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Par Simon Landry, bacc en sciences politiques,
UQAM
Pendant les rébellions de 1837-1838, plusieurs
drapeaux flottent lors d'événements patriotes, la plupart sont fabriqués
spécialement pour l'occasion (Roy; 1965 :14-15). Cependant, lorsque les
Patriotes créent les comités de comté à compter de 1833, leurs membres adoptent
un drapeau montrant trois bandes horizontales aux couleurs (de haut en bas)
verte, blanche et rouge (Archambault; 1978 : 15). Celles-ci faisant référence
aux peuples irlandais, français et anglais (Patriotes; 2000). Pour sa part,
Raoul Roy, dans Pour un drapeau indépendantiste, (1965 : 15) affirme que
«les trois couleurs de la Révolution de 1789 [en France] ont inspiré nos
Patriotes dans le choix de leur drapeau national. Le droit à l'autogouvernement
de tous les peuples proclamé par les révolutionnaires français, de même que les
principes de liberté dont ils se réclamaient avaient enflammé nos ancêtres
victimes de l'oppression colonialiste».
Ce tricolore, considéré comme le drapeau officiel des Patriotes, flotte
vraisemblablement à la plupart des assemblées, dont celle des Six-comtés, le 23
octobre 1837. Ainsi, plusieurs emblèmes ou symboles furent représentés sur le
drapeau . Par exemple, lors de l'assemblée de Sainte-Scholastique, le 1er juin
1837, le tricolore est orné d'un castor, d'une feuille d'érable, d'un maskinongé
ou d’un aigle à tête blanche avec ses ailes ouvertes sur une étoile blanche ou
d'autres, avec un aigle canadien en vol, tenant une branche de feuilles d'érable
dans son bec et se dirigeant vers une étoile sur fond bleu, surmontée des mots
«Notre Avenir» (Roy; 1965 : 15).
Après les troubles, le tricolore est repris en 1843 par la Société
Saint-Jean-Baptiste de Québec. On y inclut une image de Jean-Baptiste et d'un
castor. Cependant, le tricolore rappelle trop les événements des dernières
années et l'on se doit de le remplacer. Le nouveau drapeau est blanc et vert sur
bandes verticales. Ce drapeau devient l'étendard officiel de la société jusqu'en
1888, alors qu'il est remplacé par le tricolore français (Archambault; 1978 :
17-18).
Parmi tous les drapeaux créés pendant les
rébellions, un se détache plus particulièrement, soit le drapeau dit de
«Saint-Eustache» ou de «Deux-Montagnes», qui flotta au moment de la bataille de
Saint-Eustache, le 14 décembre 1837. Il a été conçu par la mère des Patriotes
Luc-Hyacinthe et Damien Masson ainsi que par madame Dumouchel; pour la couleur,
c'est un dénommé Girouard qui l'aurait peinte (Reeves-Morache; 1951 : 102). Le
champ du drapeau contient de nombreux symboles aux couleurs brune, verte et
bleue. On peut y voir de haut en bas un maskinongé au centre d'une couronne
d'aiguilles et de pommes de pin. À l'intérieur de celle-ci, on voit les lettres
"C" au-dessus du poisson et "J = Bte" sous celui-ci. En bas de ce groupe
d'icônes, un dernier symbole est présent, soit une branche de feuilles d'érable
(Archambault; 1978 : 16). Ces symboles sont dessinés sur une toile blanche ;
bien que d'autres croient qu'elle était rose. Par ailleurs, une autre version de
ce drapeau aurait été aperçue à l'assemblée de Saint-Charles par le docteur
Jean-Olivier Chénier. Cet étendard aurait arboré un érable, un chêne et un
castor (Roy; 1965 : 16).
Il y a plusieurs interprétations à propos du drapeau de mesdames Masson et
Dumouchel. Ainsi, la lettre "C" signifierait "Canada" et "J = Bte" :
Jean-Baptiste, le patron des Canadiens français. Donc, on peut interpréter cette
iconographie comme "le Canada aux Canadiens" (Reeves-Morache; 1951 : 102). Par
contre, Roy mentionne que ces lettres sont présentes sur le temple de Salomon et
qu'elles seraient ainsi des symboles maçonniques. De plus, il ajoute que le
poisson faisait partie d'un blason aux couleurs des Francs-Maçons ayant une loge
à Deux-Montagnes. D'autres part, une deuxième interprétation veut que le
maskinongé soit une représentation de la religion catholique exprimant ainsi le
désir des Patriotes de la région d'affirmer leur foi puisque le poisson est le
symbole de «l'Église primitive». Fait à noter, il ne semble pas y avoir d
'interprétation pour la branche aux feuilles d'érable. On peut enfin toujours
voir le drapeau de Saint-Eustache au Château Ramezay à Montréal (Archambault;
1978 : 16).
Un autre drapeau qui ne peut être ignoré est celui de la République du Canada,
dont les restes sont exposés au «Vancouver Museum» dans le cadre de l'exposition
«All About Blue». Le texte sous le drapeau se lit comme suit (traduction libre):
«Ce drapeau au fond indigo vola pendant les Rébellions de Mackenzie-Papineau en
1837-1838. Le champs est chargé de deux étoiles blanches à cinq pointes
hypothétiquement accompagnées d'une deuxième couleur et du mot liberty». On
interprète les étoiles comme étant les représentations du Haut et du Bas-Canada.
De plus, on signale que ce drapeau semble dans la même lignée, du moins dans sa
couleur, que d'autres drapeaux datés du XIXe siècle et symbolisant
l'indépendance. D'ailleurs, il serait la première tentative de création d'un
drapeau national sans que les Britanniques y soient représentés avant 1965 alors
que l'unifolié est adopté comme le drapeau officiel du Canada. Le drapeau de la
République du Canada, exposé à Vancouver, en est le dernier exemplaire reconnu.
Il proviendrait du mât de la goélette "Anne" d'où il fut arraché lors de sa
capture par les forces britanniques à Amherstburgh en janvier 1838. Lors
de son procès pour trahison, le commandant du bateau, Edward Theller, avance que
le drapeau du gouvernement provisoire et indépendant du Canada avait été planté
en terre canadienne par des Canadiens (Braverman; 2000 : 8).
Finalement, à la question de recherche : le fait
que les Patriotes possèdent un drapeau prouve-t-il qu’ils aspirent à un pays,
nous pouvons répondre oui. Les nombreuses utilisations du drapeau tricolore dans
les assemblées anti-coertitives, lors de la Déclaration d’indépendance du
Bas-Canada et à l'occasion des batailles de 1837 et de 1838 tendent à confirmer
l’hypothèse avancée. Par contre, les nombreux drapeaux régionaux et les divers
symboles placés sur les drapeaux peuvent signifier les grandes différences entre
les multiples régions du Bas-Canada. Ici, je fait référence notamment au drapeau
de Saint-Eustache qui pourrait refléter l’esprit de frontière de l’endroit à
l’époque. Donc, on peut conclure que le fait que les Patriotes possèdent un
drapeau est une preuve de leur volonté de faire un pays mais rien n’indique
qu’ils auraient pu concrétiser le tout s’ils avaient gagné contre les
loyalistes. Le Bas-Canada est très grand, les mentalités sont assez différentes
d’un endroit à l’autre et les Patriotes disposent de très peu de moyens
financiers et techniques à l’époque.
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