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Chère amie. Je te remercie ainsi que Philippe des détails que m'ont donnés vos lettres, qui montrent qu'il y avait un peu d'exagérations dans les rapports qui circulaient ici sur la probabilité des troubles et de violences à Montréal. Que tu aies la force et le courage nécessaires pour ne pas souffrir de toutes ces détestables menaces que lançent contre moi et ma famille des fanatiques. me réjouit beaucoup. Tu ne dois avoir aucune inquiétude par rapport à ce qui se passe ici. Les trois quarts au moins de la population sont fermement attachés à la majorité de la chambre, et, parmi les Constitutionnels, il n'en est presqu'aucun dont l'exaltation soit portée au degré d'extravagance, où elle est rendue à Montréal. D'ailleurs nous sommes plusieurs qui demeurons ensemble, et dans la maison voisine de M(lle) Dumoulin. Les mêmes devoirs nous appellent aux mêmes heures et aux mêmes lieux: nous n'allons donc presque jamais seuls. Quel effet va avoir sur les exaltés de Montréal la publication de la Proclamation qui dénonce, comme illégal et criminel, leur projet d'organisation? Il pourrait y avoir un premier moment de rage où par l'ivresse, ils oseraient pousser quelques misérables à des actes de pillage et de désordre. Je ne le pense pourtant pas. Ceux qui ont des familles et des propriétés doivent penser qu'après avoir lancé contre leurs ennemis politiques des gens de cette classe, ils les arment contre tous les propriétaires indistinctement. Puisqu'une fois que le sang aura coulé, ils verront la campagne toute entière se ruer sur la ville pour en tirer une juste rétribution. Naturellement en envoyant cette proclamation, le gouverneur a renvoyé, dit-on, à l'homme du Herald, avis de discontinuer l'envoie de ses feuilles incendiaires au Chateau. Toutes ces mesures ne font encore aucun mal à qui que ce soit du parti ennemi du pays, Mais enfin, elles pourront et devront bien prochainement conduire à des poursuites criminelles contre eux, s'ils ne se désistent pas. Je pense qu'ils vont feindre de s'y soumettre et continueront à s'organiser secrètement. L'habitude qu'ils ont eu en Irlande d'appartenir aux loges Orangistes et autres associations secrètes, leur donne de grandes facilités de le faire. J'espère que mon ami, le D(r) Nelson, pourra trouver quelqu'un de fiable qui pénêtrera dans leurs antres pour en découvrir les ténébreuses conspirations. Un autre sujet d'observation, c'est de savoir quelles auberges fréquentent les troupes, et si la Canaille orangiste et séditieuse qui s'y 383 rencontre avec elles, leur inspire les sentimens d'antipathie religieuse et nationale, qu'elle nourrit contre nous. La population Tory de Montréal dit que les officiers avouent qu'ils n'auraient pas l'influence de faire agir les troupes contre les Constitutionnels, si ceux ci se portaient à des actes de violences qu'il faudrait réprimer. Ce qu'il y a de bon, c'est que la proclamation a été adoptée à l'insu de Mess(rs) Moffatt et M(c)Gill, qui ont paru extrèmement surpris et irrités quand ils l'ont su, et ont dit que c'était une folie, qui allait donner aux Carabiniers plus d'importance qu'ils n'en méritent; que quelques jours encore, et ils se seraient anéantis d'eux-mêmes, blamés par tous les constitutionnels modérés. Il y a un mois entier qu'ils disent ainsi que, sous huit jours, tout mouvement va cesser, tandis qu'il allait croissant, en sorte qu'ils peuvent être soupçonnés de l'avoir favorisé sous main quand ils le censuraient auprès du gouverneur. Ce qui me surprend c'est que je crois que Sir Charles Grey leur est dévoué, et partage en grande partie leurs préventions, et que, néanmoins, il a pu leur laisser ignorer ce secret. Ou bien joue-t-il le rôle double de feindre des sentimens divers avec diverses personnes ? Il est un visionnaire, qui a beaucoup de lecture, qui m'a ébloui par l'urbanité de ses manières et la variété de ses connaissances, mais qui est vraiment une tête sans jugement. Mais l'inconséquence de ses propos Tory nuit beaucoup au succès de l'administration du gouverneur. Tous trois ensemble ne sont pas, sous le rapport du talent, à la hauteur des difficultés qui les assiègent. Est-ce le désir d'avoir de l'argent ou l'amour de la justice qui vient de leur arracher cette proclamation ? Le tems le fera voir. Les Américains viennent de prendre possession, avec assez de rudesse d'une partie du territoire en dispute entre eux et nous, dans les Townships de l'Est. Les personnes employées par le gouvernement rapportent que toute cette partie de la population anglaise est prête, plus que nous le sommes, à insister même en prenant les armes, sur la justice de concéder les demandes que nous formons d'avoir des institutions électives. J'avais dit ici, en réponse à de folles menaces, qu'avait faites Sir Charles Grey que, parce que toute cette population disait-il, était opposée à nos demandes et que, si nous persistions à les faire, il serait peut être obligé de recommander de les annexer au Haut Canada pour qu'ils n'eussent pas à souffrir d'un gouvernement tout français, qu'ils ne voudraient pas supporter ce changement; qu'elle était la population plus radicale et républicaine que je ne l'étais, quoique je fusse tel, bien décidément. Cette opinion, se trouvant officiellement appuyée par ces rapports, ils ont je crois, contribué à faire mieux comprendre l'insignifiance du parti constitutionnel, fort nulle part ailleurs que dans Montréal. Si les réformistes du Haut Canada peuvent nous seconder, comme je l'espère, la pénible lutte dans laquelle nous sommes depuis si longtems engagée va bientôt finir en faveur de la bonne cause. Nos enquêtes déshonorent Felton, Gugy, Stewart, trois Conseillers Législatifs, par des preuves si fortes d'inconduite que l'on ne pourra les protéger: Belle également. Les vices du systême sont flagrante et ces révélations nous ramènent ici beaucoup de marchands anglais. Adieu embrasse les chers enfants. Je crains d'être encore ici pendant une grande partie du mois prochain. Au commencement de Février je te ferai toucher de l'argent. Tout à Toi Ton bon et fidèle époux.
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