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Enfin chère amie, j'ai la consolation pour la première fois depuis notre cruelle séparation d'être en rapport direct avec toi: d'avoir une lettre qui m'est bien chère 405 quoiqu'elle ne m'entretienne que des souffrances, des chagrins, des maladies, que tu as endurés tandis que souffraient en même tems et de la même manière (tous) nos parents, nos amis, nos concitoyens en si grand nombre. J'en comprends bien l'intensité, par tout ce que j'ai éprouvé; mais j'espère un peu mieux de l'avenir que tu ne le parais faire. Les excès affreux qui ont été commis dans le Canada sont les torts du Gouvernement provincial. Ils ont affaibli l'autorité Métropolitaine -- Ils n'ont changé les opinions de personne. La terreur impose silence pour le moment, mais en aucun- tems où le peuple sera réintégré dans son droit d'élire des Représentans, tous ceux qui souffrent pour la cause populaire seront de nouveau entrainés à prendre part aux affaires publiques et redemandront les mêmes réformes avec plus de vigueur & de concert qu'ils ne l'ont ci-devant fait. L'émigration du haut Canada va être immense. Tous les Américains le fuient, et se hâtent au prix d'énormes sacrifices de leurs propriétés de venir vivre dans un meilleur pays et sous un meilleur gouvernement. Le sentiment et le ressentiment des insultes et des injustices qu'ils ont éprouvés est inextinguible dans leur coeur. Ils deviennent bien plus dangereux rependus sur les bords de l'Ontario et de l'Erié, Huron, Michigan, &(ca) ou ils peuvent tout écrire et publier, et tout oser contre l'autorité qui les a maltraités, avec bien plus de hardiesse, que s'ils vivaient sous ses lois. Quel plus grand degré de sympathie pour eux et d'antipathie contre l'Angleterre n'exciteront-ils pas, si elle a le tort de Gouverner les Colonies à l'avenir comme par le passé. Cette vaste désertion va affaiblir le haut Canada, appauvrir son gouvernement prodigue et embarassé, et punir par la diminution des affaires, même le commerce de Montréal, si servilement les adulateurs et les soutiens de toutes les fautes du gouvernement, parce qu'elles sont dirigées neuf fois sur dix contre des Canadiens, et qu'il choisit dans ses rangs pour gouverner des hommes aussi flétris que Gérard, aussi bêtes que Mollson. Est-ce que cela peut durer & se soutenir un instant dans l'opinion publique, quand ils seront toisés & exposés par un corps de Représentans, le même inévitablement que celui qui fut jadis. Non il y a trop de liberté, et d'élémens de prospérités et de contentement dans les États Unis pour qu'un mécontentement aussi vaste que celui qui existait dans les deux Canadas y soit perpétué. Mais comment le faire cesser si ce n'est par des concessions aux voeux de la majorité. Même pour le Bas Canada, il ne faut qu'un léger degré de plus d'oppression, pour décider un grand nombre de ses citoyens à venir s'établir sur l'Ohio, l'Illinois, le Missouri, où se trouvent en grand nombre déjà des descendans de français comme eux, vivant à leur aise sur un sol plus fertile et sous un ciel plus doux que le leur. Des compagnies et probablement le gouvernement ici donnerait avec plaisir des facilités et des encouragemens à une telle colonisation si l'on se décidait à la faire sur une grande échelle. Mais les Canadiens sont tellement un peuple à part sur ce continent, qu'il est douloureux de songer à la nécessité d'une dispersion dans laquelle il ne trouveraient pas l'ensemble de circonstances qui leur a donné un caractère aussi heureux, gai et social que le leur, leurs habitudes morales & religieuses, leur langue et leurs lois. Nul Anglais qui n'ait les plus justes raisons et les plus grands avantages à s'établir dans aucune partie de l'Amérique Indépendante plutot que dans aucune partie de l'Amérique Coloniale. L'émigration pour eux ne leur laisse pas de justes sujets de regrets. Les obstacles sont infiniment plus grands pour les Canadiens, (pour une famille) provenant surtout pour la masse de la différence de langage. Cet obstacle n'existe pas pour nous. J'ai éprouvé de toutes parts pour toi pour moi et les nôtres, (que) les preuves les plus touchantes de bienveillance de sympathie, de désir de nous voir prendre refuge en ce pays. De suggestions que ce serait consulter le bonheur de ma famille que de la dérober aux insultes du pouvoir en Canada; à de nouveaux dangers, à de nouvelles persécutions si l'Angleterre prétend perpétuer le sistême actuel. Ce n'est pas ici que je dois prendre une résolution sur ce point. C'est dans un conseil de famille et dans un conseil de compatriotes injustement persécutés comme moi que nous aurons à délibérer, à examiner si nos efforts communs peuvent procurer à la patrie des réformes nécessaires. Aujourd'hui l'Angleterre nous gouverne directement. Elle a établi un Dictateur. Il peut plus pour le bien, qui aurait des résultats durables, ou pour le mal qui ne serait maintenu qu'aussi longtems qu'une garnison que douze à quinze mille hommes l'étayerait, ce qui ne pourrait être long que ne le pouvait le gouvernement mal constitué et sistématiquement divisé que nous avons eu. Lord Durham vient aggrandir ou détruire une belle réputation. Si en arrivant il publiait de suite un acte d'oubli, il prouverait qu'il s'est tracé une ligne de conduite