|
Le comté de Deux-Montagnes est créé en 1830 avec le fractionnement du comté d'York en trois parties, soit Ottawa, Vaudreuil et Deux-Montagnes. Le comté de Deux-Montagnes est borné à l'est par le comté de Terrebonne, au sud par la rivière des Outaouais et le lac des Deux-Montagnes, à l'ouest par les limites ouest des paroisses de Saint-Benoît, Sainte-Scholastique et Saint-Colomban et enfin, au nord, par les limites du township de Gore. Il comprend les paroisses de Saint-Benoît, Sainte-Scholastique, Saint-Colomban, Saint-Augustin, Saint-Eustache, la mission du lac des Deux-Montagnes, une partie de la paroisse de Saint-Jérôme ainsi qu'une partie du Township de Morin (Courville, 1988 :55). Le comté est composé de trois seigneuries principales soit, la seigneurie du Lac des Deux-Montagnes, la seigneurie de la Rivière-du-Chêne, la seigneurie de Blainville et d'Argenteuil ainsi que les cantons de Gore, Chatham et Glengarry.
Dans les seigneuries, le peuplement se fait plutôt lentement. Après 1755, le peuplement s'accélère et se concentre surtout à l'embouchure des différents cours d'eau. Vers 1830, les seigneuries de Blainville et de la Rivière-du-Chêne sont emplies à pleine capacité. Les nouveaux arrivants sont donc dirigés vers la seigneurie du lac des Deux-Montagnes. Les Sulpiciens ont été contraints d'ouvrir à la colonisation canadienne les portes de Deux-Montagnes, un territoire qui était réservé pour la mission amérindienne d'Oka (Laurin,2000 :31). Puis, entre les années 1779 et 1790, la population s'établit progressivement de part et d'autre de la rivière au Prince et de la rivière du Chêne ainsi que le long de la côte Saint-Jean à Saint-Benoît, en raison de la fertilité des terres à ces endroits. Il y aura aussi une concentration de population le long des côtes Saint-Étienne et Saint-Vincent à Saint-Placide ainsi que le long de la côte Saint-Joseph à Saint-Joseph-du-lac.
Le comté est bien desservi en terme d'irrigation. Le lac des Deux-Montagnes, la Grande et la petite rivière-du-Chêne, la rivière du Nord, la rivière au Prince, la Belle rivière et la rivière Saint-Jean permettent de bien arroser les terres et de donner un sol bon, gras et fertile propice à faire pousser différentes sortes de grains et de production agricole (Bouchette, 1815 :108). L'activité économique la plus importante est l'exploitation du blé qui représente environ 80% de toute la production agricole. Le comté semble particulièrement affecté par la crise agricole de 1830. Selon Giroux (1986 :19), les techniques de culture désuètes, la rareté des terres et l'accroissement rapide de la population sont les facteurs qui contribuent à augmenter les difficultés des agriculteurs. Peu à peu, la culture du blé sera remplacée par celle de la pomme de terre et de l'avoine, tout comme l'augmentation de l'élevage dans le comté de Deux-Montagnes. L'exploitation forestière est la deuxième activité économique en importance dans le comté. Plusieurs chantiers d'exploitation forestière situés en bordure de la rivière du Nord fournissent du travail durant la période hivernale à des journaliers pratiquant la coupe dans Deux-Montagnes. C'est ce qui explique la présence de cinq moulins à scie dans la seigneurie de la rivière-du-Chêne et de six dans celle de Blainville, qui pour la plupart, desservent des clients régionaux (Laurin, 2000 :34). Les principales essences d'arbre présentes dans le comté sont selon Bouchette le frêne, l'érable, l'hêtre, le chêne et le bouleau.
Le comté de Deux-Montagnes est le plus affecté sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent par la Rébellion. Ce comté est composé d'anglophones et de francophones. On y retrouve 435 membres loyaux actifs contre 213 membres patriotes (Patriotes, 2000). À Saint-Eustache et Saint-Scholastique se trouvent des familles ayant un mépris pour les gens d'origine française, tandis qu'on retrouve des orangistes à Saint-Hermas et dans une autre partie de Saint-Scholastique. Enfin, il y a des loyalistes américains émigrés au Canada dans Saint-André, Carillon et dans les cantons de Gore, Chatham et Glengarry (Dubois, 1937 :50). Cette répartition est due au nouveau découpage des comtés effectué par le gouvernement britannique. La seigneurie du Lac des Deux-Montagnes, la seigneurie de la Rivière-du-Chêne, la seigneurie d'Argenteuil ainsi que les cantons de Gore et Chatham sont peuplés d'immigrants d'origine britannique.
