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Les Patriotes de 1837@1838 - La rivalité entre Québec et Montréal au sein du mouvement patriote
 ANALYSE 
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La rivalité entre Québec et Montréal au sein du mouvement patriote
Article diffusé depuis le 24 septembre 2006
 


"La citadelle" de Québec. Construite par étapes à compter de 1820, la forteresse militaire est opérationnelle à l'époque des rébellions.

La naissance du Parti canadien

Le mouvement patriote tire sa source de la ville de Québec dans la foulée de l’Acte constitutionnelle de 1791 et s’inscrit dans la mouvance mondiale de changements qui frappait l’Europe et l’Amérique. L’avocat et député de Québec Pierre-Stanislas Bédard a joué un rôle de premier plan dans son émergence. C’est d’ailleurs lui qui a fondé le Parti canadien, qui deviendra plus tard le Parti patriote, et qui a donné une véritable cohésion aux députés canadiens-français qui avaient commencés à se regrouper après la création du Haut et du Bas-Canada. Il s’agit de la première véritable formation politique au Canada, c’est à dire un parti qui aspire à exercer le pouvoir et non plus essentiellement qu’à faire pression sur le conseil exécutif.

En 1806, Pierre-Stanislas Bédard et un groupe d’amis et de députés de Québec fondent le journal « Le Canadien » pour appuyer leurs luttes politiques et faire contrepoids aux journaux anglophones. Ce journal est devenu l’organe officiel du parti, il a été publié pour la première fois le 22 novembre 1806. Il s’agit du premier journal réformiste de langue française du Bas-Canada. On y prônait notamment la responsabilité ministérielle. Ce journal a joué un rôle central dans la lutte qu’ont mené les élus francophones et a permis de forger l’opinion publique. Cette philosophie réformiste du Parti canadien a entraîné de nombreuses luttes de pouvoir entre l’Assemblée et l’exécutif. Pierre-Stanislas Bédard a d’ailleurs joué un rôle de premier plan pendant la crise sous le gouverneur James Craig de 1807 à 1811.

Le départ de Pierre-Stanislas Bédard en 1811 et la question de sa succession ont créé de profondes divisions au sein du Parti canadien. Élu dans une élection partielle dans Montréal le 5 décembre 1811, James Stuart, un député de langue anglaise, a été le premier à le remplacer comme leader du parti en Chambre. Pendant ce temps, les députés de Québec et de Montréal se sont adonnés à d’importants jeux de coulisses pour désigner un successeur au chef du Parti canadien. « Bédard est intimement associé à la ville de Québec dont il fut député et où ses fils oeuvreront. Le caucus des Québec croient donc tout naturel hériter de la direction du parti » (LAPORTE, 2004 :88). D’ailleurs presque tous les candidats qui convoitaient le poste de Pierre-Stanislas Bédard venaient de la ville de Québec. En fait, il n’y avait que Louis-Joseph Papineau qui était issu de Montréal. De 1815 à 1827, tous les rivaux de Papineau ont été écartés les uns après les autres. La force de caractère et l’éloquence de Papineau en Chambre ont fait en sorte qu’aucun d’entre eux n’est parvenu à se démarquer et à s’imposer comme un véritable chef, capable de part ses idées et son charisme d’unir les forces réformistes du Bas-Canada.

L’ascension de Louis-Joseph Papineau



Louis-Joseph Papineau s’est lancé en politique alors qu’il était encore tout jeune. Le jeune homme n’avait que 22 ans quand il a décidé de sauter dans l’arène politique et de suivre les traces de son père Joseph Papineau, un homme politique d’influence. Son entrée en politique a été facilitée par la réputation de son paternel.. « Louis-Joseph Papineau n’a que 22 ans, mais il a une belle prestance, comme son père; il est exceptionnellement doué » (RUMILLY, 1977, 41). « Louis-Joseph Papineau est assez grand, le nez aquilin, les traits réguliers bien dessinés, la poitrine large, le porte de tête altier, la taille souple. Sur le front large, une touffe de cheveux se dresse en toupet. » (RUMILLY, 1977, 81). En 1808, il s’est présenté dans le comté de Kent dans le district de Montréal, qui est maintenant celui de Chambly, il s’y est fait élire le 18 juin. C’est à ce moment que le jeune Louis Joseph Papineau a commencé son apprentissage de la vie parlementaire. « Comme on le sait par les témoignages de ses contemporains Papineau était un travailleur infatigable, s’octroyant peu ou pas de repos » (AQUIN, 1968 :25). C’est à la suite de la crise politique de 1810 face au gouverneur Craig que Papineau s'est imposé et est devenu un des chefs les plus influents de l'époque.

