Tous sommes un peu las du débat sur l'identité et de sa surenchère sémantique. On a notamment pu entendre les tenants de l’interculturel, du multiculturalisme et autre « laïcité ouverte », dont on a surtout compris qu’ils étaient liés par d’inextricables intérêts corporatifs issus du milieu de la recherche universitaire et au sein même du gouvernement actuel.
Dans tout cela, saluons la prudence des historiens qui ont, tout compte fait, été peu nombreux à s’affilier à un Manifeste pour un Québec pluraliste alarmiste, parlant d’un « virage dangereux […], en rupture avec les grandes orientations du Québec moderne », comme si la modernité québécoise n’avait pas d’abord consisté à assumer une identité distincte en s’appuyant sur une culture et une langue communes !
La riposte est venue de plusieurs courants présents au Québec, souvent ceux-là mêmes qui avaient fait entrer le Québec dans la modernité durant les années 1960. Elle est d’abord venue du laïcisme officiel et des tenants d’une claire séparation entre l’Église et l’État. Ont aussi pris position des syndicats, les groupes de gauche et les féministes pour qui certaines valeurs fondamentales, dont l’égalité entre les femmes et les hommes, doivent primer sur la protection des différences culturelles, en particulier en matière d’accommodements religieux. S’est aussi fait entendre la voix d’un courant républicain, rappelant que la citoyenneté doit s’accompagner de certaines règles claires, impliquant l’adhésion aux valeurs historiques partagées par la majorité. Il y a enfin eu la voix de nationalistes et, plus généralement, celle de tous ceux attachés à une langue, à une culture et à une histoire communes, et conscients de la fragilité de notre situation en Amérique du Nord.
Or se pourrait-il que, plutôt que d’être « divisif », ce débat ait l’heur de réunir à nouveau les principaux acteurs du formidable bond en avant que fut la Révolution tranquille et dont on célèbre cette année le 50e anniversaire ? Depuis vingt ans environ, la gauche québécoise et le nationalisme ont connu un net refroidissement de leurs relations. Inaugurée lors du débat sur le libre-échange nord-américain, la rupture a ensuite été consommée avec la montée subite de l’ADQ, puis de la naissance du parti Québec solidaire. Gauche et nationalisme ont d’ailleurs également pâti de cette rupture, la gauche se trouvant bien seule pour affronter la vague de néolibéralisme et, le nationalisme, repris en main par un courant plus conservateur, davantage préoccupé de survie culturelle que de projet de société emballant.
Le débat sur l’identité semble donc, pour la gauche et pour le nationalisme du Québec, l’occasion de redécouvrir leurs affinités historiques communes et n’est pas sans rappeler l’union sacrée de 1960. Dans un tel contexte, les tenants de l’interculturalisme ressemblent à la position alors occupée par la revue Cité libre des Gérard Pelletier et Pierre E. Trudeau : bien représentée dans les universités et à Radio-Canada, mais sans emprise réelle sur la population, ni sur le cours des événements.
Quant à notre capacité à concilier tolérance et promotion d’une identité distincte en Amérique, elle apparaît bien inscrite dans notre histoire et les patriotes de 1837-1838 offrent notamment de nombreux et édifiants exemples montrant que l'avancement des droits de la majorité peut s'inscrire dans le respect des différences. Ainsi, dans son grand discours du 15 mai 1837, Louis-Joseph Papineau peut à la fois scander que « Nous travaillerons sans peur et sans reproche, comme dans le passé, à assurer à tout le peuple, sans distinction, les mêmes droits, une justice égale et une liberté commune » et, du même souffle, que : « La langue et la culture sont la propriété sacrée d’un peuple et doivent par conséquent être défendues avec ferveur par ses représentants. »
Gilles Laporte