Dès juin 1827, les résidents du comté de Deux-Montagnes tiennent une assemblée à Saint-Eustache. Cette assemblée a pour but d'exprimer leur attachement envers le souverain britannique puisque celui-ci a accordé le gouvernement constitutionnel. Cependant, dans un texte de dix-sept résolutions, les résidents dénoncent les reproches dirigés envers les députés canadiens-français. C'est à cette assemblée qu'est fondé le premier comité de correspondance. On y trouve déjà William H. Scott, Jacques Labris et Jean-Baptiste Dumouchel. Le 10 juillet, les Loyaux (Globensky, Dumont, de Bellefeuille et Dorion) tiennent une assemblée de protestation pour répondre à l'assemblée des Patriotes. C'est la formation des deux clans qui s'affrontent dans le comté de Deux-Montagnes.
En 1832, on tient une assemblée afin de protester contre les abus et le favoritisme dans la concession des terres. On crée un comité de trente-quatre membres chargé de veiller aux intérêts canadiens. En 1834, lors de l'élection générale, Girouard et Scott se présentent pour le Parti patriote en reprochant à leurs adversaires Brown et Globensky leur esprit exclusif. Les principaux points débattus lors de cette élection sont la question des subsides et la répartition des droits de douanes. Les bureaucrates tentent par tous les moyens de se faire élire : violence, attaques... La cavalerie doit intervenir pour limiter les brutalités. Scott et Girouard sont élus, mais "le comté a déjà développé une haine profonde" contre les bureaucrates (Dubois, 1937 :66). À la suite de la proclamation de Gosford de 1837 visant à interdire les assemblées, les Patriotes du comté de Deux-Montagnes décident d'aller attaquer les propriétés des bureaucrates et des "Anglais" de la région en scandant "À bas les résolutions Russell, à bas la proclamation!" (Dubois, 1937 :79).
Le mouvement d'opposition au gouverneur anglais est de plus en plus fort. On lui reproche de faire du favoritisme en ce qui concerne l'octroi de postes administratifs et de terres et au Conseil exécutif, de prendre des décisions arbitraires. À compter de 1836, l'assemblée patriote de Saint-Benoît décide de ne plus acheter des produits des manufactures britanniques afin de mettre plus de pression. L'adoption des résolutions Russell a un effet particulièrement fort dans le comté de Deux-Montagnes et l'agitation augmente considérablement. Les villages de Saint-Eustache (Jean-Olivier Chénier et William Henry Scott) et de Saint-Benoît (Jean-Joseph Girouard) sont ceux qui sont les plus mobilisés.
Durant l'été 1837, l'agitation est à son plus haut niveau dans le comté de Deux-Montagnes. En juin, on tient une assemblée à Sainte-Scholastique où sont adoptées les résolutions de Saint-Ours visant à effectuer de la contrebande avec les Amérindiens dans le but de nuire aux marchands britanniques. Dès octobre, Girouard, Masson et Chénier sont reconnus comme les chefs patriotes du comté. À l'assemblée de Saint-Benoît le 1er octobre, on décide de former un corps de milice constitué de volontaires et d'élire des juges de paix à la suite du congédiement des derniers juges de paix soupçonnés d'allégeance au Parti patriote par le gouvernement. Ce corps de milice est chargé dans chaque paroisse de s'exercer au maniement des armes et aux mouvements de troupes légères (Bernard, 1983, 100). En agissant ainsi, le comté de Deux-Montagnes est en train de se constituer un gouvernement parallèle qui est en fait un geste ouvert de rébellion (Laurin, 2000 : 50).
Le comté de Deux-Montagnes est particulièrement réprimé durant les Rébellions. C'est là qu'a lieu la bataille de Saint-Eustache où l'église est incendiée le 14 décembre 1837. Le 15 décembre, on attaque aussi le village de Saint-Benoît qui lui, est entièrement pillé et saccagé malgré l'absence de combat. Après la Rébellion de 1837, le comté de Deux-Montagnes connaît une diminution importante de sa population. Plusieurs jeunes colons se dirigent vers les États-Unis ou Montréal, alors que ceux qui restent pratiquent l'agriculture de subsistance (Giroux, 1986 :21).
Marie-France Rochon
BERNARD, Jean-Paul, Les rébellions de 1837-1838, Montréal, Éditions Boréal express, 1983, 345 pages.; BOUCHETTE, Joseph, Description topographique du Canada 1815, réédition de 1978, Éditions Élysée, 664 pages.; COURVILLE, Serge, dir., Paroisses et municipalités de la région de Montréal au XIXè siècle (1825-1861) : répertoire documentaire et cartographique, Québec, Éditions PUL, 1988, 350 pages.; DUBOIS, Abbé Émile, Le feu de la Rivière-du-Chêne, Étude historique sur le mouvement insurrectionnel de 1837 au nord de Montréal, Saint-Jérôme, 1937.; GIROUX, André, CHAPDELAINE, Claude, Histoire du territoire de la municipalité régionale de comté de Deux-Montagnes, 1986, 38 pages.; LAURIN, Serge, Les régions du Québec (histoire en bref) : Les Laurentides, Québec, Éditions de l'IQRC, 2000, 190 pages.
| |