demandant ce qu'ils comptent faire de lui, Nelson lui répond: "Nous allons vous respecter comme nous voudrions qu'on nous traitât nous-mêmes dans une semblable occasion. [...] J'exige votre parole d'honneur que vous ne tenterez pas de vous échapper et de nous trahir" (Filteau, 1942 : 15). Le lieutenant donne sa parole mais ne la tiendra pas.
À l'approche des troupes de Gore, Weir est confié à un groupe de Patriotes qui a pour mission de l'amener à St-Charles. Le lieutenant a les mains et les pieds liés et commence à geler. François Mignault étant présent, le prend en pitié et lui délie les mains afin de lui prêter des gants. On prend soin toutefois de le ceinturer d'une solide courroie,mais en entendant les troupes qui s'amènent, Weir décide de s'évader et de sauter hors de la voiture. La courroie qui le retenait le fait tomber à genoux et Jean-Baptiste Maillet le rejoint et se met à le frapper avec une ancienne épée française. Joseph Pratte, l'instituteur du village, passait près du chemin et se met à le frapper à son tour avec un gros sabre de dragon (David, 1884: 158). Finalement, Mignault vint les arrêter alors que la foule s'était rassemblée pour demander sa grâce. Weir se tord de douleur en plein milieu du chemin. Louis Lussier sort alors un pistolet et prend en joue l'officier étendu par terre, mais le fusil fait fausse amorce. Il se reprend à trois reprises et le touche en pleine poitrine. Mignault et Maillet prennent alors le corps et vont l'enterrer au bord de la rivière sous un tas de pierres (Rumilly, 1977: 515). Le capitaine François Jalbert qui du haut de son cheval avait assisté à la fin de l'exécution, saute par terre, trempe son épée dans la marre de sang, enfourche sa monture et se promène dans le village en répétant à qui voulait l'entendre de regarder une épée teinte de sang anglais. (Filteau, 1942: 23).
Jalbert et Lussier sont arrêtés par la suite, mais ce dernier arrive à s'enfuire de prison par l'entremise d'une garde qu'il avait corrompue. Jalbert ne profite pas de l'amnistie de Durham et doit subir son procès en septembre 1838; mais devant l'état de rage des Bureaucrates dû à la cause précédente (Le procès des prétendus meurtriers de Joseph Chartrand), la cause est remise à l'année suivante. C'est ainsi que le 3 septembre 1839 le procès s'amorce.
Jalbert est défendu par les avocats William Walker et Charles Mondelet face à l'accusation dirigée par le procureur général Charles Richard Ogden et le solliciteur général Andrew Stuart. Le jury est pour sa part composé de huit Canadiens et de quatre Britanniques (Rumilly, 1997: 166). Une quinzaine de témoins viennent comparaître, la plupart incriminant Mallet, Pratte et Lussier, et soutiennant que Weir était déjà mort à l'arrivée de Jalbert sur les lieux du crime. Dans son plaidoyer, Mondelet stipule que la participation de Jalbert n'a pu être prouvée, que l'accusation est mal fondée et que ce n'était pas une accusation de meurtre mais bien de haute-trahison qu'il aurait fallu porter. Ogden prend ensuite la parole et demande, dans un réquisitoire violent, que le prisonnier soit pendu.
Le jury commence à délibérer le 6 septembre mais n'arrive pas à s'entendre. Il se présente de nouveau à la cour à plusieurs reprises durant jours suivants, mais on en demeure au même point. Le lundi 9 septembre, l'un des membres, Edwin Atwater, déclare qu'ils sont dix en faveur de la clémence et deux pour le trouver coupable. La Cour renvoie le jury en délibération. Le lendemain, ils n'y a aucun changement et la Cour ajourne au soir même, à 11h30. Ce soir là, le jury répond encore une fois qu'il ne peut s'accorder; alors le juge Rolland déclare que le jury est congédié. L'assemblée est en colère, les cannes se lèvent, les bâtons se croisent, et les dix jurés qui étaient pour l'acquittement sont battus et subissent de graves blessures. David raconte que les Loyaux désabusés se dirigent vers la barre afin de brutaliser le prisonnier. Celui-ci est toutefois secouru par le geôlier et son adjoint. Ils sortent même leurs pistolets afin de menacer la foule et l'inviter à sortir. Les deux seuls jurés en faveur de la condamnation sont acclamés par la foule et portés en triomphe sur leurs épaules. Pour la presse anglophone, l'issue de ce procès remet toutefois en cause le système judiciaire. On lit dans le Montreal Gazette "une nouvelle preuve de l'extrême danger, de la grande folie et de l'absurde politique de confier le procès par jury, ce palladium de la liberté anglaise, à des individus qui n'apprécient pas la valeur de ce bienfait et qui ne possèdent pas l'intelligence nécessaire pour exercer les fonctions d'hommes libres." (Lacoursière, 1996: 416) Jalbert retourne pour sa part à St-Denis. Il ne mourra qu'en 1854.
Jean-François Pelletier
DAVID L.O., Les patriotes, Librairie Beauchemin ltée, Montréal, 1884, 297p.; FILTEAU Gérard, La prise d'armes et la victoire du nationalisme, Éditions modèles, Montréal, 1942, 286p.; LACOURSIÈRE Jacques, Histoire populaire du Québec Tome 2, Les éditions du Septentrion, Sillery, 1996, 446p.; RUMILLY Robert, Papineau et son temps, Tome 1, Éditions Fides, Montréal, 1977, 643p.; RUMILLY Robert, Papineau et son temps, Tome 2, Éditions Fides, Montréal, 1977, 594p.
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