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Le suicide du patriote Amury Girod tel que vu par Henri Julien.
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Par Marc Collin
[Texte d'une présentation faite le 23 mai 2008 dans le cadre du Groupe d'Etudes
Psychanalytiques Interdisciplinaires (GEPI) à l'université du Québec à Montréal.]
SOURCE : http://www.unites.uqam.ca/gepi/
Reproduit avec l'aimable autorisation de l'auteur.
Quand on évoque la notion de traumatisme collectif, le plus souvent on pense à
des événements extrêmes, tant par la violence exercée que par le nombre des
victimes: la Shoah, les génocides arménien et rwendais, la bataille de Verdun.
En tant que spécialiste des Rébellions de 1837-1838, il m’est arrivé à quelques
reprises d’être invité à des rencontres consacrées au traumatisme collectif.
Tout en étant convaincu que l’épisode des Rébellions représentait un traumatisme
collectif dans l’histoire du Québec, je n’ai jamais réussi à me débarrasser
complètement de la sensation que ma présence dans ces colloques était un peu
incongrue. La réflexion que je vous propose se nourrit de ce sentiment
d’incongruité.
Objectivement, il faut admettre que la défaite des patriotes n’apparait pas
comme un événement si terrible. Deux cents combattants tués, des dizaines de
villages incendiés, quelques centaines d’arrestations et douze pendaisons, c’est
bien peu de chose si l’on compare avec ce qui se passe ailleurs dans le monde à
la même époque. Le conflit de l’indépendance grecque, entre 1821 et 1829, fait
120 000 morts. Pendant les émeutes parisiennes de 1848, plusieurs milliers
d’insurgés sont tués pendant les combats, 1 500 personnes sont fusillées sans
jugement et 11 000 sont jetées en prison ou déportées. Ce ne sont que des
exemples; on pourrait allonger la liste. Et que dire des guerres
traditionnelles? Les guerres napoléonniennes, qui ont lieu quelques décennies
avant les Rébellions auraient fait, selon la plupart des estimation, entre 500
000 et 700 000 morts.
Bref, les Rébellions, c’est de la «petite bière». Les troubles ne se sont
produits que dans la région de Montréal. Le retour à la normale est à peu près
complet dix ans après les événements; sur le plan légal, les exilés ont obtenu
une absolution inconditionnelle qui leur permet de revenir au pays et de
reprendre la vie politique. Dans le contexte de l’époque, c’est un traitement
d’une grande clémence à l’égard d’un mouvement révolutionnaire.
Pourtant, si on visionne n’importe quel des trois grands films réalisés sur les
Rébellions, on en ressort avec l’impression d’une tragédie épouvantable. Même un
film ou un documentaire sur le ghetto de Varsovie ne nous laissera pas avec un
tel sentiment de démoralisation. C’est que dans ces trois films, l’expérience
historique des Rébellions apparaît comme intégralement négative. Rien ne vient
tempérer l’impression générale d’une défaite, d’un écrasement total. Dans tous
les cas, les patriotes apparaissent comme des personnages misérables. Le film de
Michel Brault (Quand je serai parti, vous vivrez encore) nous montre un jeune
patriote isolé qui tente désespérément de sauver sa peau après l’échec du
soulèvement. Il souffre du froid, de la faim, de la solitude, de
l’incompréhension. Pierre Falardeau, quand à lui, a choisi de nous montrer des
patriotes emprisonnés qui attendent leur exécution, et le climax de son film est
la douloureuse séparation de De Lorimier et de sa femme. Dans Quelques arpents
de Neige, les patriotes sont de pauvres habitants qui n’ont rien à perdre, sinon
«leur vie de chien». Le héros du film ne croit plus à la lutte politique et ne
veut plus se battre, mais il va quand même se retrouver traqué par les
britanniques, et après que la femme qu’il aime soit morte les yeux crevés par
des oiseaux, il va se suicider, coincé entre les soldats britanniques et les
soldats américains! La complainte des hivers rouges, sans doute la pièce de
théâtre consacrée aux rébellions qui a été la plus jouée, n’est qu’une longue
suite de doléances sur les misères et les vexations subies par les habitants
canadiens avant, pendant et après les Rébellions. Dans tous les cas, les Anglais
apparaissent comme des persécuteurs, inhumains et cruels. Ce sont des méchants
unidimensionnels. Dans leur intentionalité, ces représentations des Rébellions
correspondent avant tout à un discours victimaire. Elles reviennent à dire que
les Anglais ont été vraiment salauds et que nous, les Québécois, on y a goûté.
Au delà de ce constat, la réflexion demeure très pauvre.
Contrairement à cette perception victimaire, assez répandue, les tentatives
d’objectivation, de la part des historiens professionnels, pêchent par l’excès
inverse et conduisent souvent à minimiser l’importance des Rébellions dans
l’histoire du Québec. Beaucoup d’historiens n’y ont vu, et n’y voient encore
qu’un incident de passage. C’est un événement accidentel, qui ne s’inscrit pas
dans une nécessité historique, et qui par le fait même n’a pas de signification.
C’est un dérapage : avec un peu plus de bonne volonté de part et d’autre, il
aurait pu être évité, et le même résultat aurait été obtenu par des réformes.
Malheureux malentendu, où l’obstination, l’orgueil et la mauvaise foi ont joué
un rôle important. Le fait même qu’on ait toujours parlé de «rébellion», plutôt
que de «révolution», témoigne de cette volonté de diminuer la portée de
l’événement. Et le mot «rébellion» restait encore trop fort aux yeux de Lionel
Groulx, qui ne pouvait admettre que le peuple canadien-français si vertueux ait
jamais pu s’abandonner au dévergondage révolutionnaire. Selon Groulx, en 1837 il
n’y a même pas eu de rébellion, tout juste une révolte, ou pour être plus
précis, une résistance à une opération de police.
L’exagération outrancière du caractère dramatique des Rébellions et la mise à
distance tout aussi excessive révèlent une difficulté à construire une
représentation équilibrée de ces événements. Tantôt les affects prennent toute
la place et empêchent la mise à distance; tantôt, au contraire, c’est la pensée
qui quitte le sol, en évacuant complètement les affects.
Longtemps, les rébellions ont été un sujet tabou. Ce manuel d’histoire de Guy
Laviolette, encore en usage il y a quelques décennies, s’adressait aux enfants
de 3e année. Il présente l’histoire du Canada à travers 20 tableaux. Or entre la
bataille de Chateauguay, en 1812, et l’intervention de LaFontaine «qui rétablit
nos droits» au parlement en 1848, les Rébellions brillent par leur absence. Dans
les manuels de l’époque, le sujet commence à faire son apparition avec la
puberté. Même dans les livres pour adultes, le sujet n’était jamais abordé sans
d’immenses précautions dilatoires. «Nous allons maintenant aborder un sujet
délicat, un sujet difficile! Il faut faire très attention, il faut garder la
tête froide!» En somme, les Rébellions étaient un sujet pour adulte. Pourquoi
était-il si impératif de garder les enfants à l’abri de la conscience de 1837,
pourquoi fallait-il toujours l’aborder avec prudence, comme en marchant sur des
oeufs? Bien sûr, on a longtemps attribué la censure des patriotes à l’Église.