En 1812, les États-unis ont déclaré la guerre à la Grande-Bretagne. Papineau y a participé. Cette guerre a permis à Louis-Joseph Papineau de se démarquer et d’augmenter son influence politique. « La crise menaçante n’est pas conjurée, mais elle accentuera, l’influence de Louis-Joseph Papineau, aidant son caractère plus politique que raciste » (RUMILLY, 1977 : 76). « Louis-Joseph Papineau a vraiment l’allure d’un seigneur, d’un chef. La retraite de son père, après celle de Pierre Bédard, lui ouvre les tout premiers rangs ». (RUMILLY, 1977 :81).

À la fin de la guerre en 1815, les députés ont élu un nouveau président de la Chambre à la suite de la nomination de Jean-Antoine Panet au Conseil législatif. Ils ont choisi Louis-Joseph Papineau. Ce dernier n’avait que 30 ans. « Louis-Joseph Papineau, orateur de la Chambre d’Assemblée, satisfait son goût de prononcer de beaux discours, son goût de la bataille politique et son goût d’influencer, de commander d’autres » (RUMILLY, 1977 :104). L’élection de Papineau à la tête de la Chambre a été un point tournant dans la carrière du jeune député, son élection au poste d’orateur lui a permis d’accroître son influence au sein du parti et d’y jouer un rôle de premier plan avec les années.

En 1818, Papineau domine de plus en plus l’assemblée. On peut même dire qu’il était sans conteste le chef de la majorité parlementaire à Québec. « Son éloquence est déjà très grande, ses conseils recherchés. En 1820, il jouit d’un tel ascendant sur ses collègues que Londres cherche à le gagner, en nommant le président de la Chambre membre du Conseil exécutif. Papineau, flairant la manœuvre d’un poste honorifique sans influence, n’y parut jamais » (PAPINEAU, 1994 : 117) .

De Québec vers Montréal…

L’élection de Louis-Joseph Papineau au poste d’orateur de la Chambre a également marqué un changement majeur dans l’évolution et la direction du Parti Canadien, un changement qui va marquer les relations au sein même de la formation. « Jusqu’en 1815, le leadership du parti canadien, et par le fait même des idées réformistes, se concentre à Québec. Par contre, avec l’élection de Louis-Joseph Papineau au poste d’orateur de la Chambre d’assemblée et président du parti, on voit ce leadership se diriger progressivement vers Montréal (Ouellet, 1959: 319).

C’est dans cette foulée que le poids politique du caucus de Montréal a commencé à s’accroître et que celui de la capitale n’a cessé de diminuer. Il s’agit d’une période charnière tant pour la carrière de Papineau que pour le Parti Canadien. D’ailleurs, lors de l’élection de l’orateur de la Chambre, plusieurs députés de la région de Québec ont appuyé la candidature de Taschereau plutôt que celle de Louis-Joseph Papineau. C’est à partir de ce moment qu’est apparu un schisme au sein du Parti canadien. D’un côté, les réformistes de Montréal considérés comme plus radicaux et de l’autre ceux de Québec considérés plus modérés. « Quelques députés de langue française, parmi ceux du district de Québec, trouvent Papineau emporté, excessif, et ne le suivent pas ou ne le suivent qu’à demi. »(RUMILLY, 1977 :103). « L’élection de Papineau, en 1815, comme orateur de la Chambre, avait réduit l’influence des députés de Québec dans le parti. Jusqu’alors Panet avait limité le rôle de l’Orateur à la direction de la procédure parlementaire. Mais lors de son élection, Papineau était déjà reconnu comme le successeur de Bédard à la tête du parti canadien-français. Il continua, après 1815, à assumer les deux fonctions. Mais Taschereau, Blanchet, Borgia et Bourdages pouvaient difficilement lui pardonner son élection obtenue grâce aux députés de Montréal et à un certain nombre de Québécois ». (OUELLET, 1959 :319).

