|
|
Dès le début du XIXe siècle, la situation sociale se détériore au Bas-Canada. Le contrôle presque total de l'économie par les Anglais rompt l'équilibre social et crée des tensions. Les bourgeois des professions libérales canadiens-francais qui, en certaines occasions, semblaient vouloir se rapprocher de la bourgeoisie marchande anglaise, regroupée dans le British Party, réalisent que leur vision de la société ne peut s'accorder avec celle du conquérant. Bientôt, les luttes politiques traduisent ces tensions sociales et témoignent de la formation de regroupements politiques de plus en plus structurés, particulièrement chez les Canadiens. L'Assemblée législative devient, autour de 1810, le théâtre des affrontements et l'instrument par excellence de l'opposition canadienne aux intérêts économiques de la bourgeoisie anglaise. À bien des égards, les débats de la Chambre d'assemblée sonnent le réveil du nationalisme canadien-français. Dans le contexte des premiers grands débats, naît le Parti canadien (qui prendra le nom de Parti patriote autour de 1830) voué à la défense des intérêts des Canadiens français et rassemblant, comme le souligne Robert Boily, plusieurs des caractéristiques des formations politiques modernes: cohésion assez forte en Chambre lors des votes et à l'extérieur des la Chambre lors des élections, leadership stable, encadrement des électeurs pendant et après les élections [...], campagnes de presse et élaboration de revendications qui prennent l'allure d'un programme politique. D'abord mené par Pierre Bédard, le Parti canadien connaîtra ses heures de gloire sous la gouverne de Louis-Joseph Papineau qui se pose, dès 1815, comme le chef de la nouvelle élite canadienne. Sa personnalité dominera le parti pendant plus de vingt ans.Les membres du Parti canadien comprennent rapidement que le vrai pouvoir leur échappe. Ils entreprennent donc, d'abord et avant tout, un combat pour l'obtention du gouvernement responsable. Leurs actions subséquentes viendront menacer les intérêts de l'oligarchie britannique qui n'a jamais, depuis la Conquête, voulu reconnaître que la majorité puisse participer pleinement à l'administration de la colonie et encore moins que cette majorité contrôle le pouvoir politique. Pour mener à bien leurs luttes, les députés canadiens-francais utiliseront leur faible contrôle des fonds publics, c'est-à-dire leur pouvoir d'empêcher la levée de nouvelles taxes. La querelle des prisons de 1805 illustre à merveille cette stratégie. L'exécutif ayant demandé à la Chambre de créer une nouvelle taxe afin de construire des prisons, les députés bourgeois anglais(regroupés dans ce qu'il est convenu d'appeler le British Party) proposent une taxe foncière qui ferait porter le poids des constructions par les propriétaires. Les députés canadiens, au contraire, favorisent et parviennent à imposer une taxe commerciale qui ferait porter le fardeau des travaux aux marchands. Cette stratégie est par la suite utilisée à maintes reprises par le Parti canadien afin de faire échec aux différents projets de la bourgeoisie marchande qui cherche par tous les moyens à faire triompher le capitalisme commercial. L'Assemblée, par exemple, refusera de lever de nouvelles taxes pour la construction de routes dans les Cantons de l'Est qui aideraient à l'installation d'immigrants britanniques dans cette région. Elle refuse également de financer le prolongement de la voie maritime du fleuve Saint-Laurent qui contribuerait au développement commercial et ce même si le Haut-Canada a déjà construit sa propre partie du canal. Non contents de bloquer les projets de développement économique de la classe marchande, les parlementaires canadiens-français refusent aussi systématiquement de financer les dépenses du gouvernement colonial. Ce dernier, subventionné pendant quelques années par le Parlement britannique, doit affronter un déficit important dès que Londres lui coupe les vivres en 1817. Pendant ce temps, la Chambre continue d'accumuler les sommes d'argent percues par les taxes. Cet argent, l'Assemblée serait disposée à le prêter au gouvernement en échange du contrôle des dépenses gouvernementales dans les travaux publics et pour la liste civile. Ces demandes avaient pour but de mettre un