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C'est à l'arrière de la maison du juge de paix Éloi Roy, sur la Grande-Ligne à Saint-Blaise, que Chartrand aurait été mis à mort par un groupe de Patriotes commandés par François Nicolas.
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Le 27 novembre 1837 un groupe d'une dizaine de patriotes, dont un jeune de 19
ans, Amable Daunais, et mené par un instituteur du nom de François Nicolas de
L'Acadie tendent une embuscade à un présumé espion loyal. Le chouayen Joseph
Armand dit Chartrand faisait des travaux de maçonnerie sur une maison près de
Dorchester (Saint-Jean). Selon des dépositions il tomba sur le groupe de
Nicolas en revenant vers St-Jean. Une fois fait prisonnier, le groupe
fit Chartrand un procès sommaire. On
l'accusait d'avoir sympathisé avec des loyaux, bien qu'il ne se serait pas
directement impliqué avec eux. À une autre occasion, il se serait porté
volontaire pour les loyalistes, il aurait parlé contre le mouvement patriote et
il aurait fait partie d'un groupe de Johannais qui avait comme objectif de mener
une offensive loyaliste sur St-Blaise. (Fortin, 1988 : 38) Incapable de prouver son innocence contre une accusation
d'espionnage, il est condamné à mort. «On le traîna aussitôt dans un bois
voisin, on l'attacha à un arbre et on le fusilla.» (FILTEAU, 1937, p. 427) La question est
maintenant de savoir si cette action constitue un meurtre ou un acte judiciaire
conforme. Dans le vif du sujet, les batailles qui faisaient rage reléguèrent la
question pour un temps, des sujets plus chauds étant à l'honneur. Les
responsables furent finalement arrêtés. Le 31 août 1838, suite à leur verdict,
le grand jury mena l'accusation de meurtre envers les conjurés. Leur procès
débuta le 6 septembre et l'argument principal de la défense était que la mort de
Chartrand était une exécution en temps de guerre et non un meurtre de droit
commun. «Le jury après cette plaidoirie, ne délibéra qu'une demi-heure et rendit
un verdict de non-culpabilité.» (FILTEAU, 1937 : 495) Voilà la nature du débat :
meurtre ou exécution en temps de guerre.
Au moment de la mise à mort de Chartrand, rien de bien éclairant ne parait
dans les journaux. Des articles comme celui du Populaire du 4 décembre
1837 mentionne brièvement : «Meurtre Politique - Il parait que la paroisse de
l'Acadie, dont l'apparence tranquille, renferme encore quelques misérables qui
ont fait succédé l'assassinat à l'agitation. Un jeune canadien nommé Joseph
Chartrand, demeure à St.Jean, et appartenant à une compagnie de volontaires de
cette paroisse, eut affaire jeudi dernier à Lacadie. ». La Quotidienne du 6
décembre se contente aussi de rapporter des faits : «Un nommé Etienne Langlois a
été arrêté comme complice du meurtre commis sur Chartrand qui a eu lieu
dernièrement.»
Le procès des responsables de la mort de Chartrand donne lui a un débat
beaucoup plus vif et l'acquittement fera beaucoup de vagues, principalement dans
le milieu et dans la presse loyale. Comme on peut le lire dans le Canadien
du 11 septembre 1838 : «Les journaux Constitutionnalistes de Montréal, qui sont
les seuls que nous ayons vus, de même que les correspondants de la Gazette de
Québec et du Mercury, prétendent que ces accusés ont été acquittés en
présence des preuves les plus évidentes de culpabilité.» On ajoute un peu
plus loin que : «Il était difficile pour des partisans politiques de part et
d'autre, de se dépouiller de tout esprit de parti dans une pareille affaire.» Il
revient ici sur le contexte dans lequel était le Bas-Canada à l'époque où le
crime fut commis. La crise qui faisait rage serait un facteur atténuant,
déterminant dans la décision prise par le jury.
Deux passages du Populaire du 11 septembre relancent le débat. «Tous
les témoins ayant été entendus, il a été constaté que l'infortuné Chartrand
avait été assassiné pour opinions politiques, par une bande de meurtriers.»
On voit bien ici que, malgré le jugement de non-culpabilité, l'avis de la cour
est fortement remis en question. On cite plus loin un extrait de la
Montreal Gazette. «Nous avons examiné les notes des témoignages donnés
dans cette cause, et certainement il nous parait être plus complet ni plus
satisfaisant que les témoignages offerts sur la culpabilité des prisonniers du
meurtre de sang froid dont ils étaient accusés.»
Un dernier journal prend une position intéressante et appuie la décision de
la cour. La Quotidienne, un journal modéré, y va le 7 septembre
d'un long article traitant de la fin du procès de l'affaire Chartrand et se
prononce sur la plaidoirie de Charles Mondelet, avocat de la défense : «Il
serait peut-être impossible de faire un discours plus lumineux, plus éloquent et
qui allât si droit au but que se proposait le savant avocat.» La
Quotidienne reprend ensuite les arguments de la défense sur le fait que
cette histoire s'est déroulée dans un contexte de guerre. Dans une logique de
guerre, l'exécution d'un espion n'est pas plus légitime mais fait en tous cas tomber la poursuite pour meutre. L'article se termine sur
une note d'encouragement envers les nouveaux libérés : «Il y avait plus de
NEUF mois que ces pauvres accusés politiques gémissaient en prison. On peut
croire que la liberté doit leur être bien douce après une aussi longue détention.»
La décision de la cour tranche le débat. Aux yeux de la loi, les responsables
de la mort de Joseph Armand dit Chartrand ne sont pas coupables d'un meurtre
mais bien d'une exécution en temps de guerre. Bien entendu, les journaux loyaux
croient qu'ils sont des assassins et les journaux plus modérés semblent plutôt
de l'avis que le contexte tumultueux de l'automne 37 justifiait l'acte.
La vengeance pourra cependant ultimement trouver moyen de s'exprimer. L'année suivante Donais et Nicolas sont arrêtés pour avoir participé à la rébellion des Frères chasseurs. Ils sont promptement pendus le 15 février 1839, notamment pour avoir de la sorte récidivé...
Pierre-Olivier Leclerc
Bibliographie
FILTEAU, Gérard, Histoire des patriotes, Canada, les Éditions Septentrion, 2003,
628 p.
Le Canadien, 11 septembre 1838
Le Populaire, 4 décembre 1837
Le Populaire, 11 septembre 1838
La Quotidienne, 6 décembre 1837
La Quotidienne, 7 septembre 1838
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