Peu de temps après l’élection de Papineau, un groupe de Québec s’est même formé pour tenter de le déloger en 1820. « L’année suivante, Bourdages, Blanchet et Cuvillier proposèrent une loi pour la rémunération des députés. Papineau était alors opposé à cette mesure qui visait à lui enlever l’appui d’une partie de la députation » (RUMILLY, 1959 : 319).

La situation était telle qu’en 1823 lorsqu’il a été question d’envoyer Louis-Joseph Papineau en Angleterre afin de faire échouer le projet d’union des Canadas, l’abbé Jérôme Demers de Québec a craint que des députés de la capitale profitent de la situation pour l’évincer de son poste. Il craignait également que les rivalités personnelles entre les députés provoquent l’éclatement du parti. « Tous vos amis de Québec, moi compris, sont inquiets et mécontents de ce choix. Il faudra élire un nouveau président, cette élection sera une pomme de discorde jetée au sein de l’Assemblée. Il y a parmi nous des hommes ambitieux que nous ne connaissons pas assez. Un choix malheureux pourrait être nous être fatal. Je voudrais qui vous fussiez un moment parmi vos amis de Québec. Je suis sûr que vous resteriez si vous entendiez leurs arguments » (RUMILLY, 1977 : 125).

En dépit de cette mise en garde, Papineau a tout de même décidé d’aller à Londres avec John Neilson pour plaider contre le projet d’union, les députés de Québec en ont aussitôt profité pour reprendre le contrôle du parti. Dès que Papineau a quitté, Joseph-Rémi Vallières de Saint-Réal l’a remplacé comme orateur de la Chambre d’assemblée et a ramené le leadership du parti à Québec. De retour au pays après sa mission, Papineau a voulu reprendre son poste, mais Vallières de Saint-Réal a refusé de lui céder. À l’ouverture de la session de 1824, Papineau a donc repris son siège sous la présidence du député de Québec. « Vallière de Saint-Réal, fort de sa présidence et de son talent, apparaît comme le principal opposant à la domination de Papineau sur l’Assemblée. » (RUMILLY, 1977 : 149). L’année suivante, Louis-Joseph Papineau a été réélu président de la Chambre. Il a obtenu 32 voix et Vallière 12. Dès ce moment, Vallières a pris ses distances de Louis-Joseph Papineau. Les deux hommes se sont affrontés à plusieurs reprises dans les années suivantes « La scission entre Papineau et Vallière ressemble à une brisure entre les députés du district de Montréal et ceux du district de Québec, plus modéré. Papineau, qui a agit en chef, est sans indulgence pour les dissidents qu’il appelle « la coterie de Québec ». (RUMILLY, 1977 : 158).

En 1826, Papineau a perdu deux appuis de taille dans la région de Québec. Il s’agit de Moquin et de Planté, deux personnes qui exerçaient une influence considérable sur les députés de cette région. Il s’agit d’une autre illustration du schisme entre les députés de Montréal et ceux de Québec dans le Parti canadien. C’est dans ce vent de contestation que la formation que dirige Papineau s’est réorganise et est devenu le Parti patriote. « Même si l’autorité de Papineau s’affirma d’avantage sur la Parti patriote en raison de son influence sur le peuple, les rivalités personnelles, les luttes de clans et la rivalité Québec-Montréal ne furent pas éliminée. » (OUELLET, 1959 : 321). D’ailleurs, Joseph-Rémi Vallières de Saint-Réal a tenté de nouveau en 1827 et en 1829 de ravir le poste de président de la Chambre à Papineau appuyé par un groupe de députés de Québec. Autre illustration de cette rivalité, les députés de Québec ont refusé de signer une pétition émanant de Montréal et dénonçant le rejet par le gouverneur Dalhousie de la nomination de Louis-Joseph Papineau comme président de la Chambre. « Vallière et les autres députés du district de Québec sont prêts à signer une pétition, mais ils trouvent le texte montréalais trop raide contre le gouverneur. Ils proposent leur propre rédaction. Papineau se résigne au principe de la double pétition, mais il trouve les Québécois bien lents. Il s’impatiente. Il écrit À John Neilson une longue lettre de récriminations contre les hésitations des Québécois » (RUMILLY, 1977, 179). Les députés de Québec ont finalement rédigé une pétition qui a été beaucoup plus modérée dans le ton que celle de Montréal.