terme aux pratiques abusives du gouverneur et de son exécutif qui disposaient des fonds publics pour favoriser ses alliés du pouvoir. Jugées irrecevables par les Britanniques, les revendications du Parti canadien sont rejetées les unes après les autres. L'Histoire apposera l'étiquette de Guerre des subsides à cette période qui s'étend de 1817 à 1828. Frustrée par ces débats qu'elle considère stériles et opposés au développement, le British Party réclame, d'abord en 1810 et ensuite en 1822, la révocation de l'Acte constitutionnel de 1791 pour le remplacer par une union législative. Selon eux, ce projet résoudrait le problème des taxes, aiderait au développement commercial, essentiel pour se protéger des États-Unis, et musellerait les Canadiens français. Au lendemain du grand débat entourant le projet d'union de 1822 proposé par la bourgeoisie anglaise bas-canadienne. Papineau, assisté de son collaborateur John Neilson, se rend à Londres pour lutter contre l'union en apportant, entre autres, une pétition de 60 000 signatures s'opposant au projet. À compter de ce moment, Papineau et une majorité de patriotes dénoncent de plus en plus vivement l'injustice de cette démocratie incomplète en décrivant le parti des marchands comme une coterie égoïste et opposée aux intérêts du peuple. À partir de 1828, Londres semble vouloir préconiser une politique de conciliation. Par contre, à cette date, les positions du Parti que l'on qualifie de plus en plus de patriote se radicalisent singulièrement. Désireux de changer de régime, les Patriotes refusent systématiquement toutes les ouvertures proposées par les différents gouverneurs: contrôle des dépenses publiques, contrôle partiel de la liste civile, ouverture du Conseil législatif à des Patriotes... Trop peu, trop tard répondent les députés et à nouveau le Bas-Canada est plongé dans une atmosphère d'affrontement. Durant l'hiver 1834, le Bas-Canada fait face à un état de crise profond; l'économie est stagnante et l'arrivée massive d'immigrants irlandais fait craindre à plusieurs les épidémies ce qui a l'heur de tendre les relations sociales. Quant à la situation politique, elle prend un nouveau tournant. À la veille d'une importante élection, les Patriotes décident de frapper un grand coup en déposant, en Chambre, les 92 résolutions. Dans ce document, les Patriotes exposent tous leurs griefs contre le régime colonial et font part de leurs revendications. La démocratisation du système politique et le respect des droits des Canadiens français dominent le texte. Certains paragraphes font ressortir les liens existant entre le Bas-Canada et la France alors que d'autres font l'éloge du modèle américain. Les Patriotes souhaitent sortir la nation canadienne-francaise du carcan où les tiennent bourgeois et aristocrates britanniques qui contrôlent les instances décisionnelles. On réclame l'électivité du Conseil législatif, le droit à la Chambre de contrôler le budget, une représentation proportionnelle à la population, le droit pour la population de modifier la constitution. En somme, les Patriotes veulent obtenir la souveraineté politique en demeurant, toutefois, à l'intérieur de l'Empire britannique. Le texte des 92 résolutions est adopté par l'Assemblée législative et envoyé à Londres. Par ailleurs, en 1834, les Patriotes, vainqueurs aux élections, entreprennent une lutte économique en appelant au boycott des produits britanniques (stratégie efficacement utilisée par les Révolutionnaires américains dans les années 1770). Il faut attendre jusqu'au printemps 1837 pour que Londres réponde aux demandes patriotes par l'intermédiaire de Lord John Russell. Cette réponse a l'effet d'une douche froide sur les Patriotes. Les 10 Résolutions Russell, bien qu'elles soulignent le désir de Londres de voir la situation politique s'améliorer, permettent tout-de-même au gouverneur de passer outre les députés et d'utiliser les fonds accumulés par la Chambre pour payer la dette du gouvernement. Voyant son intégrité sérieusement menacée, l'Assemblée rejette les propositions. Devant cette impasse, le gouverneur Gosford n'a d'autres choix que d'exprimer son regret et de congédier les députés. Au printemps et à l'été 1837, le tonnerre révolutionnaire commence à gronder.
| |