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La scène se déroule dans le village de Saint-Charles, la veille de l’assemblée
des six comtés qui eut lieu le 23 octobre 1837.
PAPINEAU — Merci, mes amis; je vois avec plaisir que vous êtes animés de
sentiments patriotiques. C’est bien. Soyez calmes; mais soyez unis! La voix du
peuple opprimé s’élève jusqu’au ciel; et il arrive un temps où la Providence,
non seulement lui tend la main, mais encore lui donne l’occasion de faire du
bien même à ceux qui l’ont persécuté…
LES PATRIOTES — Hourrah!…
PAPINEAU — Mes amis, je ne suis, dans les destinées de mon pays, qu’un humble
instrument entre les mains de la Providence; mais elle me prêtera la force de
faire respecter nos droits, ou de mourir en les défendant! J’ai déjà forcé
l’Angleterre à traiter avec moi; je l’obligerai à nous accorder les libertés
sans lesquelles un peuple n’est plus qu’un troupeau. Le sol de l’Amérique n’est
pas fait pour des ilotes. C’est la terre de liberté par excellence. L’esclave du
sud, le colon du nord, sont des anomalies que le temps fera disparaître. Les
vieux préjugés de l’ancien monde ne prendront jamais racine sur ce sol
providentiel, qui sera libre un jour, depuis le détroit de Behring jusqu’aux
confins de la Floride, depuis Terre-Neuve jusqu’à San Francisco. On m’accuse de
vouloir l’annexion du Canada aux Etats-Unis : ce que je veux, c’est que, d’une
manière ou d’une autre, sous un drapeau ou sous un autre, tous les peuples de ce
continent vivent un jour main dans la main, dans la sainte fraternité du progrès
matériel, intellectuel et moral!… Le despotisme européen ne s’implantera jamais
ici; et, s’il faut que l’un des deux hémisphères fasse une jour la loi au monde,
ce ne sera par l’Europe qui fournira des rois à l’Amérique, mais l’Amérique qui
donnera des républiques à l’Europe!… On nous persécute? Serrons nos rangs, et
protestons! Que le cri de liberté retentisse d’un bout à l’autre de la vallée
canadienne! Rangeons-nous sous l’étendard de nos droits, et malheur aux
sacrilèges qui oseraient y porter atteinte!
LES PATRIOTES — Hourrah pour Papineau!
Pendant les dernières paroles de Papineau, le feu de la rampe s’est éteint
graduellement, et les fenêtres des maisons du village se sont illuminées.
PAPINEAU — Allons, mes amis, il commence à se faire tard; séparons-nous jusqu’à
demain. Demain, dix mille hommes pousseront le cri de la protestation et de la
résistance constitutionnelle; et cette voix, je l’espère, retentira jusqu’au
pied du trône de cette jeune reine , qui, paraît-il, n’est pas illustrée par sa
couronne, mais au contraire, illustre sa couronne par ses vertus. À demain!
L’assemblée des six comtés marquera dans l’histoire!
[…]
NELSON, sortant — Moi, je dis qu’il est temps de fondre nos cuillers pour en
faire des balles!
Mise en texte : Mélanie Plourde
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