L’événement le plus important de cette période pour le Parti patriote est sans contredit la rupture entre Papineau et John Neilson, le propriétaire de la Quebec Gazette. À Compter de 1828, Neilson, un homme influent de la région de Québec, a commencé à s’éloigner progressivement de Papineau. Les deux homes ont eu une série de divergences majeures « La rupture de Papineau et de Neilson provenait, selon toute apparence, de motifs idéologiques. Neilson était un libéral et, comme tel, il était disposé à supporter un programme de réformes politiques et à défendre l’égalité des groupes raciaux. Mais il se refusait à appuyer une pensée démocratique placée au service d’intérêts purement nationaliste. En 1833, Neilson supporté par quelques députés devenaient l’adversaire résolu de son ancien chef. Cet événement se compliqua d’une recrudescence de l’esprit local chez les députés de Québec. » (OUELLET, 1959 :322). « La rupture avec Neilson, privant le parti de ses éléments les plus réfléchis, sera grosse de conséquences » (RUMILLY, 1977 :279). Cet événement va diviser plus que jamais les réformistes de Montréal et de Québec.

D’autres événements du genre ont creusé le fossé qui sépare les deux clans rivaux et a accentué leurs mésententes. En 1834, les députés de Québec ont même bloqué la stratégie parlementaire de Papineau. Ils ont refusé de boycotter la session comme le souhaitait le chef du Parti Patriote. « L’attitude des députés québécois mettait un obstacle insurmontable à la ligne de conduite tracée par Papineau. En refusant de siéger, les députés placeraient l’Exécutif devant un dilemme. Mais les députés de Québec tenaient à avoir une Session. Les 92 résolutions furent donc préparées et présentées par suite du refus des députés de Québec d’adhérer à cette ligne de conduite préconisée par Papineau » (OUELLET, 1959 : 323-324)

En 1835, les députés de Québec ont tenté de nouveau de détrôner Papineau. Le caucus de Québec a proposé à Papineau d’aller en Angleterre pour défendre le point de vue de la Chambre concernant ses revendications. « Ce geste est clairement un affront visant à éloigner Papineau du Bas-Canada et à voir triompher la tendance modérée au sein du parti. La manœuvre avait d’ailleurs été tenté en 1823 durant l’absence de Papineau en mission à Londres » (LAPORTE, 2004 : 93).

Le même scénario s’est reproduit l’année suivante. En 1836, les députés de Québec ont tenté à nouveau d’évincer Papineau de sa chaise de chef du Parti patriote mais encore une fois sans succès. En fait, « Les divergences entre Québec et Montréal persistèrent pendant tout le mouvement insurrectionnel » (OUELLET, 1959 : 326). Ces divisions entre les caucus des deux villes ont d’ailleurs eu un impact majeur sur la stabilité du Parti patriote et sur les rébellions de 1837 et 1838. Elles ont fait en sorte de déstabiliser le pouvoir et les stratégies de Papineau. Ces divisions ont également fait en sorte qu’à compter de 1828 et jusqu’aux rébellions, le mouvement patriote de la capitale ne cessa de s’effriter, ce qui fait en sorte que la mobilisation dans cette ville a été insignifiante lors des années les plus mouvementées de la lutte de Papineau.

Jean-Philippe Robillard

Bibliographie

  • AQUIN, Hubert. Histoire de l’insurrection au Canada : Louis-Joseph Papinau. Montréal, Leméac.1968.
  • CIRCÉ-CÔTÉ, Eve. Papineau : son influence sur la pensée politique. Montréal, Lux, 2002.
  • LAPORTE, Gilles. Patriotes et Loyaux. Leadership régional et mobilisation politique en 1837 et 1838. Montréal, Septentrion, 2004.
  • LAMONDE, Yvan et LARIN Claude. Louis-Joseph Papineau : un demi-siècle de combat. Montréal, Fides. 1998.
  • OUELLET, Fernand. "Papineau et la rivalité Québec-Montréal". Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 13, no.3. 311 à 328.
  • PAPINEAU, Nadeau. Louis-Jospeh Papineau. Montréal, Lidec. Célébrités canadiennes, 1994. 60 p.
  • RUMILLY, Robert. Papineau et son temps. Montréal, Fides, 1977. 2vol.

     
 


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