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La rébellion de quelques milliers de Canadiens français contre les autorités britanniques à l'automne de 1837 et de 1838 représente un fait unique au XIXe siècle. Les historiens ne s'entendent pas toutefois sur les causes et sur la signification de ces événements. Pour certains, ces événements ont une signification sociale, c'est-à-dire qu'ils y voient la manifestation d'une lutte entre classes sociales. Pour d'autres, ils revêtent une signification ethnique, soit une lutte entre deux nations. Pour d'autres enfin, les Rébellions ont une signification politique, puisque fondamentalement elles opposent des partis et des doctrines politiques (aristocratie contre démocratie). Nous proposons ici neuf constats posés par des historiens et qui dressent un éventail sommaire des interprétations des Rébellions de 1837-38.
Regroupez ces historiens selon leur interprétation en justifiant votre choix et en faisant les nuances qui s'imposent.
1. Lord Durham en 1839
La tranquillité de chacune des provinces de l'Amérique du nord, à cause des conflits entre l'Exécutif et les représentants du peuple, était sujette aux discordes continuelles. Les Constitutions de ces colonies, le caractère officiel et la position des rivaux, l'objet avoué de leurs querelles, les principes soutenus de part et d'autre, tout cela était si semblable que je dus adopter l'opinion commune que la querelle généralisée était la conséquence de quelque défaut identique de ces provinces. Je la regardai comme une de ces querelles auxquelles nous ont habitués l'histoire d l'Europe et la connaissance des hommes: une querelle entre une peuple qui demande un accroissement des privilèges populaires d'un côté, de l'autre, un Exécutif qui défend les prérogatives qu'il estime nécessaires au maintien de l'ordre. (...) Par suite des circonstances spéciales où je me trouvai, j'ai pu faire un examen assez juste pour me convaincre qu'il y avait eu dans la Constitution de la province, dans l'équilibre des pouvoirs politiques, dans l'esprit et dans la pratique administrative de chaque service du Gouvernement, des défauts très suffisants pour expliquer en grande partie la mauvaise administration et mécontentement.Mais aussi j'ai été convaincu qu'il existait une cause beaucoup plus profonde et plus radicale des dissensions particulières et désastreuses dans la province - une cause qui surgissait du fond des institutions politiques à la surface de l'ordre social - une cause que ne pourraient corriger ni des réformes constitutionnelle ni des lois qui ne changeraient en rien les éléments de la société. Cette cause, il faut la faire disparaître avant d'attendre le succès de toute autre tentative capable de porter remède aux maux de la malheureuse province. Je m'attendais à trouver un conflit entre un gouvernement et un peuple; je trouvai deux nations en guerre au sein d'un même État; je trouvai en lutte, non des principes, mais des races. Je m'en aperçus: il serait vain de vouloir améliorer les lois et les institutions avant que d'avoir réussi à exterminer la haine mortelle qui maintenant divise les habitants du Bas-Canada en deux groupes hostiles: Français et Anglais. Tiré de HAMEL, Marcel-Pierre,
Le Rapport de Durham (Éd. de Québec, 1945): 68.
2. Garneau en 1845 Car, quant à la justice de leur cause, ils avaient infiniment plus de droit de renverser leur gouvernement que n'en avaient l'Angleterre elle-même en 1688, et les États-Unis en 1775, parce que c'est contre leur nationalité, cette propriété la plus sacrée d'un peuple, que le bureau colonial dirigeait ses coups GARNEAU, François-Xavier. Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours. 5e édition. Paris, Alcan, 1913-1920. t. 2: 652.
3. Fraser en 1890
The time will come when the memories of Canada's rebel dead of 1837 and 1838 will be revered and held sacred in every British Colony, distant or near, as the fathers of colonial responsible government FRASER, John. Canadian Pen and Ink Sketches, Montréal, 1890: 82-83.
4. Séguin en 1968
La révolte de 1837 est, en réalité, un double soulèvement: soulèvement des Britanniques du Bas-Canada contre la menace d'une république canadienne-française, soulèvement de la section la plus avancée des nationalistes canadiens-français contre la domination anglaise. Séguin, Maurice. L'idée d'indépendance au Québec. Genèse et historique. Trois-Rivières, Boréal Express, 1968: 33.
