Le but de ce court article est de brièvement revisiter les conclusions de l’étude que nous avons rendue publique sur l’enseignement de l’histoire au cégep et en des termes et avec des nuances que nous ne pouvions emprunter dans un format d’abord destiné aux médias et au grand public, peu familiers avec le contexte corporatif et pédagogique qui règne dans les cégeps. Nous serons dès lors à même de formuler une proposition plus spécifique, qui tienne davantage compte de l’équilibre entre les disciplines, de l’approche programme et de l’autonomie des établissements collégiaux.
Au moment de faire des recommandations, la Fondation Lionel-Groulx a elle-même jugé bon de demander l’ajout d’un cours obligatoire en histoire du Québec pour tous les étudiants de niveau collégial. Il s’agit d’une proposition intéressante qui a le mérite d’être claire et qui aurait sans doute pour effet de porter remèdes à la plupart des maux identifiés dans l’étude. Cette position de principe risque cependant de heurter de front la culture corporative qui règne dans les établissements collégiaux. Elle est en effet bien loin l’époque où le ministre de l’Éducation pouvait proposer un cours d’histoire nationale obligatoire au collégial. C’était en 1996. Depuis, la gestion des programmes du collégial s’est considérablement complexifiée et décentralisée. Si bien que toute réforme doit désormais tenir compte de l’autonomie accrue des institutions et de l’approche par programme.
Puisque les énoncés de compétences de la formation générale ont pu induire le déclin de l’étude du Québec au cégep, aucun redressement n’est possible à moins qu’un but général de la formation générale commune n’énonce clairement qu’un finissant du collégial connaisse l’histoire et les caractéristiques de sa société. Bien sûr, les établissements accepteront de bien meilleure grâce de rencontrer un tel but général plutôt que de se voir imposée la manière d’y parvenir, par la création d’un nouveau cours à la formation générale par exemple. Les collèges pourraient de la sorte choisir de créer un nouveau cours ou de répartir l’atteinte de la compétence entre plusieurs. C’est d’ailleurs ce qu’ils font déjà en ce qui a trait à la maitrise de la langue, aux méthodes du travail intellectuel (MTI) ou à l’appropriation des nouvelles technologies; des compétences réparties entre plusieurs matières. De telle sorte, nos collègues de philosophie et de langue et littérature pourraient aussi être mis à contribution dans l’atteinte d’une compétence portant sur le Québec.
Si une telle compétence contribuerait certainement à palier aux lacunes du descriptif de la formation générale actuelle, nous ne croyons pas que les établissements collégiaux pourraient à eux seuls la concrétiser par des activités pédagogiques conséquentes. En revanche, ils pourraient certainement voir à son application en conformité avec le milieu. Un établissement pourrait par exemple proposer d’atteindre ce but général en proposant des stages en milieu québécois, en l’intégrant à l’épreuve uniforme de fin d’études ou en se dotant d’un nouveau cours portant sur le Québec.
Après avoir fait le juste examen du régime pédagogique actuel, force est aussi de constater qu’un but général portant sur le Québec ne pourrait pas non plus être adéquatement comblé par les seules disciplines actuellement représentées dans la formation générale commune, soit français, philosophie, éducation physique et langue seconde.
En revanche, histoire n’est pas non plus la seule discipline à pouvoir rencontrer cette compétence. Parmi les principales raisons qui militent pour une révision de la formation générale, l’une des plus importantes est l’absence totale de référence à la société québécoise dans le descriptif de la formation générale commune. À aucun endroit n’est-il donc prévu qu’on l’initie aux institutions politiques, aux règles de la vie démocratique québécoise, à la culture et à l’histoire du Québec, ainsi qu’aux défis auxquels cette société est confrontée à l’heure actuelle. Or, les autres sciences humaines, notamment géographie, économie et sociologie peuvent tout aussi utilement contribuer qu’histoire à combler cette carence.
