|
La géographie du Québec et la division selon en tenure seigneuriale avaient, dès le XVIIe siècle, organisé le peuplement européen tout le long du fleuve Saint-Laurent. Les maisons de paysans, toujours à proximité de l'eau, sont à la tête d'une longue bande de terres concédée par le seigneur. Lorsqu'à la fin du XVIIIe siècle les terres le long du fleuve sont toutes occupées, on trace alors derrière les premières concessions un chemin parallèle au cours d'eau ou à la route: c'est le rang. Les rangs se succèdent et s'enfoncent ainsi dans le territoire jusqu'aux limites des terres arables. Ils constituent l'unité de base de la communauté rurale et forme un réseau de solidarité des plus vivants. Plus généralement on s'identifie à sa paroisse ou à son canton, alors que c'est au village ou le bourg qu'on se rencontre pour parler politique, prix agricole et d'offre d'emploi.A l'époque de la Nouvelle-France, le village canadien n'est encore guère plus qu'une suite d'habitations échelonnées à intervalle régulier le long d'une route. A l'occasion d'une croisée de chemins, d'une cascade pouvant alimenter un moulin, d'une rivière ou d'un lieu de pèlerinage, le peuplement se densifie et les maisons se serrent un peu plus les unes contre les autres. La population qui croît sans cesse donne ainsi naissance à des hammeaux, à des bourgs. Viennent ainsi se greffer les activités commerciales, administratives et industrielles. Le nombre de gros villages est d'abord marginal après la Conquête de 1760, mais, entre 1815 et 1850, on passe au Bas-Canada de cinquante à trois cents villages qui regroupent 86 000 personnes. Cette croissance rapide s'explique surtout par celle de la population du Bas-Canada qui passe de 335 000 à un million d'habitants entre 1815 et 1855. C'est que la natalité est alors exceptionnelle, dépassant en moyenne les sept enfants par femme en 1865. L'augmentation de la population produit une demande accrue des biens et des services que peut fournir le village. La croissance des villages s'explique aussi par une intensification du commerce intérieur au Bas-Canada, l'initiative de certains seigneurs entreprenants ainsi que par la main-d'oeuvre libérée par la crise agricole qui vient occuper un emploi au village. Apparaissent bientôt des bourgs prospères comme Sainte-Rose, Terrebonne, Saint-Jérôme et Joliette sur la rive nord, Saint-Charles, Napierville et Saint-Hyacinthe sur la rive sud ou Lévis et Saint-Romuald au sud de Québec. La proximité d'un de ces villages modifie les comportements ruraux, permet aux habitants d'écouler des produits, d'accéder à des services techniques et juridiques ou, tout simplement, de briser l'isolement de l'exploitation familiale. Le village reste le reflet des réalités rurales et demeure au service d'une économie agricole occupant encore 80% des Québécois en 1850, mais il représente tout de même une étape transitoire essentielle entre les campagnes et les villes en offrant aux Habitants leur tout premier apprentissage à la vie urbaine. Les divers bâtiments du village sont généralement faits de madriers de bois équarri superposés. Au centre se trouve toutefois une aire sacrée, composée de l'église et du presbytère, qui eux sont bâtis en pierre. Ces édifices sont extrêmement coûteux pour les villageois qui doivent y consacrer beaucoup de temps et de ressources. L'organisation paroissiale est très ancienne et le territoire est déjà quadrillé en paroisses avant la Conquête de 1760. L'essor des villages et la montée en pouvoir de l'Église après 1840 forcent cependant la création ou le fractionnement en de nouvelles paroisses. En demandant officiellement l'élévation canonique, les habitants du village s'engagent par le fait même à défrayer les coûts d'une église et d'entretien d'un curé. La paroisse inclut souvent plusieurs noyaux villageois qui se disputent l'emplacement de l'église, mais bientôt, le village dominant se confond avec l'espace paroissial au point même de prendre son nom. Quand les villages seront érigés en municipalité après la Confédération de 1867 ont les découpe en suivant le contour des paroisses, expliquant qu'encore aujourd'hui il y ait tant de petites municipalités au Québec et qu'elles portent souvent le nom d'un saint ou d'une sainte. En face de l'aire sacrée, où peut encore se greffer une école ou un collège, se trouve la grand rue du village, occupée par la bourgeoisie professionnelle: