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"La citadelle" de Québec. Construite par étapes à compter de 1820, la forteresse militaire est opérationnelle à l'époque des rébellions.
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La naissance du
Parti canadien
Le mouvement patriote tire sa source de la ville
de Québec dans la foulée de l’Acte constitutionnelle de 1791 et s’inscrit dans
la mouvance mondiale de changements qui frappait l’Europe et l’Amérique.
L’avocat et député de Québec Pierre-Stanislas Bédard a joué un rôle de premier
plan dans son émergence. C’est d’ailleurs lui qui a fondé le Parti canadien, qui
deviendra plus tard le Parti patriote, et qui a donné une véritable cohésion aux
députés canadiens-français qui avaient commencés à se regrouper après la
création du Haut et du Bas-Canada. Il s’agit de la première véritable formation
politique au Canada, c’est à dire un parti qui aspire à exercer le pouvoir et
non plus essentiellement qu’à faire pression sur le conseil exécutif.
En 1806, Pierre-Stanislas Bédard et un groupe d’amis et de députés de Québec
fondent le journal « Le Canadien » pour appuyer leurs luttes politiques
et faire contrepoids aux journaux anglophones. Ce journal est devenu l’organe
officiel du parti, il a été publié pour la première fois le 22 novembre 1806. Il
s’agit du premier journal réformiste de langue française du Bas-Canada. On y
prônait notamment la responsabilité ministérielle. Ce journal a joué un rôle
central dans la lutte qu’ont mené les élus francophones et a permis de forger
l’opinion publique. Cette philosophie réformiste du Parti canadien a entraîné de
nombreuses luttes de pouvoir entre l’Assemblée et l’exécutif. Pierre-Stanislas
Bédard a d’ailleurs joué un rôle de premier plan pendant la crise sous le
gouverneur James Craig de 1807 à 1811.
Le départ de Pierre-Stanislas Bédard en 1811 et la question de sa succession ont
créé de profondes divisions au sein du Parti canadien. Élu dans une élection
partielle dans Montréal le 5 décembre 1811, James Stuart, un député de langue
anglaise, a été le premier à le remplacer comme leader du parti en Chambre.
Pendant ce temps, les députés de Québec et de Montréal se sont adonnés à
d’importants jeux de coulisses pour désigner un successeur au chef du Parti
canadien. « Bédard est intimement associé à la ville de Québec dont il fut
député et où ses fils oeuvreront. Le caucus des Québec croient donc tout naturel
hériter de la direction du parti » (LAPORTE, 2004 :88). D’ailleurs presque tous
les candidats qui convoitaient le poste de Pierre-Stanislas Bédard venaient de
la ville de Québec. En fait, il n’y avait que Louis-Joseph Papineau qui était
issu de Montréal. De 1815 à 1827, tous les rivaux de Papineau ont été écartés
les uns après les autres. La force de caractère et l’éloquence de Papineau en
Chambre ont fait en sorte qu’aucun d’entre eux n’est parvenu à se démarquer et à
s’imposer comme un véritable chef, capable de part ses idées et son charisme
d’unir les forces réformistes du Bas-Canada.
L’ascension de Louis-Joseph Papineau
Louis-Joseph Papineau s’est lancé en politique alors qu’il était encore tout
jeune. Le jeune homme n’avait que 22 ans quand il a décidé de sauter dans
l’arène politique et de suivre les traces de son père Joseph Papineau, un homme
politique d’influence. Son entrée en politique a été facilitée par la réputation
de son paternel.. « Louis-Joseph Papineau n’a que 22 ans, mais il a une belle
prestance, comme son père; il est exceptionnellement doué » (RUMILLY, 1977, 41).
« Louis-Joseph Papineau est assez grand, le nez aquilin, les traits réguliers
bien dessinés, la poitrine large, le porte de tête altier, la taille souple. Sur
le front large, une touffe de cheveux se dresse en toupet. » (RUMILLY, 1977,
81). En 1808, il s’est présenté dans le comté de Kent dans le district de
Montréal, qui est maintenant celui de Chambly, il s’y est fait élire le 18 juin.
C’est à ce moment que le jeune Louis Joseph Papineau a commencé son
apprentissage de la vie parlementaire. « Comme on le sait par les témoignages de
ses contemporains Papineau était un travailleur infatigable, s’octroyant peu ou
pas de repos » (AQUIN, 1968 :25). C’est à la suite de la crise politique de 1810
face au gouverneur Craig que Papineau s'est imposé et est devenu un des chefs
les plus influents de l'époque.