Mais cela n’explique pas pourquoi un événement historique a pu se retrouver,
culturellement, dans la même case que ce qu’on appelait à l’époque l’exercice de
la vie privée, c’est-à-dire la sexualité. On trouvera des sujets tabou dans
l’histoire de tous les pays, mais rarement des sujets historiques réservés aux
adultes, ce qui semble suggérer une curieuse confusion entre la politique et la
morale! Il est évident que cette censure n’est pas du même type que celle qui
frappe souvent les crimes collectifs que l’on refuse d’admettre, ou les
problèmes qu’on ne veut pas évoquer dans certains milieux par intérêt de classe.
Si les enfants doivent être protégés de quelque chose, ce n’est sûrement pas
d’idées qu’ils ne risquent pas de comprendre, mais plutôt de certains affects et
des contenus symboliques qu’ils charrient.
Revenons à aujourd’hui. Comme on le sait, le contrôle de l’Église ne s’applique
plus, le conservatisme ne règne plus en maître sur la société québécoise,
personne n’irait aujourd’hui défendre la doctrine paulinienne selon laquelle il
n’est pas permis de se révolter contre les autorités établies. Depuis 2002, nous
célébrons chaque année, au mois de mai, une journée des patriotes. En principe,
cette reconnaissance officielle de la place des patriotes dans l’histoire du
Québec a mis un terme au long déni historique des Rébellions. Mais les
circonstances dans lesquelles cela s’est fait ont terni cette réparation.
Rappelons d’abord qu’il a fallu 164 ans avant que cela ne se réalise, dont 16
ans de pouvoir péquiste, fait d’autant plus notable que le parti Québécois se
situe en principe dans la lignée spirituelle du mouvement patriote puisqu’il
vise comme lui la souveraineté politique du peuple québécois. Ensuite, par
manque de courage, on n’a pas osé créer un nouveau congé férié en officialisant
la fête des patriotes qui, depuis toujours, avait lieu le 23 novembre, jour de
la bataille de Saint-Denis. La journée des patriotes a pris la place de la fête
de Dollard, qui elle-même avait pris la place de la fête de la Reine Victoria.
On a donc refilé aux patriotes un congé férié usagé. Un congé qui avait déjà
servi deux fois! Ce n’est pas très généreux, pour rendre hommage à des hommes
qui n’ont pas lésiné à donner leur vie pour leur pays! Si je me mets un instant
à la place de l’un d’entre eux, il me semble que je serais plutôt outré par
cette ingratitude, par cette fête ridicule qui arrive beaucoup trop tard, et qui
ne fait qu’ajouter l’insulte à l’outrage. Trop peu, trop tard! Évidemment c’est
une image; les morts ne sont pas là pour réclamer que l’on reconnaisse leurs
mérites. Ce qui est en cause, c’est plutôt le rapport de la collectivité
québécoise à elle-même.
Ce n’est pas la première fois qu’une commémoration patriote est «ratée» de la
sorte. En 1905, on a inauguré le premier monument à Jean-Olivier Chénier, le
héros patriote de 1837. Ce projet de monument avait suscité une opposition
politique acharnée. Mais la pire douche froide n’est pas venu des opposants
politiques, elle est venue des membres du comité eux-mêmes. Pour des raisons
obscures, le projet initial de monument, qui devait être réalisé par le grand
sculpteur philippe Hébert et qui aurait été une de ses plus belles oeuvres, a
été abandonné et on a plutôt commandé un monument banal à un obscur sculpteur
américain, Alfonso Pelzer. Un tel acte manqué porte la trace d’une réserve, d’un
mouvement de recul dans le geste même d’honorer la mémoire d’un patriote.
L’idée d’une journée des patriotes au mois de mai se justifie, selon les
organisateurs, par le fait que c’est durant cette partie de l’année qu’ont eu
lieu les premières assemblées patriotes. Mais en inventant cette journée des
patriotes, on a du même coup mis à l’ombre la fête traditionnelle des patriotes,
c’est-à-dire la fête de la victoire de Saint-Denis, le 23 novembre. C’est dire
qu’en termes de réapropriation d’un héritage historique, il y a là un pas en
avant et un pas en arrière. Mais en même temps, il y a là un déplacement
symbolique qui n’est pas sans importance. Car commémorer des assemblées
publiques plutôt qu’une bataille, cela revient à accentuer l’aspect
«démocratique» et pacifique du mouvement, et à refouler son aspect
révolutionnaire, ainsi que le souvenir des affrontements militaires. On a
remplacé l’automne, saison des récoltes et de la maturité, par le printemps,
saison des semences, de la jeunesse et de l’innocence.
Pourtant, le 23 novembre était une date bien naturelle pour la fête des
patriotes. Et il y avait bien quelque chose à fêter ce jour-là! Le 23 novembre
1837, une troupe d’habitants, armés de fusils de chasse, ont réussi à mettre en
déroute un régiment de l’armée britannique, l’armée la plus puissante de la
planète à l’époque : un régiment de soldats professionnels, qui avaient combattu
Napoléon Bonaparte à Waterloo. Après les batailles de Saint-Denis et de
Saint-Charles, plusieurs officiers britanniques ont exprimé leur admiration à
l’égard de ces habitants qui leur avaient donné bien du fil à retordre. Il est
naturel de commémorer un tel événement, parce que cette victoire est un exploit
dont l’honneur rejaillit sur tous les compatriotes de ces hommes courageux.
En plus d’une source de fierté, on a aussi évacué ce qui était le plus propre à
susciter l’intérêt du public à l’égard de l’histoire des Rébellions.
Conformément à une curieuse tendance très répandue dans le «Québec moderne» chez
les historiens et dans les programmes d’enseignement, on a aplati l’histoire en
minimisant ses aspects les plus spectaculaires, les plus passionnants et
romantiques, et en accentuant les plus édulcorés et les plus ternes. Oublions
les batailles, les enfants, et lisons ensemble quelques unes des 92 résolutions!
Comme si c’était dans cette prose juridico-constitutionnelle que l’on pouvait
mieux comprendre ce que 1837 signifie pour nous et dans notre histoire. On se
surprendra ensuite que les célébrations ne remportent pas le succès escompté, ou
que les cégepiens désertent les cours d’histoire du Québec. Les Québécois ne
s’intéressent pas à leur histoire. Mais est-ce qu’on a rendu cette histoire
intéressante, en l’expurgeant tout ce qui pouvait susciter la moindre passion,
et en assortissant chaque affirmation d’une pléthore de précautions sans fin qui
confine à la manie obsessionnelle? Voyons avec quelle prudence l’historien
Gérard Bouchard admet l’existence d’une forme de projet national à l’époque des
patriotes:
«Avant comme après l’insurrection de 1837-1838, ce sentiment [national],
de plus en plus accusé, a trouvé des expressions intellectuelles et
politiques très disparates, voire contra¬dictoires, en deçà desquelles on
peut toutefois déceler une sorte de dénominateur commun [prenant la forme
d’]une volonté d’aménager sur le territoire québécois un espace francophone
doté des institutions nécessaires à sa survie et dont [ces élites] seraient
les titulaires légitimes.»[1]
Mettons de côté le contenu de cette affirmation, concentrons-nous sur sa
forme. C’est une ratiocination qui évacue non seulement les affects, mais
également la référence à tout élément historique concret (personnages,
événements, etc.) Cette phrase est typique de la tendance actuelle chez les
historiens québécois. On a récusé le «nous», considéré comme scientifiquement
suspect, et on a remplacé ce sujet traditionnel de l’histoire par une multitude
d’abstractions (qui ne le sont pas moins): idéologies, crise économique, classes
sociales, conscience de classe sont venus au premier plan, mettant de côté les
vivants, leurs actions et leurs volontés. Même la manière de construire les
phrases témoigne de ce parti-pris d’évacuer l’humain du récit historique. Ainsi,
«le sentiment national» est le sujet grammatical de la phrase de Bouchard: c’est
lui qui agit dans l’histoire, comme si le sentiment national était un acteur
historique, doué d’une conscience et d’une volonté. Expurger l’humain, expurger
le personnage vivant du récit historique, c’est éliminer l’identification du
lecteur et, par le fait même, encore une fois, c’est expurger les affects.