avocats, notaires, médecins, arpenteurs et les principaux commerces: marchand général, poste, forgerons. A cause de la lenteur des moyens de transport, on y rencontre aussi au moins une auberge qui abrite les voyageurs. Les habitations s'espacent davantage à mesure qu'on s'éloigne de ce noyau. On retrouve alors les activités commerciales: quais, entrepôts, marchés de grains et les activités industrielles, plus bruyantes et polluantes: scieries, chantiers navals, fabriques de potasse, distilleries, etc.. Ce type d'entreprises est directement responsable de la croissance du village vers 1850; elles n'emploient chacune que quelques employés mais se retrouvent par dizaines le long des voies de communication. Hors du village, on retrouve l'agriculteur propriétaire et sa famille. Il est plus ou moins riche selon sa proximité avec les voies de communication, mais les écarts de richesse demeurent faibles car la tenure seigneuriale empêche la concentration de la propriété et a, comme on l'écrit en 1832, l'immense mérite de procurer de la terre à bon marché puisqu'on n'a pas à payer comptant pour en profiter. La main d'oeuvre se trouve avant tout dans la famille, en particulier chez ces garçons qui espèrent bien obtenir la terre paternelle en héritage, mais qui, dans l'immédiat, ne reçoivent rien! Les Habitants sont peu considérés par les Britanniques et les citadins en général. Au XVIIIe siècle, Francis Brooke les trouve ignorants, paresseux, sales et stupides jusqu'à un point incroyable!. L'Habitant est également décrit comme honnête, travailleur acharné, très hospitalier, mais docile et soumis. Romuald Trudeau leur reproche en 1836 leur manque d'éducation et leur paresse, ainsi que de passer un temps précieux, soit à ivrogner chez eux ou dans les auberges soit à danser et se divertir. Le taux d'analphabétisme parmi les francophones est en effet de 73% vers 1838 et atteint 88% à la campagne. Cela résulte, nous le verrons plus loin, de l'incohérence du système et du manque d'intérêt du gouvernement, mais cette résistance à l'éducation peut aussi être interprétée comme une résistance à l'assimilation et à l'acculturation. L'habitant embauche à l'occasion des journaliers. C'est une main-d'ouvre démunie et très mobile, surtout composée d'hommes célibataires et qu'on retrouve tantôt dans les villes, tantôt dans les chantiers forestiers, tantôt travaillant à gages pour les cultivateurs. Surtout victimes de la crise agricole au début du XIXe siècle et de la poussée démographique, leur nombre est impressionnant mais difficile à évaluer. Vu qu'ils se déplacent constamment, ils colportent souvent nouvelles et potins parmi les paysans isolés, donnant naissance aux mythes du conteur, du quêteur et bien sûr au mystérieux Survenant immortalisé par le roman de Germaine Guevremont. L'essor industriel qui s'amorce après 1850 drainera bientôt ces journaliers vers les usines et les travaux publics, en particulier pour la construction ferroviaire.A l'extrême périphérie du monde rural on retrouve les familles de colons. Le bûcheron les a souvent précédé quand ils arrivent pour occuper les terres ainsi déboisées. Les colons vivent parfois dans une pauvreté affligeante et un grand isolement. Aussi le prêtre-missionnaire occupe-t-il au milieu d'eux un rôle de guide et d'animateur essentiel au réconfort de ces populations disséminées. Des forêts immenses et farouches jaillissent alors des contes et légendes évoquant le diable, les loups-garous et autres feux-follets où le prêtre se confond avec le magicien salvateur, semblable au chaman des légendes amérindiennes. Car les Amérindiens côtoient parfois les colons et quittent occasionnellement leurs forêts pour vendre aux villageois quelques menus articles, comme des bottes et de la gomme de sapin. Minés par les maladies et la détérioration de leurs conditions de vie, le nombre des autochtones chute sans cesse durant la période, surtout depuis l'écroulement du commerce des fourrures. Ils sont partout victimes d'une sévère discrimination et quand on en avait vu rôder quelques uns dans les environs, les portes se verrouillaient solidement écrit alors Louis Fréchette. Les Indian Acts de 1869 et 1876, visent surtout à renforcer le contrôle du fédéral sur les bandes amérindiennes et à accélérer leur assimilation à la société blanche, mais ne réussissent dans l'immédiat qu'à désorganiser leur culture traditionnelle.
| |