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Médecin, propriétaire et rédacteur en chef du journal le Vindicator, homme politique. Figure emblématique des Rébellions de 1837-1838, nous savons pourtant peu de chose de cet homme dont la brève présence en sol canadien (1825-1832) allait marquer notre histoire. Sa date de naissance nous est ainsi inconnue, mais il serait né en Irlande vers 1794 dans le comté de King (DBC, 1966 : 864). Son épitaphe indique cependant qu'il était natif de Roscrea, dans le comté de Tipperary (BHR, 1927 : 492). Il serait fils de Denys ou Michael Tracey, marchand, et d'Ann Manford ou Mainfold. Issu d'une famille catholique et très tôt orphelin, il aurait été recueilli avec son frère John et sa sœur Ann par un de ses oncles. A l'âge de vingt ans, en 1814, nous le retrouvons au Trinity College de l'University of Dublin d'où il gradue pour entreprendre vraisemblablement des études de médecine au Royal College of Surgeon de Dublin. Admis à la pratique de la médecine et de la chirurgie qu'il pratique dans cette ville, son talent est vite reconnu. On lui attribue cependant une grande hostilité envers le gouvernement britannique, qui exerce alors un pouvoir despotique sur les catholiques irlandais. Peut-être poussé par la surpopulation, la famine ou la situation politique en Irlande, Daniel Tracey arrive à Montréal en 1825 accompagné de son frère et de sa sœur.Daniel Tracey met peu de temps à faire sa marque dans son nouveau milieu. Toujours hostile au gouvernement britannique, il trouve dans ce Bas-Canada en pleine mutation un terrain fertile où exprimer son mécontentement. Catholique et Irlandais, il devient rapidement une figure importante de la communauté irlandaise de Montréal. Quoique difficilement chiffrable, cette communauté ne cesse d'augmenter en nombre depuis 1818 alors que l'immigration des Irlandais se fait de plus en plus intense à Québec et à Montréal. Bien que de langue anglaise, les Irlandais se découvrent rapidement des affinités avec les Canadiens français à travers leurs aspirations nationales et leur confession religieuse commune. Daniel Tracey développe ainsi rapidement un intérêt pour la politique. En décembre 1827, deux ans à peine après son arrivée au Bas-Canada, il participe activement au mouvement de protestation contre le gouverneur Dalhousie qui refuse de reconnaître la nomination de Louis-Joseph Papineau comme président de la Chambre d'Assemblée. Cette décision provoque un tollé. Partout des assemblées s'organisent et des pétitions se mettent en branle. A cette occasion, Daniel Tracey reçoit la signature de 400 Irlandais de la rivière du Nord, dans le comté d'York " demandant le rappel de Son Excellence George, comte de Dalhousie, le gouverneur actuel " (Lacoursière, 1996 : 242). Un an plus tard, le 12 décembre 1828, Daniel Tracey fonde un journal bi-hebdomadaire, l'Irish Vindicator and Canada General Advertiser qui deviendra le Vindicator and Canadian Advertiser, mieux connu sous son diminutif le Vindicator. Défenseur à la fois de la cause irlandaise et des Canadiens français, ce journal politique d'inspiration libérale, dont la devise est " Justice to all classes; monopolies and exclusive privileges to none ", s'inscrit dans la continuité du Canadian Spectator et de son journaliste irlandais Jocelyn Waller. Il se révèle rapidement aussi revendicateur et audacieux que le journal La Minerve de Ludger Duvernay. Daniel Tracey et son collègue et ami, le docteur Edmund Bailey O'Callaghan, qui agit comme éditeur-adjoint, sont de fervents admirateurs de Louis-Joseph Papineau, qu'ils considèrent comme le Daniel O'Connell des Canadiens français. Deux événements vont permettre à Daniel Tracey de laisser sa trace dans l'historiographie des rébellions. Le premier est son arrestation pour diffamation envers le Conseil législatif et, le second, son élection comme député du Quartier-Ouest de Montréal. Dans un