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Après l'échec du projet national et libéral des Patriotes, l'occasion est belle pour le clergé québécois d'occuper une plus large place dans la vie sociale des francophones. Alors que partout ailleurs dans le monde occidental, l'État se laïcise et que le libéralisme triomphe, le Québec présente l'intérêt de voir l'influence de son clergé s'accroître et déborder sur la sphère sociale et politique. Les communautés religieuses qui arrivent au Québec après 1840 sont en particulier influencées par une idéologie catholique radicale d'origine française: l'ultramontanisme. Selon cette idéologie, l'autorité du Pape à Rome doit pouvoir franchir (ultra) les montagnes (montanisme). Cela veut dire qu'en matière de doctrine, de moeurs, de pratiques sociales et même de politique, l'opinion du Pontife peut être essentielle puisqu'entre temps son infaillibilité est décrétée en 1870. L'utramontanisme requiert donc une grande obéissance de la part de l'épiscopat et des croyants en général. Les Ultramontains proclament également la supériorité du SPIRITUEL sur le TEMPOREL car, comme on l'écrit alors, Il en est des États comme des individus: ils doivent tous relever de l'autorité de Église. Puisque, comme l'écrit Mgr Laflèche, La famille est d'origine divine et que finalement La famille n'est que la nation en petit et en germe, et la nation, c'est la famille en grand , la société et la nation sont donc aussi redevables à Dieu. L'État a par conséquent une mission divine à respecter, et pour l'assumer il lui faut l'assistance de l'Église (qui, elle, est une société parfaite ) dans tous les domaines de la vie sociale et politique. A la limite, cela représente une mobilisation de toute les forces de la nation autour d'un projet religieux. Durant les années 1880, Jules-Paul Tardivel, un ultramontain radical, propose même que le Québec devienne souverain et fonde une grande théocratie catholique dirigée par son clergé.Quoique puissant et largement diffusé, l'ultramontanisme québécois n'est en fait animé que par un petit nombre d'ecclésiastiques et de laïcs frénétiques. Lorsqu'elle parvient à la majorité des Québécois, l'idéologie ultramontaine est donc considérablement transformées et grossièrement adaptée pour pleinement convenir à la situation historique des Québécois. On insiste donc sur une spiritualité rudimentaire, entourée de beaucoup de rituels, de faste, de processions et d'autres manifestations spectaculaires mais superficielles. L'Évêque de Trois-Rivière, Mgr François Laflèche et surtout à Montréal, Mgr Ignace Bourget seront les principaux animateurs de ce renouveau charismatique. Partout dans le diocèse de Montréal en particulier, on organise des retraites publiques en milieu urbain et des processions gigantesques qui regroupent des milliers de personnes. Les curés tiennent un registre rigoureux des assistances à la messe, du respect des jeûnes et même de la régularité au confessionnal. L'utramontanisme québécois prendra ainsi une forme très nationaliste, qui plus est, La foi sera le ciment de la nation. On suggère alors que tout le long de l'histoire du Québec, seul le clergé, depuis les Saints martyrs canadiens jusqu'aux modestes maîtres d'école, a permis la survie d'une société française et catholique originale au milieu d'un océan anglophone et protestant. Les Ultramontains convainquent alors les Québécois que C'est parce que nous sommes catholiques que nous sommes une nation en ce coin de l'Amérique. (Mélanges religieux, 1843). Plus encore, ils doivent ensuite démontrer que l'appartenance religieuse prime et que la survie nationale, celle de la langue, des moeurs ou des traditions françaises ne sont pas des fins en soi, mais tout au plus des instruments utiles à la préservation du catholicisme. Mgr Laflèche écrit d'ailleurs que C'est ainsi que nous entendons la nationalité canadienne-française: la religion, le catholicisme d'abord, puis la patrie Mais les Ultramontains défendent une vision strictement culturelle de la Nation. La survie nationale passe non pas par une lutte politique pour l'affirmation, mais bien par la conservation, le maintien et la reproduction de nos coutumes, nos moeurs, notre langue et bien sûr de nos pratiques religieuses. L'agriculturisme, selon quoi la mission nationale et providentielle des Canadiens-français est de cultiver la terre, constitue une des clés de ce nationalisme de conservation. Au nationalisme libéral des Rouges donc, jugé révolutionnaire et sanglant , les élites conservatrices opposent un nationalisme statique, défensif, où la nation est moins un projet qu'un idéal de conservation. Ce nationalisme de conservation sera en revanche impitoyable envers ses ennemis, que ce soit les idées libérales venues de l'extérieur du Québec, que celles émanant des penseurs libéraux, les Rouges, qui opposent en particulier une définition concurrente du nationalisme et que l'Église assimile purement et simplement au diable. Les Ultramontains et leurs alliés sont cependant forcés d'être réalistes puisque le Québec est depuis 1867 fondu dans un Canada à majorité anglophone et protestante. Ils acceptent donc de collaborer avec la puissante bourgeoisie anglo-protestante pour se partager le contrôle, l'un de l'économie, l'autre de la société québécoise, et mettre en place un nouveau pacte conservateur. Si de 1810 à 1840 le nationalisme libéral des Patriotes est l'idéologie la plus diffusée au Québec, après cette date cependant la bourgeoisie libérale affaiblie doit se rallier aux deux idéologies montantes: le libéralisme économique des marchands britanniques et le nationalisme clérical défendu par le clergé et les professionnels ultra-conservateurs. Vers 1880, le Québec est solidement tenu en main par cette alliance conservatrice où la bourgeoisie capitaliste promet richesse et prospérité pour tous et, le clergé catholique, le paradis à la fin de nos jours.
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