Évidemment, il va de soi que le résultat est ennuyant à mourir. Il faut choisir
entre le courage d’affronter ses affects et le déni des affects qui nous mène,
lentement mais sûrement, vers la dépression.
Tous les exemples que je viens de donner avaient pour but de montrer avec quelle
difficulté se construit la représentation mentale des Rébellions au sein de la
conscience historique québécoise. Le point essentiel, ici, est que la seule
définition objectivable d’un traumatisme est, précisément, la difficulté ou
l’impossibilité de construire une représentation adéquate d’un événement. Si,
depuis des années, j’ai acquis la conviction que les Rébellions représentaient
un véritable traumatisme historique, c’est parce que je n’en finis pas de faire
le constat de cette difficulté.
En principe, le mot traumatisme désigne un choc violent provenant de
l’environnement. Dans son sens premier, le traumatisme est une blessure
physique, fracture, coupure, brûlure, etc. Habituellement, dans le cas d’un
traumatisme physiologique, plus un choc est violent, plus le traumatisme sera
grave. Mais le traumatisme psychologique est plus complexe, et la relation entre
l’intensité du choc et l’effet peut être très inégale. Une personne qui tombe
d’un dixième étage va se tuer à coup sûr, mais on a vu des personnes qui ont
subi des expériences extrêmement dures et qui en sont sorties sans séquelles
psychologiques graves. On peut donner ici l’exemple de Bruno Bettelheim, qui a
subi l’horreur des camps nazis, ce qui ne l’a pas empêché d’avoir par la suite
une carrière de psychanalyste et d’auteur très prolifique. D’un autre côté, des
personnes peuvent souffrir de séquelles traumatiques très graves sans qu’on
puisse vraiment mettre le doigt sur un événement précis ou extraordinaire. La
violence engendre des psychoses en cascade aujourd’hui en Irak ou en
Afghanistan, mais les suicides d’adolescents dans des sous-sols de bungalows de
banlieue nord-américains ne relèvent pas nécessairement d’une misère psychique
moins grande.
Si le rapport entre la violence de l’événement et l’effet traumatique est si
variable, c’est que le coup de tonnerre de l’événement traumatique n’est jamais
sans rapport avec le coeur de la vie psychique et pulsionnelle, et la mémoire la
plus profonde et la plus refoulée qui lui est liée.
Je crois qu’il est inutile d’insister ici plus qu’il ne faut sur la théorie
freudienne et psychanalytique de la représentation mentale. Retenons surtout que
la représentation mentale est à deux faces, en ce sens que tout en assurant une
«reproduction» mentale du monde et des choses elle remplit une fonction de
figurabilité psychique. Éléments psychiques, conflits pulsionnels se projettent
au sein de la représentation des choses, ce qui permet une certaine forme
d’objectivation des enjeux psychiques. Une représentation de chose est faite de
l’alliage d’une trace mnésique et d’un quantum d’énergie psychique qui constitue
en quelque sorte le «carburant» de la représentation, ce qui lui confère son
caractère vivant. À son tour, ce quantum d’énergie psychique est lui-même
porteur d’un contenu mnésique antérieur. L’affect est un contenu psychique
hautement organisé et qui charrie une mémoire. L’idée d’une pulsion de mort nous
entraîne dans les zones les plus spéculatives de la théorie psychanalytique. Ce
désir de retourner à l’état d’avant la vie, objet du plus puissant refoulement
et qui constitue, selon Freud, un au-delà du principe de plaisir, est-il
inhérent à toute forme de vie, ou bien serait-il plus juste d’y voir la
manifestation de la mémoire traumatique de la naissance, ombilic de la vie
affective à la source de tous les affects, de toutes les angoisses et de tous
les refoulements? Tenons-nous en à ce qui apparaît le plus sûr, à ce qui est
étayé sur un vaste corps d’observations cliniques: toute représentation mentale
est investie par des enjeux psychiques qui correspondent, d’une manière
générale, à ce qu’on pourrait appeler un «anguille sous-roche» de la
représentation.
Le traumatisme est aussi une notion à deux faces, et il se situe entre deux
extrêmes, selon que prédomine la violence de la stimulation (l’événement
traumatique) ou l’importance des enjeux psychiques qui le sous-tendent. À un
extrême, il y a le cas où une météorite, venue des confins de l’univers,
s’écrase sur ma maison, provoquant un violent choc nerveux. Même si celui-ci
pourrait avoir des effets durables sur ma vie psychique, il reste que les enjeux
psychiques n’ont joué aucun rôle dans la genèse de ce traumatisme. La source est
extérieure, et complètement neutre du point de vue de ces enjeux psychiques. Un
traumatisme de ce type pourrait être comparé à un arbre qui a perdu ses
branches. Si l’arbre est en santé, ses racines n’ayant pas été touchées, les
branches peuvent repousser et l’arbre peut survivre. À l’autre extrême, il y a
ces cas de traumatismes où prédominent les enjeux psychiques. L’événement
traumatique peut être anodin, sa charge affective lui venant de l’enjeu
symbolique dont il est le rappel et la manifestation. Un exemple bien connu est
ce cas que Freud a présenté sous le pseudonyme de «l’homme aux rats». La longue
et patiente investigation d’une névrose obsessionnelle aboutit à une scène
enfantine plutôt amusante où le très jeune enfant injurie son père en le
traitant de serviette et de lampe. Le père, qui s’apprêtait à battre l’enfant,
est estomaqué par cette réponse et renonçant à le battre, il lui adresse plutôt
un commentaire admiratif. Comment un tel souvenir peut-il être traumatique? Pas
en lui-même, bien sûr, mais dans la mesure où, illustrant mieux que tout autre
la victoire de l’enfant sur son père, il est devenu le représentant psychique du
fantasme de la mort du père, que l’enfant est incapable d’affronter et qui
suscite en lui une angoisse insurmontable.
Tout traumatisme se situe quelque part entre ces deux extrêmes et par
conséquent, est en rapport à la fois avec une événement réel, dit traumatique,
souvent violent ou extrême, et des enjeux psychiques ou symboliques. C’est
pourquoi il faut toujours tenir compte des uns et des autres. Il y a toute la
différence du monde entre les effets traumatiques produits par un «acte de
dieu», un tremblement de terre ou un ouragan, et ceux produits par un acte
humain et intentionnel, parce que l’existence d’une volonté derrière l’acte
terrifiant vient moduler l’effet traumatique: l’acte de Dieu est absurde, tandis
que l’intentionalité de l’acte humain dote l’événement traumatique d’une
signification. Doter l’événement traumatique d’une signification fait partie du
travail de représentation; le fait que l’événement soit déjà porteur de
signification aura des effets aussi variés que les significations elles-mêmes.
