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Au matin du 13 décembre, les troupes anglaises avaient quitté Montréal pour le comté de Deux-Montagnes sous le commandement du général Colborne en personne. Le 14 elles traversèrent la rivières des Mille-Isles à environ 5 kilomètres en aval de Saint-Eustache. Après avoir essuyé quelques coups de feu durant leur approche, les troupes encerclent le village à partir de midi. Les volontaires de Maximilien Globensky furent les premiers à entrer en contact avec les Patriotes. Un grand nombre de Patriotes se dispersèrent face au quelque 1600 soldats anglais. Les autres, environ 400, se réfugièrent dans l'église sous le commandement du docteur Chénier. Ils se défendirent avec acharnement jusqu'à ce que l'artillerie les déloge de leur forteresse. L'église, ainsi que plusieurs maisons furent incendiés. Environ 70 Patriotes perdirent la vie et 18 furent faits prisonniers. Le lendemain matin, vendredi 15 décembre, les troupes quittèrent Saint-Eustache pour Saint-Benoît où on s'attendait aussi à rencontrer de la résistance. Situé à l'embouchure de la petite Rivière-du-Chêne et aux abords de l'actuelle Rivière-des-Mille-Îles, le village de Saint-Eustache est véritablement le centre d'activités socio-économiques de la Seigneurie des Mille-Îles, à l'aube des événements de 1837. Dès la fin du XVIIIe siècle on observe l'établissement d'un noyau de commerces, d'artisans et de professionnels qui se forme autour de la place publique constituée du manoir seigneurial de la famille Dumont, du couvent, de l'église, du presbytère et, plus au nord, par le petit moulin (Grignon et Giroux, 1987: 33).Troisième région en importance au Bas-Canada pour sa population, la région du nord-ouest de Montréal n'a pas connu de problèmes économiques graves comme dans la vallée du Richelieu dans les années 1830 (Senior, 1997: 165). Selon John Colborne, commandant en chef des forces armées dans les deux Canadas, les chefs rebelles du comté des Deux-Montagnes (Girouard, Scott, Girod, Chénier, Dumouchel, Masson et Chartier) sont les plus actifs de la révolte et mieux préparés à une résistance armée que leurs compatriotes du Richelieu. Ainsi, le 14 décembre 1837, les troupes du général Colborne, qui ont quitté Montréal la journée précédente, traversent la Rivière-des-Mille-Îles à la hauteur de Sainte-Rose, à environ dix kilomètres à l'est de Saint-Eustache. On retrouve donc sous les ordres du général John Colborne deux brigades: la première, dirigée par le colonel John Maitland, est formée du 32e Régiment (600 soldats) du colonel Reid, du 83e Régiment (600 soldats) du capitaine Joseph Swinburne et du Royal Montreal Cavalry (52 volontaires) dirigé par le major Eleazar David. Cette dernière constitue l'escorte officielle de John Colborne. La deuxième brigade, sous le commandement du colonel George Augustus Wetherall (vainqueur à la bataille de Saint-Charles le 25 novembre précédent) est formée de la Royal Artillery (78 soldats) dirigée par le major Jackson, du Montreal Rifles Corps (53 volontaires) dirigé par le capitaine Pierre-Édouard Leclère, et par un détachement de 83 volontaires loyalistes de Saint-Eustache, le St.Eustache Loyal Volunteers (Grignon, 1995: 83) commandé par le capitaine Maximilien Globensky, qui a pour mission de couper la retraite des Patriotes sur la rivière des Mille-Îles, à l'arrière du village. La deuxième brigade est aussi appuyée par 45 volontaires du Queen's Light Dragoons commandée par le capitaine Thomas Walter Jones. À la suite de l'armée viennent des voitures chargées de munitions, de bagages, de provisions, de bois, d'outils et d'ouvriers de toutes sortes, pour construire des ponts au besoin, couper ou abattre des obstacles, etc (Boileau, 1994: 4). Au total, 1280 soldats réguliers et 220 volontaires arrivaient à Saint-Eustache en cette avant-midi du 14 décembre 1837. À 11h15, on sonne le tocsin qui annonce au village l'arrivée de l'ennemi. En fait, on a aperçu les volontaires de Globensky et de Leclère de l'autre côté de la rivière, croyant que c'était l'armée de Colborne. Chénier, à la tête de 150 hommes selon les uns (Boileau: 1994, 5) et de 300 selon les autres (Senior: 1997, 183), va à la rencontre des volontaires sur la glace. À ce moment, ces derniers reçoivent la mitraille des troupes de Colborne alors situées à moins d'un kilomètre du village sur la rive nord. La retraite se fait aussitôt vers le village où il ne reste qu'environ 250 personnes; la moitié des Patriotes avaient déjà fui les lieux de l'affrontement. Girod et Chénier placent donc leurs hommes dans le couvent, le presbytère, l'église et le manoir seigneurial qui forment ensembles la meilleure (et la seule) infrastructure de défense tandis que d'autres se postent dans la maison de W.