En 1812, les États-unis ont déclaré la guerre à la Grande-Bretagne. Papineau y a
participé. Cette guerre a permis à Louis-Joseph Papineau de se démarquer et
d’augmenter son influence politique. « La crise menaçante n’est pas conjurée,
mais elle accentuera, l’influence de Louis-Joseph Papineau, aidant son caractère
plus politique que raciste » (RUMILLY, 1977 : 76). « Louis-Joseph Papineau a
vraiment l’allure d’un seigneur, d’un chef. La retraite de son père, après celle
de Pierre Bédard, lui ouvre les tout premiers rangs ». (RUMILLY, 1977 :81).
À la fin de la guerre en 1815, les députés ont élu un nouveau président de la
Chambre à la suite de la nomination de Jean-Antoine Panet au Conseil législatif.
Ils ont choisi Louis-Joseph Papineau. Ce dernier n’avait que 30 ans. «
Louis-Joseph Papineau, orateur de la Chambre d’Assemblée, satisfait son goût de
prononcer de beaux discours, son goût de la bataille politique et son goût
d’influencer, de commander d’autres » (RUMILLY, 1977 :104). L’élection de
Papineau à la tête de la Chambre a été un point tournant dans la carrière du
jeune député, son élection au poste d’orateur lui a permis d’accroître son
influence au sein du parti et d’y jouer un rôle de premier plan avec les années.
En 1818, Papineau domine de plus en plus l’assemblée. On peut même dire qu’il
était sans conteste le chef de la majorité parlementaire à Québec. « Son
éloquence est déjà très grande, ses conseils recherchés. En 1820, il jouit d’un
tel ascendant sur ses collègues que Londres cherche à le gagner, en nommant le
président de la Chambre membre du Conseil exécutif. Papineau, flairant la
manœuvre d’un poste honorifique sans influence, n’y parut jamais » (PAPINEAU,
1994 : 117) .
De Québec vers Montréal…
L’élection de Louis-Joseph Papineau au poste
d’orateur de la Chambre a également marqué un changement majeur dans l’évolution
et la direction du Parti Canadien, un changement qui va marquer les relations au
sein même de la formation. « Jusqu’en 1815, le leadership du parti canadien, et
par le fait même des idées réformistes, se concentre à Québec. Par contre, avec
l’élection de Louis-Joseph Papineau au poste d’orateur de la Chambre d’assemblée
et président du parti, on voit ce leadership se diriger progressivement vers
Montréal (Ouellet, 1959: 319).
C’est dans cette foulée que le poids politique du caucus de Montréal a commencé
à s’accroître et que celui de la capitale n’a cessé de diminuer. Il s’agit d’une
période charnière tant pour la carrière de Papineau que pour le Parti Canadien.
D’ailleurs, lors de l’élection de l’orateur de la Chambre, plusieurs députés de
la région de Québec ont appuyé la candidature de Taschereau plutôt que celle de
Louis-Joseph Papineau. C’est à partir de ce moment qu’est apparu un schisme au
sein du Parti canadien. D’un côté, les réformistes de Montréal considérés comme
plus radicaux et de l’autre ceux de Québec considérés plus modérés. « Quelques
députés de langue française, parmi ceux du district de Québec, trouvent Papineau
emporté, excessif, et ne le suivent pas ou ne le suivent qu’à demi. »(RUMILLY,
1977 :103). « L’élection de Papineau, en 1815, comme orateur de la Chambre,
avait réduit l’influence des députés de Québec dans le parti. Jusqu’alors Panet
avait limité le rôle de l’Orateur à la direction de la procédure parlementaire.
Mais lors de son élection, Papineau était déjà reconnu comme le successeur de
Bédard à la tête du parti canadien-français. Il continua, après 1815, à assumer
les deux fonctions. Mais Taschereau, Blanchet, Borgia et Bourdages pouvaient
difficilement lui pardonner son élection obtenue grâce aux députés de Montréal
et à un certain nombre de Québécois ». (OUELLET, 1959 :319).