Dans certains cas, l’intentionalité derrière l’événement traumatique peut
faciliter le travail de représentation en canalisant les affects dans une
réaction (par exemple la vengeance). On se rapproche ici du versant psychotique
du traumatisme, par lequel le sujet évacue la charge traumatique en la
transmettant à un autre sujet. C’est ainsi que les effets du traumatisme
deviennent épidémiques. (L’invasion de l’Irak par les États-Unis est directement
liée à l’effet traumatique des attentats du 11 septembre 2001. Sur le plan
stratégique, c’était une bêtise, mais sur le plan de la psychologie collective,
l’invasion de l’Irak a très efficacement effacé l’état d’angoisse dans lequel le
pays était plongé après les attentats.) Dans d’autres cas, l’intentionalité peut
se présenter comme un facteur agravant, si l’on doit porter, en plus du malheur
lui-même, le poids de la haine ou du mépris de l’autre. L’effet traumatique
dépend, par conséquent, non seulement de la «matérialité» de l’événement, mais
également de la manière dont le sujet le perçoit et l’intègre à sa mémoire, des
capacités dont il dispose pour en surmonter les effets, ainsi que de la
signification qu’il lui prête.
Le rapport de l’événement terrible à l’enjeu psychique (ou symbolique) peut être
compris comme un rapport de représentation. L’événement qui nous fait passer à
deux doigts de la mort offre l’occasion d’une figuration psychique de cet
extrême pulsionnel dont Freud a énoncé la théorie avec la notion d’instinct de
mort. Il est paradoxal que de telles expériences nous paraissent généralement
terribles et exceptionnelles alors qu’en fait la mort est la réalité la plus
banale et la plus répandue qui soit. L’inéluctabilité de notre mort est
certainement l’élément de représentation qui correspond à l’affect le plus
puissant et le plus refoulé. L’explosion des affects que l’on peut imaginer dans
le psychisme d’une personne qui tombe d’un dixième étage, dans les dernières
secondes avant sa mort, est une expérience que tous, nous devrons vivre tôt ou
tard, que ce soit violemment ou calmement, car tout état de tension doit un jour
se résoudre, et ce qui a monté doit redescendre. Par ailleurs, l’expérience nous
montre que la proximité de la mort, aussi angoissante soit-elle, est source
d’une jouissance qui est souvent recherchée dans ses formes plus ou moins
diluées (risque, fantasme, spectacle). La proximité de la mort et la libération
du potentiel pulsionnel qu’elle suscite est au coeur de nombreux rites
initiatiques qui soulignent les vertus cathartiques de l’aventure. La proximité
de la mort permet de redonner aux choses leur vraie valeur, elle est une
purification qui rend les mensonges inutiles, elle assure un ressourcement dans
les forces de l’inconscient. C’est là un thème fort prisé de la mythologie, et
particulièrement du mythe du héros, qui se définit essentiellement comme un
personnage qui a bravé la mort et qui en est ressorti investi d’une force
nouvelle, divine, surhumaine.
L’expérience «extrême» n’est donc pas automatiquement traumatisante. Au
contraire, si elle est surmontée, elle renforce le psychisme en l’enrichissant
de nouvelles représentations qui constituent autant d’aménagements de ces zones
obscures de danger. Cette richesse, nous l’appelons le courage, et elle se
nourrit à la fois de l’expérience du danger et de la purification intérieure
qu’elle assure, et elle se manifeste dans le sentiment de la fierté (je parle
ici du courage en tant que fait psychique, et non en tant que concept de la
philosophie morale). L’événement terrible apparaît ainsi comme la représentation
d’une réalité symbolique, la condition de mortel, et permet de se représenter
cette condition de manière concrète. Ce qui caractérise le courage, il faut le
souligner, ce n’est pas la capacité à affronter le danger – tout le monde
affronte le danger, puisque tout le monde est mortel! – mais plutôt la capacité
de penser le danger et de penser en situation de danger.
Le traumatisme correspond à la situation où, pour une raison ou une autre, ce
travail de représentation de l’événement terrible tourne mal, soit parce que la
violence de la stimulation a excédé la capacité d’assimilation, soit parce qu’un
conflit pulsionnel préalable a affaibli le système psychique. Deux lieux de
cassure peuvent se produire: soit le lien avec la réalité est rompu, il y a
perte de la capacité de refouler, ce qui est un état psychotique, soit, cas
moins grave mais plus pernicieux, l’impossibilité de fixer les éléments
psychiques générateurs d’angoisse dans des représentations exige, en quelque
sorte, la condamnation de la partie touchée. La zone traumatique est un ensemble
d’affects et de matériaux mnésiques, fortement liés, qui doit impérativement
être évité. C’est la névrose obsessionnelle, avec tout son cortège de rites
d’évitements, de phobies, de détours, de conjurations. Sous l’apparence du calme
obsessionnel, le traumatisme recouvre un mouvement peur panique continuel. C’est
un état de terreur qui est caractérisé, ou plus précisément, qui se définit par
l’impossibilité de penser et de se représenter. L’évitement de la zone de danger
est impératif et ne se discute pas. L’idée que de toute manière on doit mourir
ne peut être mise en balance avec la peur d’affronter la conscience de la mort.
La peur panique, c’est la réaction de la personne qui découvre qu’elle a un
cancer et qui s’abstient d’en parler à qui que ce soit parce que cela l’effraie
trop. Le réflexe d’évitement ne frappe jamais le danger lui-même (comment
pourrait-on éviter le danger?), mais seulement la conscience du danger.
Évidemment, c’est un est un marché du dupe, une très mauvaise affaire. Le sujet
ne va pas éviter la mort, mais en refusant la conscience de la mort, il va
renoncer à la possibilité de lui donner un sens. Le traumatisme apparaît ainsi
comme le contraire de cette représentation réussie qui correspond au courage et
à la fierté.
L’investigation du traumatisme des Rébellions de 1837 ne peut donc se passer de
l’analyse de l’arrière-fond symbolique de l’événement. À ce titre, commençons
par dire qu’évoquer le cas de l’homme aux rats n’était pas sans pertinence. La
crainte inommable de la mort du père est au coeur de tout ce qu’on peut appeler
tendance à l’échec. Or il est remarquable que dans la représentation des
Rébellions, l’élément le plus refoulé n’a jamais été la défaite mais plutôt la
victoire. Personne ne l’a mieux mis en évidence qu’Hubert Aquin, dans son texte
consacré aux Rébellions de 1837 et intitulé «L’art de la défaite»[2]. Selon
Aquin, le vrai événement traumatique en 1837 aurait été la victoire de
Saint-Denis. C’était une victoire à laquelle les patriotes ne s’attendaient pas,
ils en sont restés complètement paralysés. Pourquoi? Parce que cette victoire
les entraînait de manière inattendue dans un vrai combat où il leur fallait
«vaincre ou mourir». Je corrigerais la formule d’Aquin en disant qu’il leur
fallait tuer ou mourir, car c’est aussi là que résidait la difficulté. La
victoire les jetait beaucoup trop précipitamment au coeur de l’histoire.
Habitués à n’être qu’un demi peuple, assujetti et minorisé (c’est-à-dire, mis
dans une position de mineur, d’enfant), ils n’étaient pas prêts à assumer cela.