éditorial du Vindicator daté du 3 janvier 1832, Tracey propose, comme son collègue Duvernay de La Minerve, dans un article du 9 janvier, l'abolition du Conseil législatif qui constitue à ses yeux une nuisance, une entrave à la démocratie. Ils sont tous deux arrêtés le 13 janvier suivant et conduit à Québec. Reconnu pour sa grande susceptibilité - c'est tout de même la première fois que le Conseil législatif ordonne une arrestation (Mullally, 1934 : 40) - Daniel Tracey, qui assume entièrement ses propos, est emprisonné du 17 janvier au 25 février 1832. Une fois libéré, il est accueilli en véritable héros national tout le long du trajet entre Québec et Montréal. Une foule considérable attend d'ailleurs nos deux hommes à Montréal où ils reçoivent les salutations de Papineau ainsi qu'une médaille en or. Ce nouveau prestige acquis par Daniel Tracey lui assure l'appui de la population patriote alors qu'il se présente deux mois plus tard comme candidat à une élection partielle. L'élection partielle du Quartier-Ouest du printemps 1832 est un événement-clé qui témoigne de l'acuité des problèmes ethniques, sociaux et politiques que vit alors le Bas-Canada. Elle débute le 25 avril 1832 et vise à remplacer le député démissionnaire John Fisher. Daniel Tracey se présente alors comme candidat. Défenseur de la cause patriote, il est appuyé par de nombreux Irlandais et par des Canadiens français tels que Louis-Joseph Papineau, Louis-Hippolyte Lafontaine, Côme-Séraphin Cherrier, Jacob De Witt ainsi que par la plupart des artisans, agriculteurs, charretiers et journaliers que comptait cette circonscription (Galarneau, 1979 : 573). Son programme est clair : il veut le contrôle de la liste civile, une réforme du Conseil législatif et il s'inquiète des visées de la British American Lands Company qui agirait contre les intérêts des Canadiens. Son opposant bureaucrate, Stanley Bagg, influent marchand anglais d'origine américaine, est appuyé par les Anglais, les Écossais et quelques Canadiens. L'élection s'étend sur 23 jours de scrutin marqués par la violence entre partisans des deux groupes. Le vingt-deuxième jour de l'élection connaît un dénouement tragique et sanglant. Alors que Tracey mène le scrutin par trois voix, les esprits s'échauffent sur la Place d'Armes et des magistrats supporteurs de Bagg font intervenir l'armée britannique qui ouvre le feu sur la foule en laissant sans vie trois Canadiens français. Le lendemain, le 22 mai 1832, Tracey reçoit une voix de plus et est officiellement élu député du Quartier-Ouest. Un mois plus tard, le choléra apparaît à Montréal. Daniel Tracey, ayant à peine eu le temps de siéger à l'Assemblée, exerce sa profession de médecin et soigne les victimes de la terrible maladie; il la contracte à son tour et décède le mois suivant, le 18 juillet 1832. Célibataire, il laisse dans le deuil son frère et sa sœur. Son journal est racheté par Édouard-Raymond Fabre qui en confie la direction à son ami Edmund Bailey O'Callaghan. Au moment de rendre son dernier souffle, une foule de 400 à 500 personnes veillait à sa porte. Ses dernières paroles confirmaient l'amour qu'il portait à la cause des Canadiens français : " Dites-leur que mon dernier soupir et ma dernière pensée iront pour eux " (Lacoursière,1996 : 277). Normand Trudel Galarneau, France, Tracey, Daniel, DBC, PUL, 1966, vol.6: 864-865.; Galarneau, France, L'élection dans le quartier-ouest de Montréal en 1832: analyse politico-sociale, RHAF, vol.32 (1978-1979), 4 :565-584.; Mullally, E. J., Dr. Daniel Tracey, a pioneer worker for responsible government in Canada, La Société canadienne d'histoire de l'Église catholique, 2 (1932): 33-45.; Lapalice, Ovide, Le docteur Daniel Tracey, Bulletin des recherches historique, 33 (1927): 492-493.; Lacoursière, Jacques, Histoire populaire du Québec, tome 2, de 1791 à 1841, Montréal, Septentrion, 1996, 446 p.
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