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5 HOMMES — C’est ben vrai qu’à chaque foès qu’on a montré 'es dents…
4 FEMMES — Chaque foès qu’on a pas voulu s’en laisser imposer…
HOMME 1 — Si y ont réussi à prendre avantage sus nus autes, c’est toujours parc’
qu’y étaient pluss de monde.
HOMME 4 — Comment ça, pluss de monde?
HOMME 5 — Quand on r’gârde el’pays, on voèt ben qu’y a pluss de Canayens qu y a
d’Anglais.
HOMME 1 — J’veux dire qu’eux autes, y étaient pluss de monde quand y avait des
batâilles.
HOMME 4 — Mais si, nus autes, là, on s’était mis toutes ensemb’, c’est nus autes,
là, qui auraient été pluss.
HOMME 2 — Eux autes, y avaient des soldats en masse.
HOMME 1 — Des vrais soldats, ben entraînés.
HOMME 2 — Des soldats qui étaient habitués, qui avaient d’jà faite la guerre.
HOMME 3 — Y’nn a là-d’dans qui s’étaient battus dan’es vieux pays.
HOMME 2 — Y’nn a même, dans l’temps, qui avaient d’jà faite les guerres cont’
les armées de Napoléon.
HOMME 3 — Pis y étaient toutes ben armés.
HOMME 1 — Y avaient des fusils.
HOMME 2 — Des bons fusils neûs!
HOMME 1 — Y avaient des canons!
HOMME 3 — Tandiss que, nus autes…
HOMME 4 — Ça, nus autes, on’n avait pas, d’armes.
HOMME 5 — Y’en qu’des pieux.
HOMME 4 — Des bâtons pis des piquettes.
HOMME 3 — Ou ben des fourches.
HOMME 1 — Les quéqu’-uns qui avaient des fusils, c’taient des vieux fusils à
pierre, qui partaient même pas un coup sus trois.
HOMME 5 — Y’nn avait là-d’dans, c’taient des fusils du temps des Français, qu’on
a réussi à cacher quant’ les Anglais ont pris l’pays pis qu’y ont couru 'es
campagnes pour désarmer tou’es Canayens.
HOMME 1 — On avait pas d’armes, pis on était pas préparés. C’est pour ça qu’on a
pas réussi.
5 HOMMES — C’est ben pour ça!
CHŒUR — C’est vrai qu’c’est pour ça!
HOMME 4 — Ben, oui, cré maudit! Une révolution, ça s’pépare. Qu’est-c’ c’est
qu’on a toujours attendu pour s’préparer?
HOMME 3 — On était pas prêts. Ça fait que, quant’ les Anglais sont arrivés à
Saint-Charles, pis à Saint-Eustache, avec leûs fusils pis leûs canons…
HOMME 2 — Quant’ leûs régiments d’soldats nous attendaient à Napierville pis à
Odelltown…
HOMME 1 — Pis qu’y étaient trois foès pluss que nus autes…
HOMME 2 — Des foès même qu’y étaient à dix contre un!
HOMME 3 — Ben, on avait beau avoèr pas fret aux yeux…
HOMME 5 — Parc’ qu’on peut pas dire… Si y’nn a eu qui ont eu 'a chienne, c’est
pas souvent qu’ç’a été parmi nus autes…
FEMME 1 — Nos hommes, y ont été braves.
FEMME 2 — Nos hommes, y avaient pas peûr.
FEMME 3 — Nos hommes, y étaient parés à nous défendre.
FEMME 4 — Nos hommes, y étaient parés à s’batt’ comm’ des lions.
4 FEMMES — Comme des lions!
Les quatre femmes vont rester groupées au niveau du plateau. Elles pourraient
prendre les guitares et, avec leurs mains ou des baguettes feutrées, taper sur
les caisses, comme une charge de tambours et des bruits de fusillade, pour
scander la scène de bataille que vont jouer les hommes.
2 HOMMES — Ça fait assez longtemps qu’on endure : on veut avoèr nos droèts!
3 HOMMES — On veut avoèr nos droèts!
5 HOMMES — On veut avoèr nos droèts!
Les hommes se sont lancés à l’assaut des échafaudages. La scène suivante va se
jouer entre eux. Il s’agit d’évoquer dans une même large fresque héroïque
diverses batailles livrées par les Patriotes. Pour cela, les acteurs devront se
déplacer sur les barreaux de fer, voyageant d’un côté à l’autre, montant et
descendant à différents niveaux, se groupant suivant les besoins de l’action
évoquée, de manière à meubler en hauteur tout l’espace scénique et à suggérer le
mouvement et l’animation des combats.