Ne pouvant se résoudre à tuer, «il ne leur restait qu’à mourir». Ils se sont
donc retranchés sagement dans leurs camps, pour attendre la punition de leur
incartade, quitte à vendre chèrement leur peau pour sauver leur honneur.
Aquin a-t-il raison d’attribuer ce défaitisme aux acteurs historiques de 1837?
Rien n’est moins certain. Après tout, les patriotes de 1837 ont bien fait tout
ce qu’ils pouvaient pour gagner leur bataille, et il faut avouer qu’ils avaient
bien peu de choses pour eux! Mais ce défaitisme, cet art de la défaite est, sans
aucun doute, caractéristique de la représentation que l’on a construite par la
suite de cet événement historique. Dans les circonstances, le fatalisme apparaît
comme un mécanisme de défense visant à évacuer les affects en éliminant toute
référence à l’imprévisible, ce qui se traduit dans la forme du récit par ce que
nous appelons le suspens. Les patriotes devaient perdre; c’était écrit! Ça ne
pouvait finir autrement. À quoi bon s’en faire, à quoi bon lutter si l’issue est
inéluctable? Ici comme ailleurs, l’évacuation des affects se traduit par un
effet de dépression. Pourtant, les témoignages historiques de 1837 montrent des
états d’esprit qui n’ont rien à voir avec la démoralisation tranquille d’Aquin.
Songeons par exemple à la scène où Georges-Étienne Cartier et ses compagnons
traversent à la nage les eaux glacées du Richelieu, en plein mois de novembre,
sous les balles des Britanniques, pour aller livrer aux insurgés de Saint-Denis
les cartouches dont ils ont besoin!
Comme on l’a vu, les trois films réalisés sur les rébellions ont également
privilégié l’évocation de la défaite. Il est remarquable qu’aucun cinéaste n’a
eu l’idée de mettre en scène la joie de vivre, bien connue et bien documentée,
des fêtes qu’on se donnait dans les années 1830 dans les milieux patriotes,
notamment dans la maison du Dr Labrie à Saint-Eustache. Aucun n’a eu l’idée de
s’inspirer des paroles de cet habitant qui a combattu à Saint-Denis et qui a
ensuite affirmé: «Je ne me suis jamais autant amusé dans ma vie!» (Pour
comprendre l’importance de cette parole, il faut songer que cet homme a vu
mourir autour de lui plusieurs compagnons, fauchés par des boulets de canon qui
ont traversé les murs de la distillerie où ils étaient retranchés.) Aucun
cinéaste n’a eu l’idée de mettre en scène le courage de Siméon Marchessault, qui
prend en main la direction du combat de Saint-Charles après la fuite du chef
Brown. Au contraire, Brault nous montre un combattant patriote qui se met à
vomir au moment de faire feu sur les Anglais! C’est peut-être une réalité de la
guerre, bien sûr, mais dans un film, c’est aussi un choix significatif.
Bien plus que la défaite, la victoire est l’élément refoulé des Rébellions.
L’occultation actuelle de la fête du 23 novembre en témoigne, mais il faut dire
aussi que le 23 novembre n’a jamais eu le caractère qu’il aurait dû avoir, celui
d’une fête, mais plutôt celui d’un devoir de mémoire, à saveur plutôt
mortifiante, invariablement accompagné des jérémiades adressées au reste de la
population ingrate, prompte à oublier son histoire et ceux qui sont morts pour
la patrie.
Tout comme la victoire, le courage est un élément peu présent dans les
représentations de 1837, alors que le manque de courage et les exemples de
lâcheté, de fuite éperdue et de peur panique sont d’une présence écrasante. Le
curé Paquin, auteur du Journal historique de la rébellion à Saint-Eustache,
donne le ton quand il décrit de manière fort comique la débandade des
combattants et des chefs patriotes. Après une expédition ratée à Sainte-Rose,
les patriotes fuient à toutes jambes: «Ils se pressèrent tellement que plusieurs
se heurtèrent et se blessèrent même en sautant à la hâte et tous ensemble dans
leurs voitures; ils ne ralentirent leur course que quand ils furent au milieu
des leurs à St-Eustache, et même là ils croyaient encore avoir l’ennemi à leurs
trousses». La fuite du général Girod est également un modèle du genre
anti-héroïque. Quand se présente l’armée britannique, le général force des
hommes à s’enfermer dans l’église puis s’enfuit en prétendant aller chercher du
renfort. Au lieu de venir prêter main-forte aux patriotes de Saint-Eustache, qui
font face à une armée britannique dix fois supérieure en nombre, les hommes de
Saint-Benoit ne pensent qu’à se venger du fuyard et veulent même le livrer aux
anglais. Après avoir honteusement trompé diverses personnes le long de son
chemin et volé un cheval pour assurer sa fuite, Girod se suicide lorsqu’il se
voit encerclé par les loyaux.
La description de la fuite d’Étienne Chartier, le curé patriote de Saint-Benoit,
est tout aussi comique:
«M. Chartier, qui se trouvait alors au village, fut tellement pressé de se
sauver dès qu’il eut entendu quelques coups de canon, qu’il n’eut pas le temps
de prendre sa voiture qui était chez le Dr. Chénier, et qu’il se sauva à pied. À
quelque distance du village il se jeta dans une traîne qui passait avec deux
femmes et cinq ou six enfants en bas âge; mais bientôt, trouvant que cette
traîne n’allait pas assez vite, il se remit à courir de plus belle et courut
ainsi pendant une demi-heure au moins avec une foule de fuyards, ne le cédant à
personne en agilité.»
Ici, l’effet comique vient du fait que les chefs sont à la tête du mouvement de
panique qui entraîne hommes, femmes et enfants, combattants et non combattants,
dans le plus grand désordre. Les choses sont complètement inversées: plutôt que
d’être sur la ligne de front, pour inspirer courage aux hommes, les dirigeants
indiquent la voie de la fuite. On ne saurait mieux illustrer l’idée d’un
mouvement de panique.
Ces scènes de panique sont légion dans l’historiographie des Rébellions, tout
comme celles où l’on voit les chefs s’enfuir. Selon Paquin, il y a aussi Féréol
Peltier, Hubert, les frères de Lorimier qui se sont enfuis de Saint-Eustache
avant la bataille. À Saint-Charles, c’est Brown qui s’est enfui. Dans le
soulèvement de 1838, on a beaucoup parlé de la fuite du Dr Côté. Mais la plus
célèbre fuite de chef, celle qui a pris un caractère emblématique est évidemment
celle de Papineau, qui aurait fui Saint-Denis à la veille de la bataille. C’est
là un événement remarqué, célèbre, souvent le premier ou le seul que le
«Québécois moyen» aura retenu de l’histoire des Rébellions ou de la biographie
de Papineau. Cet événement a été le sujet des nombreuses controverses, il a
fourni le sujet de plusieurs chansons! Bref, la fuite de Papineau a bénéficié
d’une visibilité exemplaire. Pourtant, n’est-il pas normal qu’un chef d’État
soit mis à l’abri lors d’une bataille militaire? Est-ce que le président Bush a
acquis une réputation de poltron parce qu’il a été maintenu au secret pendant
toute une journée après les attentats du 11 septembre?
