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Chère amie Je te remercie de ta lettre du 18, mais te réprends de la faiblesse et du découragement trop grands que tu y montres. Tout t'inquiète, tout t'attriste. Ce n'est que dans les moments de mauvaise humeur et de difficultés réelles, que la plainte m'échappe. Chez toi elle deviendrait habituelle, si tu ne t'appliques pas à voir les évènements de la vie sous un jour moins sombre. Il faut se faire des illusions peut être, mais se représenter l'avenir comme plus favorable que tu ne le vois sans quoi l'on tomberait dans une habitude de mélancolie, aussi nuisible à la santé de l'esprit qu'à celle du corps. Ainsi de te voir entourée d'une famille qui grandit au lieu de te rendre heureuse, te tourmente Tu te demandes s'ils seront sages, heureux, se formant des établissemens. Tant que le contraire n'est pas arrivé, il faut espérer que tel sera leur avenir -- Je suis bien plus attaché à la vie pour l'amour d'eux que pour moi. J'espère que je pourrai leur être utile, les aider de mes conseils ou de mes moyens. C'est bien la plus forte des considérations qui attachent à la vie, comme le souvenir des pertes successives que l'on a faites des personnes que l'on a chéries, est ce qui en détache le plus. Néanmoins l'on doit se dire chaque jour: Il faut faire aujourd'hui ce qui est honnête et convenable, sans trop s'inquiéter d'un lendemain, qui peut être ne nous appartiendra pas. Il faut se dire: Nous ne connaissons rien de ce qui nous doit arriver ni aux nôtres, mais chérissons tendrement nos enfans, nous leur apprenons à nous aimer. Il y a plus de bonheur pour les familles par leur esprit d'union que par leurs richesses. Apprenons leur d'abord et avant tout à s'aimer puis bâtissons leur, rien ne l'empêche, un avenir ou l'amitié, la vertu, l'aisance, sera leur partage. Mais cela ne se réalisera peut être pas. Il y a presque certitude que ce ne peut pas être le partage de tous nos enfans. Ils sont hommes, ils auront donc à souffrir plus ou moins; ils sont hommes, ils tomberont donc dans des erreurs plus ou moins graves, et en seront punis. Mais quelques hommes échappent aux calamités communes; pourquoi ne pas espérer tant que le contraire n'est pas arrivé, qu'ils seront de ce petit nombre. Pourquoi se chagriner d'avance de malheurs qui n'arriveront pas, ou qui, s'ils arrivent, ne nous aurons peut être pas pour témoins, puisque nous ignorons si nous vivrons ou ne vivrons pas. le crois qu'il est peu d'hommes chez qui les deux sentimens d'amour de la famille et d'amour du pays soient plus forts que chez moi; pour le bonheur de mes enfans nulle privation, nul sacrifice personel que je croirai pouvoir leur être utile ne me coutera et je puis espérer qu'ils seront heureux. Cela fait plus grande joie dans ce monde et tu peux et tu dois te livrer aux mêmes espérances et aimer ainsi la vie privée. La vie publique au contraire, pour un Canadien, montre au pays, dans un temps plus ou moins prochain un moment de crise et de souffrance qui sera affreux. Nous n'avons jamais eu justice dans le passé, nous ne l'aurons jamais dans l'avenir. Hier encor je voyais Sir Gipps qui disait: Je ne partage pas, je blâme hautement les préjugés que les anglais, presqu'universellement, nourrissent contre les Canadiens. Mais je ne puis empêcher qu'ils n'aient leur poids et leur influence en Angleterre. L'unanimité avec laquelle ils représenteraient que nous les livrons, pieds et poings liés à une majorité française, si nous recommandions la suppression ou l'election du Conseil Législatif, nous met dans l'impossibilité de le faire. Nous succomberions, le Ministère succomberait, même dans la chambre des Communes. Je lui dis: Eh bien! recommandez cette mesure pour le Haut Canada, où il n'y a pas de Français Canadiens. Quand ce sera accordé à une autre province, nous saurons bien l'obtenir ensuite. Il répondit: si le Haut Canada était aussi uni comme vous l'êtes sur cette question, et l'avait demandé depuis autant de tems et aussi énergiquement que vous l'avez fait, l'esprit public en Angleterre, serait préparé à vous l'accorder; il ne l'est pas encore. Ainsi, dans le tems et de la part des anglais qui nous veulent rendre justice, nous apprenons que notre Nationalité a pour nous de graves inconveniens. C'est ce fait, qui se répète tous les jours et sous toutes les formes qui m'irrite et qui me fait croire que je serai toujours malheureux dans la vie publique, tandis que mon goût pour la médiocrité, la solitude et l'étude, me rendraient plus heureux dans la vie privée. Quoiqu'il en soit, je suis demeuré dans la vie publique, en butte à plus d'animosité et de contradiction qu'aucun autre homme, pendant plus d'années qu'aucun autre de mes compatriotes. Je suis représentant depuis vingt huit ans; il est excusable de désirer la retraite après ce tems, mais je ne la demande encore que conditionnellement, si je puis le faire sans nuire à la cause que j'ai servie avec quelqu'utilité et quelqu'honneur. -- Tout cela veut dire, ma bonne maman que je veux te voir plus de force et de courage que ta dernière lettre ne m'en montre. J'ai bien du chagrin de l'indisposition continuée de ce pauvre Cherrier. Son esprit et son instruction sont une des plus douces consolations que je pourrais avoir ici dans sa société, et s'il était assez bien portant je trouverais l'occasion de le faire travailler. Fais lui et à sa Dame, et à M(r) Quesnel, mes amitiés bien sincères. L'unanimité que montrent les divisons de la Chambre, de 53 contre 6, doivent faire plaisir à nos amis. Les tentatives qui ont été faites une couple de fois sont abandonnées. Vanfelson et Bédard viennent maintenant nous dire qu'il faut que la belle Union dont nous avons fait preuve, dure jusqu'à la fin de la Session, et je l'espère, nous obtiendrons cet avantage. De Bleury est bien heureux, il est à Montréal. Il aura été te voir et t'aura dit que ma vie est trop occupé pour me laisser le tems de sortir et de receuillir aucune anecdote pour laquelle je puisse t'amuser. Je te remercie des mouchoirs que tu m'as envoyé. Il y en à trois qui sont bien à mon goût et des Indes solides pour l'étoffe et la couleur, tout à fait à mon goût, les trois autres sont anglais ou français bien brillants, mais d'un éclat trompeur. C'est bon aux jolies femmes pour qu'elles soient aperçues de loin, ça ne va pas à ma gravité. Je te les remettrai à toi, ils t'iront bien mieux qu'à moi. Tu n'en à pas moins fait pour le mieux et je n'y redis ni n'y contredis en aucune manière. Adieu chère amie aies soin de ta santé et de nos enfans. Je les embrasse en commun avec toi de tout mon coeur. Mes respects et amitiés chez mon père à qui j'ai envoyé L20 par M(r) de Bleury pour dépenses au moulin. Tout à toi Ton bon ami.
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