HOMME 1 — L’temps des discours est passé!
HOMME 2 — À présent, c’est du plomb qu’il faut envoyer à nos ennemis!
HOMME 3 — Le jour est arrivé de fondr’ nos cuillers pour en faire des balles!
HOMME 4 — Maint’nant qu’la bastringue est commencée, dépêchons-nous d’prendr’
notr’ place dans la danse!
Ces répliques rappellent les propos lancés par le docteur Côté, Wolfred Nelson
et T.S. Brown.
Au cours de la scène suivante, on trouvera entre parenthèses les noms des
personnages historiques à qui sont empruntées plus ou moins littéralement
certaines phrases.
HOMME 1 — Qu’est-c’ t’es v’nu faire icite, Forgette?
HOMME 5 — Chu v’nu m’batt’ pour mon pays. (Charles Forget)
HOMME 2 — Y fait fret. El’ ciel est gris. C’t un bon temps pour se batte!
HOMME 3 — Les v’lont!
HOMME 4 — Les v’lont qui arrivent!
5 HOMMES — Les v’lont, les habits rouges!
HOMME 2 — Cinq compagnies d’fusilliers pis un détach’ment d’caval’rie à
Saint-Denis!
HOMME 3 — Quatr’ cents soldats réguliers pis deux canons à Saint-Charles!
HOMME 4 — Quatr’ cents miliciens volontaires à Moore’s Corner!
HOMME 5 — Une compagnie d’volontaires, cent vingt hommes de caval’rie, neuf
pièces d’artill’rie, pis deux mille combattants d’infant’rie à Saint-Eustache!
HOMME 2 — Sont dix foès pluss que nus autes, Docteur Chénier.
HOMME 1 — Ça fait rien, moi, j’me rendrai pas. J’suis décidé à mourir les armes
à la main plutôt! Pis c’est pas la peur d’y rester qui va m’faire changer
d’idée. (Docteur Chénier)
HOMME 3 — Y a pas assez d’fusils pour tout l’monde, Docteur Chénier.
HOMME 4 — Qu’est-c’ qu’on va faire, Docteur Chénier?
HOMME 1 — Soyez tranquilles, mes amis. Y va y en avoir de tués. Vous prendrez
leurs fusils.
HOMME 5 — Envoyez, les gars! Préparez-vous l’canayen, pis manquez pas vot’coup!
HOMME 2 — Les v’lont, les habits rouges!
HOMME 3 — Les Anglais, les v’lont!
HOMMES 4 ET 5 — Les v’lont!
5 HOMMES — Les v’lont!
Pendant la réplique suivante, on entend le bonhomme Laflèche, qui récite un Ave
Maria.
HOMME 5 ― Eh, pére Laflèche! Vous êtes aussi ben d’lâcher vot’chap’let, pi
d’pogner vot’fusil. V’là 'es habits rouges!
HOMME 2, qui fait Laflèche, en finissant calmement ― … pauvres pécheurs,
maintenant et à l’heure de notre mort. Ainsi soit-il. Où c’est qu’y sont?
HOMME 5 ― Là. R’gârdez… Quins! Y’nn a deux qui courent en avant des autes
là-bas.
HOMME 2, Laflèche, se rendant à la fenêtre et criant à tue-tête ― Hue-don! (Il
tire.)
HOMME 3 ― En v’là un qui vient d’tomber raide mort!
HOMME 2, Laflèche ― Pis l’aute f’ra pas vieux os non plus! (Il tire encore.)
HOMME 1 ― Fais attention, Minette! Montr’-toé pas trop dans l’châssis!
HOMME 4, Pierre Minet, se penchant pour tirer ― Quins! Encôre un aute!... Ah!...
(Il s’écroule, frappé d’une balle.)
HOMME 1 ― Y l’ont tué, les maudits!
HOMME 5 ― Eh! Pierre Minette vient de s’faire tuer!
HOMME 2, Laflèche ― Ah!... m’as leû faire payer ça, moé (Il tire.)
HOMME 3 ― Eh! Vous autes, les jeunes! Chargez-moé un fusil pendant que j’tire
avec l’aute. Pis j’vous pâsse un papier qu’j’en manqu’rai pas souvent. (David
Bourdages.)
HOMME 1 ― Un coup, une balle, pis un Anglais par terre!
HOMME 5 ― Eh, Viger! T’es trouves pas beaux, les deux officiers qui marchent sus
l’devant, avec leûs plumettes? (Lambert.)
