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FEMME 2 — Les Anglais voulaient prend’ monsieur Girouârd, pis d’autes qu’y
appelaient les chefs d’la rébellion.
FEMME 3 — Y arrêtaient pas d’offrir des récompenses à tous ceux qui voudraient
dire où c’est qu’y étaient.
FEMME 4 — Y avaient placardé partout qu’y promettaient cinq cents lives, deux
mille piasses! à n’importe qui qui’es aid’rait pour les r’trouver.
[…]
FEMME 1 — Y ont pris tou’es hommes de Saint-Benoît.
FEMME 2 — Y’es ont toutes renfarmés dan’une cour.
FEMME 3 — Y sont v’nus avec des soldats pour les questionner.
FEMME 4 — Y’es ont tâssés cont’ el’mur, y ont braqué deux gros canons sus eux
autes, pis y ont dit qu’y allaient 'es tuer si y parlaient pas.
4 FEMMES — Y’es ont insultés, y ont craché d’ssus. Y ont ri d’eux autes, y’es
ont humiliés.
Pendant ces répliques des femmes, l’éclairage a commencé à monter à travers le
bas des échafaudages. Les hommes sont debout, plaqués contre les tiges de fer,
faisant face aux canons, à la horde des soldats.
5 HOMMES, encore plus fort —
On l’sait pas!
On sait rien!
On’es a pas vus!
On peut pas rien dire!
On sait pas où c’qu’y sont!
[…]
FEMME 1 — Pi’es Anglais sont restés avec leûs deux mille piasses de récompense
pis leûs placârds, pis y ont pu s’les mett’ dans l’trou!
FEMME 2 — Y avaient promis deux mille piasses aussi pour arrêter Chénier, mais y
a personne qui’nn a voulu. A fallu qu’y l’tusent!
FEMME 3 — Y ont offert quat’ mille piasses, mille lives anglaises, pour la tête
à Papineau. Y a pas un chat qui est a;;é 'es charcher!
FEMME 4 — Pis à l’heure qu’y est, Papineau a encôre sa tête su’es épaules. Y
s’trouve à l’abri, saine et sauf, dan’es Étâts.
4 FEMMES — Pis y est pas tout seul à s’avoèr sauvé, Papineau. Y’nn a ben d’autes
de même, qui sont partis comme lui. Pis y ont pus besoin d’avoèr peûr des
Anglais!
La dernière réplique des quatre femmes a été lancée sur un ton de satisfaction
triomphante. Mais les hommes vont se mettre à apparaître un à un dans les
échafaudages. À mesure qu’ils commencent à parler, ils surgissent à différents
niveaux, rampant entre les barres de fer, comme des fugitifs, des proscrits, qui
se glissent dans des greniers, qui se terrent dans des trous.
HOMME 1 — Parc’ qu’y’nn a qui s’sont sauvés!
HOMME 2 — Y ont réussi à s’sauver, eux autes!
HOMME 3 — Des cheufs, qui nous ont embarqués dan’a galère, pis qui s’sont
dépêchés d’désarter sitôt qu’la coque s’est mis à prend’ l’eau!
HOMME 4 — Des beaux parleux, qui ont pâssé leû temps à cracher en l’air dans
toutes leûs grands discours, mais qui ont trouvé moyen d’pus êt’ là, quant’ les
crachâts ont commencé à nous r’tomber sus l’nez!
HOMME 5 — Des faiseux d’politique, ben bons pour attiser l’feu dans l’poêle,
mais qui ont pas traîné pour sacrer l’camp sus l’voèsin, quand y ont vu que
c’tait en train d’brûler dans l’tuyau!
5 HOMMES — Pis y nous ont laissés là, pendant qu’y sont allés sauver leû peau
dan’es Étâts!
HOMME 1 — À c’t’heure qu’y faut s’faire brûler nos maisons…
5 HOMMES — Y nous laissent là!
4 FEMMES, en écho douloureux — Y’es ont laissés là!
HOMME 2 — À c’t’heure qu’y faut s’faire g’ler pis crever d’faim dans l’fond des
bois…
5 HOMMES — Y nous laissent là!
4 FEMMES — Y’es ont laissés là!
HOMME 3 — À c’t’heure qu’y faut essayer de s’cacher en d’ssours des greniers à
cause d’la bande à Comeau qui nous charche dans tou’es coins…
5 HOMMES — Y nous laissent là!
4 FEMMES — Y’es ont laissés là!
HOMME 4 — À c’t’heure qu’y faut rester écrapoutis dans des trous, pendant des s’maines,
pour pas qu’les soldats nous trouvent pis nous arrêtent …
5 HOMMES — Y nous laissent là!
4 FEMMES — Y’es ont laissés là!
HOMME 5 — À c’t’heure qu’on a toujours les Anglais qui nous courent su’es
talons, pour nous traîner dan’es prisons…
5 HOMMES — Y nous laissent là!
4 FEMMES — Y’es ont laissés là!
FEMME 1 — Les chefs sont partis, pis nos hommes sont arrêtés!
FEMME 2 — Les soldats fouillent dans tou’es coins!
FEMME 3 — Les chiens d’la bande à Comeau r’nif’ dans tou’es trous!
À chacune des répliques des femmes, un des hommes est tombé des échafaudages,
débusqué par les soldats. Les deux derniers sauteront à la réplique suivante.
Ils sont traînés, poussés, bousculés à coups de pieds, sur un même côté du
plateau. Ils se tiennent comme s’ils avaient les mains liées derrière le dos,
avec la corde au cou pour les attacher.
FEMME 4 — Quand y trouvent les hommes, y’es prennent, y’es attachent ensemb’
comme du bétail, pis y’es traînent à Montréal.
FEMME 1 — Là y a des bandes d’enragés qui’es attendent au Pied-du-Courant.
FEMME 2 — Y leû tirent des roches pis d’la terre.
FEMME 3 — Y leû tirent des épluchures pis des œufs pourris.
FEMME 4 — Y leû tirent toutes sortes d’affaires sales!
4 FEMMES — Pis tout le monde crie : Shoot them! Hang them!… Shoot them! Hang
them!…
Les hommes réagissent comme si on leur lançait divers projectiles à la tête. Les
femmes s’élancent vers eux, pareilles à des mégères en furie, continuant à
hurler : «Shoot them! Hang them!…» Elles les bousculent, elles les frappent.
Mais après un moment, redevenant les femmes du chœur, elles s’immobilisent, se
tournent vers le public et entonnent un nouveau couplet de la complainte. Tout
en chantant eux aussi, les hommes enchaînés défilent lentement autour du
plateau, pour aller se perdre au fond, sous les échafaudages.
CHŒUR — Arrachés d’leûs foyers, accâblés sous les chaînes,
Y s’en vont en prison de par tout le pays.
Y pâss’ en fac’ du mond’, qui leû crach’ tout’ sa haine,
Y raval’ leûs affronts, leû cœur a pas failli!
Mise en texte : Mélanie Plourde
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