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Depuis vendredi 7 mai le drapeau patriote (vert, blanc et rouge) flotte au pied du monument aux patriotes, devant le siège social de la SAQ où furent pendus douze patriotes en 1838 et 1839. Un geste modeste qui traduit en fait la difficulté de nos institutions publiques à assumer tout le sens de ce dramatique épisode de notre histoire.
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«Nous on fait de l’histoire, pas de la politique». Combien de fois en préparant
les commémorations de la Journée nationale des Patriotes ais-je pu entendre
cette remarque provenant du milieu des musées et de la recherche historique.
Cette affirmation est en fait inopérante. Pis encore, elle ne sert ni
l’histoire, ni un public avide de mieux comprendre le sens de la commémoration
de la lutte patriote.
La fonction essentielle de l’histoire demeure d’éclairer et d’expliquer le
présent en mettant en perspective les faits qui ont contribué à forger la
société contemporaine. Nier que l’histoire ait prise sur le présent revient à en
nier la fonction sociale. Elle devient alors «insignifiante», puisqu’on la
dépouille de son sens premier, de son utilité dirions-nous.
Ce n’est ni une question de neutralité (d’ailleurs toujours factice), ni une
question d’objectivité (souhaitable mais inaccessible). La mise en scène de
l’histoire procède au départ de choix destinés à rendre compréhensibles à nos
contemporains des enjeux débattus à d’autres époques et dans d’autres cadres
institutionnels. Il est loisible par exemple de comparer le Conseil législatif
de 1837 au Sénat canadien de 2004, puisqu’ils présentent tous deux des analogies
utiles à la compréhension des faits historiques. Le récit historique est aussi
devant l’obligation d’établir les prolongements contemporains d’un fait passé,
ne serait-ce que pour le situer dans une perspective intelligible. On n'arrive
donc jamais à se dépouiller des parallèles avec le présent, ne serait-ce que
pour être compris du public. En prétendant le contraire, on réussit au mieux à
produire un récit abstrait et désincarné. Au pire, l’historien ou le muséologue
est trahi par ses choix implicites. En d’autres mots, le discours historique
n’échappe pas à sa «récupération» par les enjeux du présent. Assumer cette
récupération, tout en faisant en sorte d’en contrôler les ressorts, fait aussi
partie du devoir de mémoire.
Il ne s’agit bien sûr pas de gommer la complexité inhérente à l’histoire afin de
la rendre malléable aux mains d’un clan politique. L’historien doit plutôt
s’assurer d’être présent pour que la vérité et la rigueur demeurent quand même
bien servies. C’est en prétendant échapper à la perspective contemporaine qu’il
nie sa responsabilité sociale et qu’il abandonne plus sûrement encore la matière
de l’histoire aux démagogues.
Or nulle part cela n’est davantage vrai qu’à propos des Patriotes et des
Rébellions de 1837-1838. Qu’on y pense, au Québec se publie bon an mal an une
dizaine d’ouvrages sur ce sujet, des numéros spéciaux à répétition, sans compter
une pléthore de sites web. Qu’on songe seulement que ces événements font vivre
trois musées dans la seule région de Montréal, qu’au fil des années on a érigé
d’innombrables monuments et qu’on tient deux commémorations annuelle, l’une le
23 novembre et l’autre à la mi-mai. On ne viendra pas ensuite prétendre qu’il
s’agit là d’événements qu’on peut encapsuler dans leur stricte dimension
historique ! Or, quand des intervenants de cette «industrie patriote» souhaitent
eux-mêmes éviter toute allusion aux enjeux contemporains dans leur
interprétation du passé, ils profitent purement et simplement de la légitime
curiosité du public pour lui servir un plat insipide dont nous sortons tous
perdants. L’histoire est de toute façon régulièrement mêlée au débat politique.
Qu’on songe récemment à la réhabilitation d’un Louis Riel où à la reconnaissance
de «l’erreur historique» envers le peuple acadien. À plus forte raison à propos
d’un événement tel que les Rébellions de 1837-1838, il incombe aux intervenants
du milieu de l’histoire d’être présents et de s’assurer que la rigueur et la
vérité n’y soient pas trop malmenées. Autrement, ils sombrent dans
l’historicisme, la subjectivité ou le simple récit chronologique.
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