libérale & il écarterait les intrigans provinciaux qui prétendront le diriger. Si même il diffère jusqu'à l'époque du Couronnement de la Reine, on pourra espérer encor que sa marche sera ferme & éclairée et que cet arrangement avait été arrêté avant son départ: Si cet acte de justice n'est pas octroyé plein et entier à cette époque, alors il sera entré dans un dédale de basses intrigues avec ses conseillers spéciaux, il n'y aurait qu'injustice à attendre pour le Canada, il faudrait prendre le parti de le fuir. Jusqu'à cette époque, (ou plutot si quelque mesure violente deshonorait l'arrivée de Lord Durham, comme les féroces cruautés inutilement commises par les exécutions dans le haut Canada ont deshonoré et ôté toute chance de succès à l'administration de Sir Arthur) ne prenez aucun parti qui annonce aucune détermination de ma part. Faut-il fuir le mobilier que vous avez sauvé devra être vendu et vaudra plus lorsque ces innombrables légions seront arrivées que dans ce moment. Dans la première semaine de Juin au plus tard je serai à Saratoga ou soit toi où quelqu'un des nôtres seront en même tems et ou l'on entreverra assez clairement qu'elles sont les vues du Gouvernement pour savoir à quel parti nous devons nous arrêter. A cette époque les communications auront été fréquentes avec le Canada j'aurai vu quelqu'un que j'aurait fait tant et tant parler, que je comprendrai au juste en quel état vous êtes. Depuis que je me suis séparé de mon Chèr Amédée j'ai voyagé en différentes directions et je continue à le faire en ce moment en vue d'acquérir des connaissances minéralogiques & géologiques qui pourraient être de quelqu'utilité pour mon pays si j'y retournais. Connu d'un petit nombre d'amis éclairés et respectables les bibliothèques et leur société ont été mon refuge et ma consolation dans des tems d'épreuves aussi cruelles. Des bouquins que je n'avais pas en Canada ont été déterrés de la poussière pour me donner des nottes qui se rattachent à son histoire, dans la supposition que là ou ici, je pourrai dans l'éloignement des affaires, m'occuper de l'écrire. Aussi isolé que je l'étais, séparé par un si grand malheur de tant de personnes qui me sont si chères, inquiet pour ma famille, pour mes compagnons d'infortunes exilés ou emprisonés, j'ai été heureux d'avoir des goûts pour l'étude. Je me suis opiniâtrement occupé de cette manière, non seulement pour apprendre, mais aussi pour affaiblir mon chagrin et pour m'en distraire. Mon Chèr père en songeant à la peine profonde qu'il ressentait, me donnait beaucoup d'inquiétude. J'en aurais eu encore davantage si je l'avais su malade comme il l'a été cet hiver. Ou il ira à S(t) Hyacinthe ou Rosalie ira le voir à Montréal. Vous lui expliquerez comment 407 il a reçu aussitôt que possible ma procuration qui dans son opinion aurait du être en ses mains en Octobre dernier et qu'il n'a reçue que dans le cours de l'hiver. J'aurais bien aimé quelque mots de détails sur l'état de santé au moins, si non de sentimens, de tous les membres de la famille (à) dans toutes les diverses parties de la province, mais paix ce que nous n'aurons pas écrit nous ne manquerons pas de nous le dire quand nous serons ensemble n'est-ce pas. Nous étant privé si longtems de cette consolation la plus grande de toutes dans (tous) nos malheurs résultat du parti pris de garder l'incognito, je persiste dans ce sistême encor pour quelques jours, quoiqu'à la rigueur les raisons qui m'avaient dans le principe porté à l'adopter aient presque cessé entièrement. La chère petite Azélie j'aurais espéré qu'elle n'aurait pas été aussi fortement excité qu'elle semble l'avoir été. La pauvre petite est bien jeune pour avoir été ainsi condamnée à souffrir. J'ai passé une partie de mon tems dans Philadelphie où j'aurais souhaité voir M(e) Pratt pour lier indirectement commerce de lettres avec vous mais elle demeure dans une maison de pension ou j'aurais pu être reconnu et cela contrariait mes vues. J'ai eu, sans qu'elle le sut, (che) ainsi il n'en faut rien dire à ses parents, avis (que) de tems à autres que vous étiez bien portante. Mon Ezilda profite j'espère ou plutot je n'en doute pas de ses écoles. Cela dépend d'elle et pour faire ce qui dépendra d'elle pour la consolation de son chèr Papa elle se sera bien appliquée. Mais a-t-elle grandi corporellement, en proportion autant comme en sagesse et en savoir, sa santé se fortifie-t-elle ? Et mon Gustave cadet d'âge, mais non de raison, de sa soeur n'a-t-il pas bien profité. Oh mon amie quand nous serons tous sous un même toit qu'il soit doré ou bien de chaume, que de motifs n'aurons nous pas de nous entre aider et consoler des privations passées; que d'actions de grâces d'avoir échappé à des périls aussi prochains que ceux qui m'ont assiégé, que de motifs d'aimer plus tendrement que jamais ceux de mes amis qui ont souffert plus que moi et couru plus de risques et d'aider aux malheureux si nous le pouvons comme l'on nous a aidé dans le malheur. Et ma soeur et sa famille, le moment du revoir, ne sera-t-il pas le plus doux, malgré de profondes cicatrices, que nous aurons jamais éprouvé. Augustin & sa famille ont eu leurs rudes épreuves. Quelle mer de troubles. Sommes nous au port. Ton ami, ton époux dévoué, L.-J. PAPINEAU
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