Peu de temps après l’élection de Papineau, un groupe de Québec s’est même formé
pour tenter de le déloger en 1820. « L’année suivante, Bourdages, Blanchet et
Cuvillier proposèrent une loi pour la rémunération des députés. Papineau était
alors opposé à cette mesure qui visait à lui enlever l’appui d’une partie de la
députation » (RUMILLY, 1959 : 319).
La situation était telle qu’en 1823 lorsqu’il a été question d’envoyer
Louis-Joseph Papineau en Angleterre afin de faire échouer le projet d’union des
Canadas, l’abbé Jérôme Demers de Québec a craint que des députés de la capitale
profitent de la situation pour l’évincer de son poste. Il craignait également
que les rivalités personnelles entre les députés provoquent l’éclatement du
parti. « Tous vos amis de Québec, moi compris, sont inquiets et mécontents de ce
choix. Il faudra élire un nouveau président, cette élection sera une pomme de
discorde jetée au sein de l’Assemblée. Il y a parmi nous des hommes ambitieux
que nous ne connaissons pas assez. Un choix malheureux pourrait être nous être
fatal. Je voudrais qui vous fussiez un moment parmi vos amis de Québec. Je suis
sûr que vous resteriez si vous entendiez leurs arguments » (RUMILLY, 1977 :
125).
En dépit de cette mise en garde, Papineau a tout de même décidé d’aller à
Londres avec John Neilson pour plaider contre le projet d’union, les députés de
Québec en ont aussitôt profité pour reprendre le contrôle du parti. Dès que
Papineau a quitté, Joseph-Rémi Vallières de Saint-Réal l’a remplacé comme
orateur de la Chambre d’assemblée et a ramené le leadership du parti à Québec.
De retour au pays après sa mission, Papineau a voulu reprendre son poste, mais
Vallières de Saint-Réal a refusé de lui céder. À l’ouverture de la session de
1824, Papineau a donc repris son siège sous la présidence du député de Québec. «
Vallière de Saint-Réal, fort de sa présidence et de son talent, apparaît comme
le principal opposant à la domination de Papineau sur l’Assemblée. » (RUMILLY,
1977 : 149). L’année suivante, Louis-Joseph Papineau a été réélu président de la
Chambre. Il a obtenu 32 voix et Vallière 12. Dès ce moment, Vallières a pris ses
distances de Louis-Joseph Papineau. Les deux hommes se sont affrontés à
plusieurs reprises dans les années suivantes « La scission entre Papineau et
Vallière ressemble à une brisure entre les députés du district de Montréal et
ceux du district de Québec, plus modéré. Papineau, qui a agit en chef, est sans
indulgence pour les dissidents qu’il appelle « la coterie de Québec ». (RUMILLY,
1977 : 158).
En 1826, Papineau a perdu deux appuis de taille dans la région de Québec. Il
s’agit de Moquin et de Planté, deux personnes qui exerçaient une influence
considérable sur les députés de cette région. Il s’agit d’une autre illustration
du schisme entre les députés de Montréal et ceux de Québec dans le Parti
canadien. C’est dans ce vent de contestation que la formation que dirige
Papineau s’est réorganise et est devenu le Parti patriote. « Même si l’autorité
de Papineau s’affirma d’avantage sur la Parti patriote en raison de son
influence sur le peuple, les rivalités personnelles, les luttes de clans et la
rivalité Québec-Montréal ne furent pas éliminée. » (OUELLET, 1959 : 321).
D’ailleurs, Joseph-Rémi Vallières de Saint-Réal a tenté de nouveau en 1827 et en
1829 de ravir le poste de président de la Chambre à Papineau appuyé par un
groupe de députés de Québec. Autre illustration de cette rivalité, les députés
de Québec ont refusé de signer une pétition émanant de Montréal et dénonçant le
rejet par le gouverneur Dalhousie de la nomination de Louis-Joseph Papineau
comme président de la Chambre. « Vallière et les autres députés du district de
Québec sont prêts à signer une pétition, mais ils trouvent le texte montréalais
trop raide contre le gouverneur. Ils proposent leur propre rédaction. Papineau
se résigne au principe de la double pétition, mais il trouve les Québécois bien
lents. Il s’impatiente. Il écrit À John Neilson une longue lettre de
récriminations contre les hésitations des Québécois » (RUMILLY, 1977, 179). Les
députés de Québec ont finalement rédigé une pétition qui a été beaucoup plus
modérée dans le ton que celle de Montréal.
