| |
Ma chère Julie. Je suis dans un bien triste, bien ennuyeux isolement. J'ai passé la matinée avec M(r) Viger indisposé & retenu chez lui par une douleur de rhumatisme et quelque légère purgation, cela n'aura aucune suite je l'espère. Il est encore indécis ne sachant s'il va monter à Montréal ou attendre au mois d'avril pour plaider alors son procès, par l'incertitude où il est de savoir si les chemins de terre seront ou ne seront pas praticables. S'il comptait fermement que les Steamboats navigueront alors il monterait avec moi à Montréal. Et moi quand donc y serai-je ? Demain est jour de fête, et cela empêchera dit-on que la prorogation n'ait lieu. En attendant je ne suis propre à rien. Toute mon attention est concentrée vers un but, celui de me revoir en famille. Quelle épreuve avons nous subie. Quelle voix manque dans le concert de celles qui s'accordent pour m'appeler. Quel besoin j'ai de rendre les autres enfans heureux et toi un peu consolée, pour espérer que ce spectacle m'aide aussi à me consoler. Aurai-je le plaisir de recevoir encor un mot de la maison avant mon départ ? Ce pourrait être le cas si Théophile a pris garde que la Gazette de lundi m'annonce la prorogation que pour vendredi. Aujourd'hui il peut m'écrire mais il aura plutôt cru ma folle lettre qui annonce la prorogation pour aujourd'hui. La chose était si fesable, je la désirais si fortement, que ne pouvais me décider à croire le contraire. Mais parceque c'est une méchanceté & une sottise, je devais l'attendre du Conseil. Je ne leur ai pas encor rendu justice ni reproché la dixme de leurs torts; à la fin il le faudra faire, ils ne perdront rien à attendre. Je n'ai d'autres ressources pour ne pas être tout à fait misérable, que de me renfermer et alternativement de me croire au milieu de vous-- m'occupant de projets d'utilité pour mes chers enfans, puis aussi avec mes livres, ma seconde passion dominante, & à laquelle j'ai dû en beaucoup d'occasions d'échapper aux dangers et aux écarts d'autres passions. Je les aime, mes livres, de plus en plus, et j'en sens bien mieux le prix dans mon deuil que dans aucun autre moment. Adieu, ma chère amie, prends courage avant tout, aies soin de ta santé, embrasse nos chers enfans. Je suis en Chambre pour réünir un petit nombre de Membres et ajourner à demain faute de Quorum; puis demain, je répèterai le même cérémonial, et Vendredi, à trois heures, Sir James viendra proroger la Session. Je suis seul en attendant le retour de nos membres, qui sont au Conseil où dans le moment même, les débats roulent sur la question du Bill pour payer les dépenses du Gouvernement Civil. Il y a une forte opposition. Quelques uns disent qu'elle sera efficace. Je n'en crois rien, mais peu importe ! Tout à toi ton bon ami & fidèle époux.
| |