-H. Scott et dans d'autres demeures avoisinantes. Disant qu'il allait tenter de retenir les fuyards, Girod parti à cheval en direction de Saint-Benoît où il fut reçu en déserteur par Girouard et les frères Masson. Quoi qu'il en soit, il se suicida d'une balle dans la tête trois jours plus tard. À Saint-Eustache, Chénier, qui a pris les commandes des insurgés, s'est retranché dans l'église avec une soixantaine d'hommes. Conscient que ses compatriotes enfermés dans l'église n'avaient pas d'armes, il leur répondit: " Soyez tranquille, il y en aura de tués et vous prendrez leurs fusils " (Boileau, 1994: 6). Vers midi, le village entier est encerclé sur cinq kilomètres par l'armée britannique. Pendant une heure, on poursuit le bombardement sur les principaux édifices où sont retranchés les insurgés, mais sans résultat significatif. À une heure, Colborne fait placer un de ses obusiers dans la grand rue pour enfoncer les portes de l'église, mais le feu nourri des Patriotes l'oblige à se replier où la rue fait un coude. Peu de temps après la canonnade fait place à la fusillade. Un groupe de soldats dirigé par le lieutenant Ned Wetherall réussit à pénétrer dans le presbytère et à y mettre le feu en renversant un poêle. Par la suite, le même sort devait attendre le couvent et le manoir seigneurial. Il ne reste plus que la gigantesque église qui résiste toujours à l'ennemi. Passé de justesse entre le feu des Patriotes, un groupe de soldats sous les ordres des lieutenants Daniel Lysons, A. H. Ormsby et Barthelemy Gugy réussirent à pénétrer dans l'église par la sacristie. Ils allument rapidement un feu derrière l'autel et en peu de temps les ornementations du temple catholique prennent feu. Se tenant pour la plupart dans les jubés, les rebelles qui veulent fuir n'ont pas d'autre choix que de sauter par les fenêtres (les escaliers du balcon ont été préalablement détruits par ordre de Chénier pour empêcher la fuite). Voyant que tout espoir est perdu, Chénier réunit ses hommes les plus braves et, ensemble, ils décident de sauter par les fenêtres. En mettant les pieds à terre, la plupart des Patriotes sont immédiatement atteints et Chénier est de ce nombre. " Il reçoit une première balle sous les côtes dans son flanc gauche, mais réussit tout de même à franchir une certaine distance en courant sous le feu des soldats. Il est touché une seconde fois et succombe derrière le cimetière non loin du couvent " (Senior, 1997: 192). Soulignons qu'il y a plusieurs versions de la mort du Dr Chénier qui varient selon les historiens. Bref, sa mort met fin à plus de quatre heures de combat intensif. Vers 4h30, le village de Saint-Eustache est en flamme. Effectivement, les volontaires loyalistes sont responsables de l'incendie d'une cinquantaine de maisons sur les 65 qui sont brûlées. Les autres étant le fruit des soldats britanniques (Saint-Eustache comptait alors 150 bâtiments avant la bataille; Giroux, 1998: 55). La plupart des résidences du village sont victimes du pillage par les soldats et les volontaires. Le total de Patriotes morts au combat s'élève à 70 et une quinzaine de blessés, tandis que du côté des Britanniques: un mort et huit blessés dont deux qui succomberont à leurs blessures (Senior, 1997: 192). Les blessés, tant patriotes que britanniques, sont amenés dans l'auberge Addison transformée pour l'occasion en hôpital. De plus, 118 rebelles sont fait prisonniers (Senior, 1997: 192). Ils sont incarcérés dans le hangar d'Émery Féré. Jusqu'à cette triste journée du mois de décembre, Saint-Eustache, aux dires de la Gazette du 16 décembre 1837, " était un centre social et intellectuel qui n'était devancé que par Montréal, Québec et Trois-Rivières ". Le joli village qu'il était allait conserver à jamais les nombreuses cicatrices infligées par le " vieux brûlot " lors de la célèbre bataille du 14 décembre 1837. Jonathan Lemire BERNARD, Jean-Paul. Les rébellions de 1837-1838. Montréal, Boréal Express, 1983. 350 pages.; BOILEAU, Gilles. Le 14 décembre 1837 à Saint-Eustache. Extrait du Journal Historique de Messire Jacques Paquin, curé de Saint-Eustache. Les cahiers du Musée des Patriotes de Saint-Eustache, numéro 1, juin 1994. 16 pages.; DAVID, Lorent-Olivier. Les Patriotes de 1837-1838. Montréal, Comeau & Nadeau, 2000, édition originale parue en 1884. 360 pages.; DUBOIS, Émile. Le feu de la Rivière-du-Chêne. Étude historique sur le mouvement insurectionnel de 1837 au nord de Montréal (1937). Éditions de Méridien, texte présenté par Gilles Boileau, 1998. 205 pages.; GIROUX, André. " Les pertes matérielles dans le village de Saint-Eustache ". La Revue des Deux-Montagnes, numéro 10, octobre 1998. Pages 43-57.; GRIGNON, Claude-Henri et André Giroux. Fête du 150e anniversaire des Patriotes. Éditions Corporation des fêtes de Saint-Eustache 1987, 2e trimestre 1987. 111 pages.; GRIGNON, Claude-Henri. " The St.Eustache Loyal Volunteers ". La Revue des Deux-Montagnes, numéro 2, octobre 1995. Pages 83-86. ;SENIOR, Elinor Kyte. Les habits rouges et les Patriotes. Montréal, vlb Éditeur, 1997, Édition originale parue en 1985 sous le titre Redcoats and Patriots. 313 pages.
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