Un autre fait remarquable, c’est que les Canadiens du XIXe siècle ont forgé un
mot original pour désigner le fuyard et le traître, tandis qu’on a emprunté un
mot américain, «patriote», pour désigner le héros. Les révolutionnaires
canadiens n’ont guère fait preuve d’originalité: tout comme le mot patriote, les
fils de la liberté et la société des frères chasseurs sont des calques
d’organisations américaines. Mais pour désigner le traître et le fuyard, on a
inventé un mot bien canadien, un mot riche de sens et d’associations, bien
enraciné dans l’histoire et la culture locale: le chouayen, inspiré par la
bataille de Chouagen, où les Français ont fui dans la panique devant l’ennemi
Iroquois. Le mot chouayen n’est d’ailleurs pas sans rappeler une autre
expression bien québécoise: la chienne. La chienne est une peur panique, qu’on
peut comparer à la trouille, mais qui est bien pire, car la trouille est quand
même quelque chose qu’on a (j’ai la trouille) tandis que la chienne, elle, «nous
pogne». En bon Québécois, on dira que «quand la chienne nous pogne, elle ne nous
lâche plus».
Depuis plusieurs années, mes travaux de recherche ont été consacrés à ce
problème, à travers l’analyse de deux cas. Le premier est celui de Félix Poutré,
traître et indicateur de police, qui a publié en 1862 un récit historique
frauduleux dans lequel il prétendait avoir été un des principaux organisateurs
du soulèvement de 1838[3]. Pendant plusieurs décennies, le récit de Félix Poutré
a été le plus grand succès de librairie de tous les temps pour une oeuvre
canadienne. L’exploit a été renouvelé par la pièce de théâtre que Louis
Fréchette en a tiré, et qui a longtemps été la pièce canadienne la plus jouée.
L’analyse du texte et des circonstances de la fraude a confirmé la complaisance
du public canadien à se laisser berner par le faussaire et à se reconnaître dans
le personnage d’un traître. Le deuxième cas est celui de Jean-Olivier Chénier,
incontestable héros de la révolution de 1837, dont la mémoire a été ostracisée
de la conscience collective, alors même que Poutré battait des records de
popularité. Même lorsqu’on a voulu rappeler le souvenir de Chénier et raconter
son histoire, on n’a jamais trouvé que des phrases creuses sur le courage et
l’héroïsme. Il est frappant de comparer la pauvreté des discours sur Chénier
avec la volubilité, la richesse créative du discours sur le traître[4] Ces deux
travaux en arrivent au même constat, celui de la prééminence, dans les
représentations collectives québécoises, de la structure chienne-honte, au
détriment de la structure courage-fierté.
Derrière le déni de la victoire patriote, la complaisance dans le misérabilisme
et le culte du traître, se cache sans doute la crainte inavouée de la
transgression révolutionnaire – affirmation que l’on doit comprendre sous
l’angle symbolique et non idéologique. De nombreux travaux, dont ceux de Gérard
Mendel (Une histoire de l’autorité) ont montré que le pouvoir et l’autorité se
fondent dans l’affectivité relative aux figure parentales. La révolution ne peut
se concevoir que comme une mise à mort symbolique de ces figures. Or
l’historiographie des Rébellions – à commencer par l’Histoire de l’insurrection
du Canada que Papineau publie en 1839 – est entièrement traversée par le refus
d’assumer la culpabilité de la transgression révolutionnaire.
Le remplacement de la bataille de Saint-Denis par les assemblées démocratiques
et pacifiques du printemps 1837 montre que ce déni de l’héritage révolutionnaire
de 1837 se poursuit encore aujourd’hui. Ce qui définit un mouvement
révolutionnaire, c’est qu’il vise à renverser les pouvoirs établis par des
moyens extra-légaux. On peut toujours concevoir que l’indépendance du Bas Canada
aurait pu se faire par des moyens légaux, non-révolutionnaires, mais il est
certain qu’un tel projet aurait été difficilement réalisable parce qu’il
n’aurait pas pu se déprendre de l’ornière d’une contradiction symbolique. Pour
un mouvement qui vise l’autodétermination d’un peuple, la nécessité de procéder
hors des cadres légaux n’est pas seulement une question de circonstances; elle
est structurelle. Une révolution nationale vise à établir la souveraineté d’un
peuple ou d’une nation, or la souveraineté est fondatrice du droit et ne peut
par conséquent être elle-même régie par le droit! L’illégalité est inhérente à
la révolution et à la saisie de la souveraineté. Il y a dans la conquête de
l’autodétermination quelque chose qui ne peut, fondamentalement, être achevé par
de simples réformes. La souveraineté ne se demande pas, elle se prend. C’est
parce qu’elle reste symboliquement une mise à mort de la figure d’autorité
parentale qui sous tend le pouvoir politique que la révolution est violente. La
violence concrète, matérielle ne fait qu’illustrer cette violence symbolique et,
sans doute, en l’illustrant, en offre une figurabilité et une objectivation. La
violence révolutionnaire n’est pas nécessaire parce qu’elle est le seul moyen de
changer les choses, elle est nécessaire parce qu’elle est le seul moyen de
figurer les réalités symboliques de l’aliénation et de la liberté.
Cette transgression révolutionnaire, les patriotes de 1837 et 1838 l’avaient bel
et bien effectuée et les affrontements militaires en sont la manifestation la
plus tangible, puisqu’ils ont porté à son paroxysme le conflit des légitimités.
Aux yeux du gouvernement, la prise des armes était un acte de haute trahison.
Mais pour le citoyen aux yeux de qui ce gouvernement n’avait plus de légitimité,
elle devenait un devoir de citoyen. La transformation du crime de lèse-majesté
et de haute trahison en acte héroïque sublime est l’essence même du conflit de
légitimité qui est au coeur d’une révolution et d’une indépendance nationale.
L’impossibilité de reconnaître le caractère sublime d’un héros patriote comme
Chénier est la preuve qu’on n’a jamais réussi à assumer cette transgression
révolutionnaire, ce que vient par ailleurs confirmer l’occultation de la fête du
23 novembre.
Cette occultation reflète l’idéologie souverainiste officielle, qui promeut la
souveraineté du Québec à travers une démarche «démocratique», ce qui veut
surtout dire, dans les circonstances, sans violence politique et sans sortie de
la légalité (on pourrait dire aussi «sans faire de vagues»). C’est pourquoi on a
remplacé le mot «indépendance» par le mot «souveraineté», alors que ces deux
termes sont à peu près équivalents sur le plan sémantique et se distinguent
seulement par leurs connotations (le terme «indépendance» rappelant davantage
les aspects conflictuels du projet). Le refus d’assumer cet aspect conflictuel
était une faiblesse que les ennemis du projet souverainiste n’ont pas manqué
d’exploiter en martelant le mot «séparation». En récusant ce mot, les
souverainistes ne faisaient que confirmer la peur qu’il devait inspirer. Il faut
se demander jusqu’à quel point ce refus de la violence symbolique n’est pas à
l’origine de l’échec du mouvement souverainiste. Contrairement à ce que disent
ces souverainistes non-séparatistes, on ne peut fonder le Québec sans détruire
le Canada! Il y a, autour de la répétition historique de l’échec de 1837-1838
dans les deux référendums de 1980 et de 1995, un impensé tragique.