L’événement le plus important de cette période pour le Parti patriote est sans
contredit la rupture entre Papineau et John Neilson, le propriétaire de la
Quebec Gazette. À Compter de 1828, Neilson, un homme influent de la région
de Québec, a commencé à s’éloigner progressivement de Papineau. Les deux homes
ont eu une série de divergences majeures « La rupture de Papineau et de Neilson
provenait, selon toute apparence, de motifs idéologiques. Neilson était un
libéral et, comme tel, il était disposé à supporter un programme de réformes
politiques et à défendre l’égalité des groupes raciaux. Mais il se refusait à
appuyer une pensée démocratique placée au service d’intérêts purement
nationaliste. En 1833, Neilson supporté par quelques députés devenaient
l’adversaire résolu de son ancien chef. Cet événement se compliqua d’une
recrudescence de l’esprit local chez les députés de Québec. » (OUELLET, 1959
:322). « La rupture avec Neilson, privant le parti de ses éléments les plus
réfléchis, sera grosse de conséquences » (RUMILLY, 1977 :279). Cet événement va
diviser plus que jamais les réformistes de Montréal et de Québec.
D’autres événements du genre ont creusé le fossé
qui sépare les deux clans rivaux et a accentué leurs mésententes. En 1834, les
députés de Québec ont même bloqué la stratégie parlementaire de Papineau. Ils
ont refusé de boycotter la session comme le souhaitait le chef du Parti
Patriote. « L’attitude des députés québécois mettait un obstacle insurmontable à
la ligne de conduite tracée par Papineau. En refusant de siéger, les députés
placeraient l’Exécutif devant un dilemme. Mais les députés de Québec tenaient à
avoir une Session. Les 92 résolutions furent donc préparées et présentées par
suite du refus des députés de Québec d’adhérer à cette ligne de conduite
préconisée par Papineau » (OUELLET, 1959 : 323-324)
En 1835, les députés de Québec ont tenté de nouveau de détrôner Papineau. Le
caucus de Québec a proposé à Papineau d’aller en Angleterre pour défendre le
point de vue de la Chambre concernant ses revendications. « Ce geste est
clairement un affront visant à éloigner Papineau du Bas-Canada et à voir
triompher la tendance modérée au sein du parti. La manœuvre avait d’ailleurs été
tenté en 1823 durant l’absence de Papineau en mission à Londres » (LAPORTE, 2004
: 93).
Le même scénario s’est reproduit l’année suivante. En 1836, les députés de
Québec ont tenté à nouveau d’évincer Papineau de sa chaise de chef du Parti
patriote mais encore une fois sans succès. En fait, « Les divergences entre
Québec et Montréal persistèrent pendant tout le mouvement insurrectionnel »
(OUELLET, 1959 : 326). Ces divisions entre les caucus des deux villes ont
d’ailleurs eu un impact majeur sur la stabilité du Parti patriote et sur les
rébellions de 1837 et 1838. Elles ont fait en sorte de déstabiliser le pouvoir
et les stratégies de Papineau. Ces divisions ont également fait en sorte qu’à
compter de 1828 et jusqu’aux rébellions, le mouvement patriote de la capitale ne
cessa de s’effriter, ce qui fait en sorte que la mobilisation dans cette ville a
été insignifiante lors des années les plus mouvementées de la lutte de Papineau.
Jean-Philippe Robillard
Bibliographie
- AQUIN, Hubert. Histoire de l’insurrection
au Canada : Louis-Joseph Papinau. Montréal, Leméac.1968.
- CIRCÉ-CÔTÉ, Eve. Papineau : son influence
sur la pensée politique. Montréal, Lux, 2002.
- LAPORTE, Gilles. Patriotes et Loyaux.
Leadership régional et mobilisation politique en 1837 et 1838. Montréal,
Septentrion, 2004.
- LAMONDE, Yvan et LARIN Claude.
Louis-Joseph Papineau : un demi-siècle de combat. Montréal, Fides. 1998.
- OUELLET, Fernand. "Papineau et la rivalité
Québec-Montréal". Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 13,
no.3. 311 à 328.
- PAPINEAU, Nadeau. Louis-Jospeh Papineau.
Montréal, Lidec. Célébrités canadiennes, 1994. 60 p.
- RUMILLY, Robert. Papineau et son temps.
Montréal, Fides, 1977. 2vol.
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