HOMME 4 ― Envoye! Choisis ton homme, Lambert. Moi, j’prends les plumes blanches.
(Bonaventure Viger.)
HOMME 5 ― C’est bon. Moé, j’prends les plumes rouges. (Lambert.) (Ils tirent.)
HOMME 4 ― Et en v’là deux autes sus l’cârreau! (B. Viger)
HOMME 5, Lambert, recevant une balle dans un chapeau ― Ah! Vous m’gâter mon
chapeau? Ben, vous allez payer pour!
HOMME 3 ― Quins! Encôre un aute avec sa mèche en l’air!
HOMME 2 ― Ah! les enfants d’chienne!... J’les laiss’rai pas l’faire partir, leû
maudit canon, moé.
HOMME 3 ― Sitôt qu’y’nn a un qui s’amène pour allumer 'a mèche, bang! tire
dessus!
HOMME 2 ― Quins! Ça fait l’troisième.
HOMME 3 ― Moé, m’as m’rend’ à dix, pis là j’m’arrête un tit brin pour allumer
une pipe.
HOMME 5, Charles Forget, recevant une balle au-dessus de la tête ― Ah! cré yé!
HOMME 1 ― Eh! Forgette! Tu viens d’râser proche, toé, là!
HOMME 4 ― Y a une balle qui a pâssé à travers la tuque bleue d’Charles Forgette!
HOMME 5, Charles Forget ― Une belle tuque neuve en laine du pays! Attendez!
Guettez-vous ben, mes maudits! (Il tire.)
HOMME 1 ― Moé, j’ai jamais eu autant d’plaisir de ma vie! (Docteur Joseph
Allaire.)
HOMME 3, isolé, directement au public ― J’sais pas combien ça fait que j’tue,
mais j’ai pas l’moindrement de r’mords. J’épaule mon fusil, pis j’tire! Venger
les affronts, les injustices, renverser les despotes, écrâser la tyrannie, c’est
des mots, tout ça. Des beaux mots, des grands mots, mais des mots. Tandiss que
l’plaisir de coucher un Anglais en joue, de l’enligner dans sa mire, de tiere
[sic] d’ssus, pis de l’descendre, ça, c’est un plaisir… un plaisir qui s’dit
pas! (Notaire Philippe-Napoléon Pacaud.)
Après cette brève apostrophe au public, l’action de la bataille reprend.
HOMME 2 ― Y racheuvent de démolir el’pignon, avec leû damné canon!
HOMME 4 ― Moé, ç’aurait pas été d’ma femme, ch’tais tout fin mort à l’heure qu’y
est. (Pagé.)
HOMME 5 ― Qu’est-c’ tu dis, Pagé?
HOMME 4 ― Quant’ chu parti à matin, ma femme m’a faite mett’ une main d’papier
sus l’estomâc, comme un cataplasse. Ben, y vient just’ de m’pâsser une balle en
travers el’papier. Trois feuilles de moins, j’l’avais dan’s couenne, pis ch’tais
fini. (Pagé.)
HOMME 2 ― Eh! L’mur est en train d’débouler!
HOMME 1 ― Descendez en bas, les amis. On va êt’ moins en danger.
HOMME 3 ― El’presbytére est en feu!
HOMME 5 ― C’t’un poèle qui a été renvarsé!
HOMME 4 ― El’ vent pousse ça par icitte!
HOMME 3 ― Ça commence d’jà à fumer!
HOMME 2 ― Docteur Chénier, on va êt’ pognés ici-d’dans comme des guêpes qui
brûlent dans l’nique!
HOMME 5 ― Faut sauter par les châssis!
HOMME 1 ― Suivez-moi! On va essayer d’sortir… (Docteur Chénier.)
Les cinq hommes sautent, s’élancent sur les barreaux en se retenant aux tiges de
fer. Ils tentent une sortie.
Les femmes battent la charge et la mitraille sur les caisses des guitares.
Les s’écroulent un à un. Certains tentent de se relever en s’accrochant aux
barres métalliques, un couple d’entre eux réussissent à épauler leurs fusils
encore une fois avant d’être frappés à nouveau… Une dernière décharge qui fauche
tout le monde.
Les femmes battent la marche de deuil sur les guitares, comme sur des tambours
voilés.
HOMME 2 ― Ça fait rien. J’meurs pour ma patrie!
HOMME 4 ― J’meurs pour les Patriotes!
HOMME 1 ― J’Meurs pour mon pays!
HOMME 3 ― J’meurs pour l’indépendance!
HOMME 5 ― J’meurs pour la Libarté!
Mise en texte : Mélanie Plourde
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