La peur irraisonnée de la violence politique parmi une population qui en a connu
bien peu au cours de son histoire est un paradoxe qui semble défier la logique,
mais qui ne nous étonne pas en tenant compte des aspects théoriques que nous
venons de voir. La fréquentation d’expériences modérément éprouvantes permet
d’ancrer dans des représentations mentales les réalités menaçantes du monde et,
simultanément, les éléments psychiques qui sont source d’angoisse. Inversement,
la rareté de ces expériences se traduit par une pauvreté des représentations.
Les dangers peuvent susciter d’autant plus de crainte que l’expérience que nous
en avons est limitée. En 1998, pendant la crise du verglas, les habitants d’un
village d’Afrique subsaharienne se sont cotisés pour envoyer du bois de
chauffage au Québec. On peut certainement attribuer l’émoi de ces Africains à
l’absence d’une expérience concrète de l’hiver qui aurait pu leur permettre de
modérer la puissance de leurs fantasmes; faute d’ancrage dans l’expérience, le
fantasme s’emballe et ne connaît plus de limites. Ainsi, le caractère
traumatique des Rébellions pourrait s’expliquer en grande partie par la pauvreté
des expériences auxquelles les enjeux symboliques liés à la transgression
révolutionnaire auraient pu se rattacher au sein de représentations solides. Les
Rébellions de 1837-1838 restent le seul événement révolutionnaire de l’histoire
du Québec et du Canada. C’est fort peu, et il y a une terrible disproportion
entre la lourdeur de ces enjeux symboliques et la pauvreté des expériences
vécues.
Il reste maintenant à aborder la deuxième question centrale à cet exposé:
comment des événements qui n’ont été que modérément terribles pour les individus
peuvent-ils néanmoins avoir été très marquants pour une collectivité dans son
ensemble? Pour aborder ce problème, je prendrai pour point de départ un très
intéressant passage de la pièce de théâtre Papineau de Louis Fréchette.
Il s’agit de la fameuse scène de la fuite de Papineau. Fréchette, qui est un
sympathisant de Papineau et qui écrit cette pièce pour lui rendre hommage,
aborde cet épisode controversé afin d’en donner une interprétation qui lui soit
aussi favorable que possible. Dans la pièce, Wolfred Nelson ordonne à Papineau
de se mettre à l’abri des combats. Il soutient que Papineau sera plus utile
vivant que mort. Mais Papineau refuse de partir, il veut exposer sa vie comme
les autres. Alors, Nelson lui reproche son égoïsme : «Vous ne pensez qu’à votre
réputation, alors que vous devriez penser à votre devoir envers le pays!»
Papineau tient à sa réputation, mais pour le bien du pays, il doit accepter de
sacrifier sa réputation. Précisément à ce moment, une femme et un enfant font le
serment de se battre jusqu’à la mort, comme pour mieux mettre en évidence le
caractère honteux du geste que Nelson exige de Papineau. Alors dans un fascinant
discours, Papineau compare le sacrifice qu’on exige de lui à celui du Christ :
«Les femmes... les enfants... Je comprends ce que le Christ a pu souffrir au
jardin des Oliviers!» C’est bien le monde à l’envers, parce que la scène à
laquelle Fréchette fait référence est inversée : au jardin des Oliviers, la
coupe amère que le Christ doit boire jusqu’à la lie, c’est sa propre mort. Au
contraire, Papineau proteste contre le fait qu’on lui impose de survivre! Quelle
est donc cette souffrance qu’il compare à celle du Christ? Ce n’est pas bien
sûr, une souffrance physique, mais une souffrance morale: c’est une souffrance
narcissique. Ce que Papineau doit sacrifier en prenant la fuite, plus encore que
sa réputation, c’est son estime de soi. Il va sauver sa peau, tandis que les
femmes et les enfants vont se battre jusqu’à la mort, il va avoir une vie très
longue, mais indigne, il va être condamné, entouré de sarcasmes, ridiculisé,
(certains se moquent en racontant qu’il s’est déguisé en femme pour cacher sa
fuite) il ne sera jamais plus qu’un homme politique d’opposition et de second
ordre, long supplice pour un homme qui a connu une si grande gloire.
Fréchette nous montre un homme qui est contraint de renoncer à ses besoins
spirituels et de régresser vers ses besoins primaires, et qui en souffre. La
situation de Papineau est ici emblématique de celle de tout un peuple, émergeant
à la conscience, prêt à sacrifier son bien-être pour accéder au statut de
l’existence historique, et que l’on contraint par la force à régresser au statut
infantile. Les Canadiens français sont un peuple enfant. L’enfance est un
univers qui n’est pas sérieux et qui est sans importance; les enfants n’ont pas
de sexe et les enfants ne souffrent pas. Bien sûr, quiconque est familier avec
la pratique de la psychanalyse sait bien que cela est un préjugé des adultes.
L’enfance est considérée comme non-sérieuse parce qu’elle est politiquement
infériorisée. Quand on a atteint la maturité de l’adulte, se faire imposer une
régression vers le statut infantile est une source de souffrance, et c’est bien
de cette souffrance qu’il s’agit ici. En 1960, dans son texte «La fatigue
culturelle du Canada français», Hubert Aquin dénonçait précisément un statut qui
releguait dans l’inimportant tout ce qui concernait la réalité locale. Comme
l’univers enfantin, les préoccupations des Canadiens français ne sont «pas
sérieuses». Quelle est en effet l’importance des questions locales québécoises,
à côté de tous ces événements terribles et extraordinaires qui bouleversent le
monde? L’existence des Canadiens français est inimportante: il y a précisément
dans ce mot tout le poids de l’écrasement d’un être contraint de régresser dans
le statut infantile.
Voyez, dit-on au Canadien français, comment vous avez été bien traités; vous
avez toujours joui d’une relative prospérité et vécu sous un régime d’une grande
libéralité. Comparez votre sort avec celui de la plupart des collectivités qui
vous entourent, voyez combien vous êtes privilégiés par votre sort! Mais ce
bien-être dont a toujours joui le Canadien français ne correspond qu’à la
satisfaction des deux premiers besoins primaires de l’être humain: le besoin
alimentaire et le besoin de sécurité, et il s’est toujours payé du sacrifice des
autres besoins, qui normalement finissent tôt ou tard par nous amener à mettre
en veilleuse les besoins primaires: les besoins spirituels. Le besoin d’estime
de soi, le besoin de vérité, le besoin de partage, le besoin de donner un sens à
sa vie. La frustration de ces besoins essentiels, fondamentaux, est l’essence
même de l’état de conquis, et contrairement à ce qu’on pense, c’est la
résistance et la révolte contre cette condition qui entraîne misère et rapports
sans cesse plus violents entre le conquérant et le conquis.
Cette misère morale que l’on reconnaît si bien dans le Papineau de Fréchette est
une sorte de complexe du survivant qui ne peut qu’empoisonner une existence. En
l’occurrence, il montre que l’on n’échappe pas à son appartenance collective,
qu’elle est une part de nous-mêmes. Comment peut-on en effet être heureux
individuellement tandis que la collectivité dont nous faisons partie est dans
une situation de sujétion? Bien sûr, on peut expliquer cela sociologiquement:
une petite bourgeoisie se développe au sein du groupe aliéné, qui est davantage
liée à la bourgeoisie du peuple conquérant qu’au terreau de ses propres
origines. Mais ce mécanisme sociologique correspond aussi à une structure
mentale partagée par tous les groupes de la collectivité. Tous les individus de
la collectivité aliénée connaissent le même exil intérieur, la même souffrance
narcissique et la même culpabilité, même si en tant qu’individus ils peuvent se
situer en différents lieux de cette structure mentale. Dans tous les cas, si des
sentiments sont niés, c’est que les valeurs qui les mettent en évidence le sont
aussi. C’est ainsi que les effets d’une conquête se généralisent sur l’ensemble
d’une culture, et qu’on en arrive à honorer un traître et vouer un héros aux
oubliettes, paradoxe emblématique de la situation du colonisé.
