Si plusieurs Québécois peuvent nommer le premier président des États-Unis (George Washington) ou même le premier Premier ministre du Canada (John A. Macdonald), combien sauraient correctement identifier celui qui fut le premier à occuper le poste de Premier ministre du Québec ?
Afin de sensibiliser le public aux lacunes de l’enseignement de l’histoire au Québec – et de l’histoire politique en particulier – la Coalition pour l’histoire, qui regroupe une dizaine d’organismes et d’associations de professeurs d’histoire, a commandé en décembre dernier à la firme Léger Marketing un sondage mené auprès de 1021 Québécois de 18 ans ou plus et portant sur une seule question : Qui a été le tout premier Premier ministre de l'histoire du Québec ?
Plusieurs études ont récemment démontré que le nouveau programme d’Histoire et d’éducation à la citoyenneté, adopté dans la foulée de l’approche par compétences et du Renouveau pédagogique, présentait de graves carences en ce qui a trait à la transmission de connaissances de base sur l’histoire de notre démocratie et des luttes parlementaires menées ici, des patriotes de 1837-1838 aux référendums des années 1980 et 1990. Une simple question posée au public l’aura éloquemment illustré en demandant le nom de celui (ou celle?) qui fut le premier à occuper le poste de Premier ministre lors de la Confédération de 1867.
Si 66% des répondants ont dit totalement l’ignorer, d’autres ont spontanément tenté une réponse. Voici les plus populaires :
Henri Bourassa ?
Certainement pas! Élu député il est vrai, tant à Québec qu’à Ottawa d’ailleurs, Bourassa ne fut jamais premier ministre, ni même ministre. Sa renommée est en fait indissociable du combat qu’il mène pour la souveraineté du Canada, en particulier durant les deux guerres mondiales, et pour faire reconnaitre les droits des Francophones d’un océan à l’autre. Chef incontesté du nationalisme québécois, le mysticisme religieux de Bourassa l’éloigne bientôt de ceux qu’il avait d’abord encouragés, tel l’abbé Lionel Groulx, de même que de la direction du journal Le Devoir qu’il avait pourtant fondé en 1910.
Wilfrid Laurier ?
Alors pas du tout… Wilfrid Laurier fut d’abord journaliste et avocat, proche du parti rouge. Il fut bien brièvement député à Québec, mais a d’abord et avant tout œuvré au niveau fédéral. Il prend en 1887 la tête du Parti libéral du Canada qu’il conduit ensuite à quatre victoires électorales de 1896 à 1911. C’est sous son gouvernement que l’Ouest canadien se peuple de milliers d’immigrants, mais son règne est assombri par la participation du Canada à une guerre impérialiste en Afrique du Sud et par l’abolition de nombreux droits pour les Francophones hors-Québec.
Louis-Alexandre Taschereau ?
Bien essayé… Taschereau fut bien premier ministre du Québec; il est même un de ceux qui occupèrent cette charge le plus longtemps, soit de 1920 à 1936. Le régime Taschereau se distingue toutefois par son immobilisme, ses liens avec le grand capital anglo-saxon et pour avoir fait perdre le Labrador aux mains de Terre-Neuve. Il donna quand même au Québec sa première loi sur l’assistance publique et, bien sûr, la Commission des liqueurs, devenue la SAQ (1921).
Honoré Mercier ?
Vous brûlez! Honoré Mercier fut le 9e Premier ministre du Québec. Élu en 1886, un an après la pendaison du chef métis Louis Riel, Mercier met momentanément fin à vingt ans de pouvoir conservateur à Québec et inaugure la lutte contre le gouvernement fédéral au nom de l’autonomie provinciale. Son règne flamboyant est marqué par des projets ferroviaires d’envergure, en particulier le Petit train du Nord, cher au curé Antoine Labelle.
George-Étienne Cartier ?