5. Ouellet en 1976
Les insurrections de 1837-38 peuvent être définies d'abord comme un mouvement d'indépendance nationale dirigé par les classes moyennes canadiennes-françaises et à leur profit... Cette élite révolutionnaire voit l'avenir en fonction d'une économie agricole et de la survivance de l'ancien régime social. L'indépendance, en brisant les deux secteurs les plus dynamiques de l'économie: le commerce du bois et le trafic des céréales avec l'ouest, aurait enraciné le sous-développement pendant plusieurs décennies et renforcé les seigneurs et le clergé. C'est en fonction de ces vues et de ces objectifs que les nationalistes font appel à la masse et la mobilisent en 1837-38. L'échec des insurrections peut sans doute s'expliquer par l'attachement excessif des classes moyennes canadiennes-françaises à leurs intérêts à court terme. Il peut aussi provenir du fait qu'elles n'étaient pas vraiment révolutionnaires, qu'au fond elles traversaient une crise de croissance et qu'elles étaient à la recherche d'une place et d'un statut dans la société. Ainsi s'expliquerait l'extraordinaire pauvreté du leadership fourni par les révolutionnaires des classes moyennes. OUELLET, Fernand. Le Bas-Canada 1791-1840. Changements structuraux et crise. Ottawa, Éditions de l'Université d'Ottawa, 1976: 484, 485, 487.
6. Bernier en 1981
Un élément qui illustre bien qu'il serait abusif de réduire les événements des années 1830 à la confrontation de deux ethnies est la présence d'anglophones dans le Parti patriote. On les retrouve dans des rôles les plus divers: députés, candidats, tribuns, membres des appareils de soutien. Des noms tels ceux de John Neilson, des deux frères Nelson, de O'Callaghan, de T.S. Brown, de Daniel Tracey, W.H. Scott viennent immédiatement à l'esprit. L'adhésion de ces individus au parti semble se faire sur une base idéologique et sur la convergence d'intérêts de classe. Le clivage ethnique n'est pas assez puissant pour masquer la communauté de ces intérêts. Les représentants anglophones au sein de la direction du parti sont en effet issus des mêmes couches sociales que les patriotes francophones, soit les divers éléments constitutifs de la petite bourgeoisie. BERNIER, Gérald. Le parti patriote (1827-1838) in Vincent Lemieux, éd., Personnel et partis politiques au Québec. Trois-Rivières, Boréal, 1981: 214-15
7. Senior en 1985
What [many] failed to ask was whether responsible government might have come about anyway and perharps even sooner than 1849, had it not been for the fratricidal strife of 1837-38. SENIOR, Elinor Kyte. Redcoats and Patriotes. The Rebellions in Lower Canada, 1837-38. Ottawa, National Museum of Canada, 1985: 204.
8. Jean-Paul Bernard, 1996
Les rébellions dans la colonie du Bas-Canada apparaissent ainsi comme une crise
sociale généralisée, qui concerne à la fois le développement des institutions
politiques, les orientations et les profits à tirer du développement économique
et le développement de l’identité coloniale. Aucune de ces trois dimensions
fondamentales ne peut être écartée légèrement ni même réduite au statut d’aspect
second d’une autre dimension. Aussi, une insistance sur une ne devrait pas
empêcher une insistance sur une autre, les facteurs n’étant pas totalement
indépendants, et les interactions et effets de synergie dans la situation
concrète étant manifestes.
Jean-Paul Bernard, Les Rébellions de 1837-1838 dans le Bas-Canada,
Ottawa, Société historique du Canada, brochure historique, no. 55, 1996 : 26.
9. Allan Greer, 1998
La Rébellions ne fut pas exclusivement ou même premièrement une affaire
militaire, pas plus qu’elle ne fut seulement le fait de «rebelles». L’importance
de la crise peut être appréciée non seulement par la portée considérable des
défis contre l’ordre existant, mais aussi par les mesures extraordinaires prises
pour préserver l’autorité britannique. En plus des assauts juridiques sans
précédent pour s’assurer la victoire. On imposera la loi martiale, l’habeas
corpus fût suspendu, et des arrestations eurent lieu massivement et sur une
grande échelle, très souvent sans qu’aucune accusation ne fut portée.
Allan Greer, «Reconsidérer les Rébellions de 1837-1838», Bulletin d’histoire
politique, vol. 7, no. 1, automne 1998 : 37.
10. Gilles
Laporte, 2015
Le Bas-Canada est d’abord très tôt aux
prises avec une crise sociale aiguë, causée par une concentration éhon-tée de la
richesse et par l’exclusion d’une vaste majorité de la population, confinée à
l’agriculture de subsis-tance. Cette majorité prend ensuite conscience qu’elle
est sans voix au plan politique : maîtresse d’un parle-ment sans pouvoir et en
butte à une oligarchie qui contrôle l’État et monopolise le pouvoir exécutif. Le
Parti patriote tente bien de faire entendre cette voix, mais elle est rabrouée
par le cabinet anglais en mars 1837. La crise sociale devenue crise politique
dégénère ensuite en une crise ethnique au moment des affrontements et surtout de
la répression militaire qui frappe presque strictement les Canadiens français,
et ce, avec une brutali-té sans pareille dans l’histoire canadienne.
Gilles Laporte, Brève histoire des
patriotes, Québec, Septentrion, 2015 : 123.
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