On voit que le second problème que nous avons posé est intimement lié au
premier: l’effet d’écrasement sur la collectivité est, justement, d’autant plus
grand que le sort de l’individu, mis à l’écart des grands enjeux historiques,
voire protégé et surprotégé, est doux. C’est le cas parce que cette douceur est
résultat de sa docilité, mais également parce que ce que la violence politique
précède la prise de conscience de l’aliénation, qu’elle ne la suit pas. En
l’absence de violence, par conséquent, point de conscience; en ne bougeant pas,
on ne se cogne pas aux murs de la cellule. Le Canadien français/Québécois épouse
parfaitement les formes de son aliénation, ce qui lui évite les conflits
violents visibles mais détermine la particularité de sa condition: tout se passe
dans son âme, dans un conflit intériorisé qui, faute de réalités extérieures sur
lesquelles il puisse s’objectiver (se figurer) demeure à l’état stationnaire.
L’échec des Rébellions est suivi du rapport Durham, qui en est une conséquence
directe. Durham juge très sévèrement la collectivité canadienne, qu’il considère
comme un peuple non viable, inapte à fonder une vie nationale convenable. C’est
«un peuple sans histoire et sans littérature». En principe cette condamnation
n’est même pas malveillante: c’est l’avis du jardinier qui juge qu’un arbrisseau
mal placé n’a aucune chance de bien se développer et qu’il vaut mieux le couper.
C’est le préjugé gros et gras du membre d’une nation conquérante qui se pose en
éducatrice du monde inférieur, le scandale ici étant moins le jugement porté sur
la collectivité canadienne-française que le droit qu’on se donne de le porter.
Or l’intention que révèlent les paroles de Durham est d’autant plus ravageuse
que Durham n’a pas entièrement tort : le fait est que les Canadiens français de
1837 n’ont pas grand chose pour eux. Contrairement à beaucoup des populations
qui se soulèvent, à cette époque, contre les monarchies et les empires, ils ne
sont pas riches, ils ne sont pas nombreux, ils n’ont pas derrière eux une grande
histoire et leur vie culturelle n’a rien de remarquable. Peuple sans État, ils
n’ont pas de passé et l’avenir ne leur appartient pas. Ils sont cernés sur tous
les fronts! Précisément, conscients de leurs lacunes, les Canadiens français
n’ont alors que de l’admiration pour l’Angleterre, qu’ils aiment comme leur mère
patrie, sous la seule réserve de vouloir conserver leur langue et leur foi
religieuse. En réponse à leur amour, on leur dit que pour leur propre bien, ils
doivent disparaître en tant que peuple! Nul doute, comme l’affirme fort
justement Heinz Weinmann dans son ouvrage Du Canada au Québec, que la blessure
narcissique, le rejet d’une Angleterre sur laquelle les Canadiens français
avaient reporté leur amour après avoir été si déçus par l’abandon de la France,
a été ici infiniment plus traumatisante que la violence politique elle-même.
Or pour assurer cette exécution du peuple canadien, Durham ne préconise aucune
atteinte aux droits individuels. Au contraire, ce sont les droits individuels et
le libre-jeu de la démocratie qui doivent fournir le moyen d’assurer
«naturellement» et sans douleur l’assimilation de ce peuple – à condition bien
sûr qu’il soit mis en minorité au sein d’un Canada uni. La solution que Durham
préconise est donc plutôt douce à l’égard des individus canadiens-français,
envers lesquels aucune discrimination ne doit être exercée. C’est la
collectivité canadienne-française qui est condamnée à mort.
Si la répression après 1837 et 1838 a gardé un caractère limité, si les libertés
civiques ont été assez rapidement rétablies, il ne faut pas oublier que c’est
aussi parce que la révolution de 1837-1838 est restée sans suite, ne s’est
jamais relevée de sa défaite. La plupart des empires de cette époque souhaitent
que leur domination soit douce et pacifique. C’est toujours l’action des
mouvements révolutionnaires qui les contraint à se montrer autoritaires et
répressifs. Il faut donc comprendre la montée de ces affrontements comme une
dynamique globale. Par ailleurs si la plupart de ces mouvement révolutionnaires
nationaux ont fini par triompher des empires, ce n’est qu’à très long terme et
après de longues séries d’échecs et d’écrasements. En ce sens, l’absence de
récidive après la rébellion de 1837-1838, qui a été généralement interprétée
comme une preuve que l’esprit révolutionnaire n’a jamais été qu’une passade pour
les Canadiens, peut être aussi bien comprise comme la preuve que ce mouvement
d’affirmation national canadien (comparable à ceux que l’on retrouve à cette
époque un peu partout dans le monde) a eu les reins brisés et ne s’est jamais
remis d’un échec aussi écrasant. Ainsi, les événements très sanglants qui se
produisent en Pologne ou en Grèce à cette époque n’ont jamais eu un tel
caractère de nocivité pour ces collectivités, car les mouvements nationaux et
révolutionnaires n’ont pas été écrasés au point de rester sans suite.
On ne peut prendre la mesure de l’effet traumatique des Rébellions de 1837-1838
sans prendre en compte les éléments d’arrière-fond qui sont clairement
dominants. Les Rébellions sont l’objet d’un refoulement non pour elles-mêmes,
mais en raison de ce qu’elles représentent en tant que seule et unique tentative
de saisie de son destin par la collectivité canadienne-française/québécoise. Il
est erroné de croire que cet événement est ce qui est venu apporter le trouble
dans la vie, par ailleurs heureuse, des Canadiens français. Au contraire, il
constitue dans l’existence de ce peuple minorisé et infantilisé l’amorce d’une
conscience collective accrue et l’appel à une existence plus pleine.
© Marc Collin 2008
[1] Gérard Bouchard, «Une nation, deux cultures : Continuités et ruptures dans
la pensée québécoise traditionnelle» in Gérard Bouchard (dir.), La construction
d’une culture : le Québec et l’Amérique française, PUL, 1993, p. 5.
[2] Hubert Aquin, «L’art de la défaite, considérations stylistiques», Liberté,
vol. 7, nos 1 et 2, 1965. Le texte a été republié dans Blocs erratiques, Typo,
1998.
[3] Marc Collin, Mensonges et vérités dans les Souvenirs de Félix Poutré,
Septentrion, 2003. Le récit de Félix Poutré est intitulé Échappé de la potence :
souvenirs d’un prisonnier d’État canadien en 1838 et la pièce de théâtre de
Louis Fréchette est intitulée Félix Poutré.
[4] Autour de Chénier, les Rébellions et la conscience historique canadienne et
québécoise, thèse de doctorat, Université Laval 2005, publication prévue au
printemps 2009 sous le titre Le coeur de Chénier, aux éditions du Boréal.
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