C’aurait très bien pu être lui ! Cartier est en effet au cœur du projet de Confédération en 1867. Chef du parti bleu à Ottawa, il réussit à unir de puissantes forces politiques au Québec : les professions libérales, la bourgeoisie anglophone et le clergé catholique, au sein d’une coalition conservatrice qui dominera, tant à Québec qu’à Ottawa, jusqu’à l’orée du 20e siècle. Demeuré sur la scène fédérale et couvert d’honneurs, sir George-Étienne Cartier meurt à Londres en 1873 dans son hôtel particulier…
Vous aviez peut-être aussi pensé à Maurice Duplessis, Adélard Godbout, Louis Saint-Laurent ou, pourquoi pas, à René Levesque ou Louis-Joseph Papineau car tous ces noms sont aussi sortis lors du sondage. Quant à Pierre-Joseph-Olivier Chauveau – car tel est notre homme – et bien 6% des répondants l’ont correctement identifié et encore, le sondage se déroulant sur Internet, chacun pouvait « googler » la question. Or, comme le célèbre moteur de recherche semble devenu la légitime extension de nos mémoires historiques défaillantes, on conclura que ce n’est pas trop mal finalement. Chauveau n’était pourtant pas le dernier venu : co-fondateur de la Société Saint-Jean-Baptiste de Québec, député pendant trente ans, à la fois à Québec et à la Chambre des communes, puis au Sénat, premier ministre de l’Éducation, membre de l'Académie royale de Belgique, président de la Société historique de Montréal, de la Société royale du Canada, il fut aussi un auteur prolifique et notamment d’un délicieux roman satyrique, Charles Guérin (1853) où il ironise au passage sur les piètres connaissances en histoire de ses concitoyens.
La Coalition pour l’histoire propose une série de mesures concrètes visant à améliorer la formation en histoire à tous les ordres d’enseignement, du primaire à l’université, afin de rehausser la connaissance que les Québécois et les Québécoises ont de leur passé en vue d’éclairer le présent, et non pas seulement aux fins de répondre à des questions pièges…
Gilles Laporte
Bene merenti de Patria
Coalition pour l’histoire : www.coalitionhistoire.org
Biographie de Pierre-Joseph-Olivier Chauveau sur le site de l’Assemblée nationale : www.assnat.qc.ca/fr/deputes/chauveau-pierre-joseph-olivier-2539/biographie.html
Le Devoir
Actualités, mardi 1 mars 2011, p. A4
Qui est le premier premier ministre du Québec?
Antoine Robitaille
Québec -- Le nom du premier premier ministre du Québec est inconnu de 94 % des Québécois. Information pour vous, lecteur: Pierre-Joseph-Olivier Chauveau le fut des débuts de la Confédération, en 1867, jusqu'à 1873.
C'est un sondage Léger Marketing commandé en décembre par la Coalition pour l'histoire (CPH) qui a mis au jour cette ignorance collective. Les résultats de l'enquête d'opinion seront présentés plus en détail aujourd'hui par la coalition en conférence de presse. Aucun choix de réponse n'était suggéré aux 1021 répondants de 18 ans et plus joints par la firme, ce qui rendait la question d'autant plus difficile, admet Robert Comeau, porte-parole de la Coalition, qui soutient que, malgré tout, on doit y voir un signe de plus du «piètre enseignement de l'histoire politique au Québec».
Un autre membre de la CPH, Gilles Laporte, fait remarquer dans un texte obtenu par Le Devoir que plusieurs Québécois peuvent sans difficulté nommer le premier président des États-Unis -- Washington -- et le premier premier ministre canadien, John Macdonald.
Et les connaissances générales sur l'histoire politique du Québec ne sont pas appelées à progresser, s'inquiète-t-il, puisque «plusieurs études ont récemment démontré que le nouveau programme d'Histoire et d'éducation à la citoyenneté, adopté dans la foulée de l'approche par compétences et du Renouveau pédagogique, présentait de graves carences en ce qui a trait à la transmission de connaissances de base sur l'histoire de notre démocratie».