Or, tous les cégeps du Québec disposent de départements de sciences humaines, où géographie, économie, sociologie, anthropologie et histoire contribuent déjà conjointement à plusieurs programmes d’études. Présentement exclues de la formation générale commune, ces disciplines sont tout à fait à même de proposer un cours multidisciplinaire intitulé Le Québec contemporain qui rencontrerait parfaitement une « compétence Québec », sans bouleverser ni les visées générales de la formation générale, ni foncièrement l’équilibre des disciplines à l’intérieur de chaque établissement. D’ailleurs, dans tous les descriptifs de la formation générale, l’axe philosophie est toujours désigné par le libellé « philosophie ou humanities (sic) ». Or la philosophie n’occupe pas seule le champ des humanités, beaucoup s’en faut. Les autres sciences de l’homme, en particulier l’histoire et la sociologie, y ont toujours eu leur place reconnue, incompressible avec le champ couvert par l’éthique et la philosophie. Les sciences humaines sont donc d’emblée partie prenante des humanités et donc des objectifs de la formation générale. La véritable question consisterait en fait à se demander pourquoi elles en ont été exclues jusqu’à ce jour.
Un cours intitulé Le Québec contemporain consisterait à brosser un portrait historique, social, économique, politique et culturel du Québec actuel. Les élèves auraient à se pencher sur le fonctionnement des institutions, les règles démocratiques, les rapports entre les communautés, les composantes régionales, ainsi que sur l’origine historique des enjeux actuels. Ce cours serait multidisciplinaire puisque commandé auprès des départements de sciences humaines qui verraient à en établir un plan de cours cadre et à y allouer les ressources enseignantes. Il devrait s’agir d’un cours de 3 unités offert durant la deuxième année, une fois que l’élève aura réussi ses cours d’entrée en philosophie et en littérature et avant de décrocher un emploi dans son domaine et véritablement entreprendre sa vie d’adulte, citoyen du Québec et du Canada.
Il ne nous appartient pas ici de fixer comment accommoder une place à Québec contemporain dans une formation générale déjà passablement chargée. Puisqu’il s’agit d’aborder les origines et les rouages de la société où le jeune va passer le reste de sa vie, la formation générale « propre » nous semble le lieu idéal ou insérer ce cours. Rappelons que la formation générale « propre » consiste en 9 crédits laissés à la discrétion des établissements en vue d’une meilleure harmonisation avec le milieu et en conformité avec les programmes offerts localement. Le cours Le Québec contemporain pourrait ainsi permettre d’insister sur le milieu régional, sur le contexte économique qui y domine ou quelque autre aspect qui concerne plus spécifiquement le milieu de vie de l’élève ou avec son cheminement professionnel spécifique, tout en laissant intact le bloc de cours de la formation générale commune actuelle.
Qui dans le milieu de l’éducation peut se faire le porteur de cette revendication ? Nous souhaitons bien sûr que le MELS ou la Fédération des cégeps fassent leur cette recommandation qui aurait pour effet de rehausser la qualité de la formation et d’insuffler plus de cohérence dans la formation générale sans bouleverser outre-mesure l’équilibre entre les disciplines. Il est aussi à souhaiter que les professeurs eux-mêmes se penchent sur les moyens d’améliorer la formation générale, et pas seulement les disciplines qui y sont traditionnellement présentes. Pour l’heure, il n’y a guère que les enseignants d’histoire qui soient officiellement organisés en association. Or, comme il est question d’un projet multidisciplinaire impliquant les autres humanités, il est indispensable que nos collègues d’anthropologie, de géographie, de sciences politiques, d’économie et de sociologie soient partie prenante de la démarche. L’annonce pour le printemps 2011 de la mise sur pied d’une association des professeurs de sciences humaines du collégial est une nouvelle importante. Il faut saluer cette initiative qui pourrait permettre de pleinement assumer la dimension multidisciplinaire que nous proposons, l’approche par compétences que nous reconnaissons et de décloisonner l’apport de chaque science humaine. C’est là selon nous la meilleure voie à suivre pour conjurer le triste sort réservé aux études québécoises dans le régime collégial actuel.