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Ma chère & bien bonne amie. Je suis au désespoir, & toi aussi, de voir la Session s'allonger d'un jour à l'autre, et tromper, de vingt quatre en vingt quatre heures, notre attente. Si c'étaient des vues du bien public qui occasionnaient ces délais il ne faudrait pas s'en plaindre Mais c'est la paresse et l'incapacité de ce corps malfaisant, le Conseil Législatif, qui par ses intrigues, son inimitié déguisée contre l'Administrateur, & leur haine ouverte contre nous, entrainent des délais inutiles, qui retient ici l'Assemblée. J'en tirerai vengeance un de ces jours. Je vois trop bien que à la Session prochaine, il faudra s'occuper d'accusations personnelles contre plusieurs des juges & contre le Procureur général, et c'est à rassembler des matériaux pour servir à l'histoire de leur vie politique toute souillée de crimes & d'ordures que j'occuperai l'intervalle d'une Session à l'autre -- ils pouvaient faire leur paix. S'ils reparaissent dans les bons Conseils, il n'y aura ni paix ni trève entre les deux corps. Le bon & le mauvais principe y sont aux prises et je doute nullement de l'ascendant qu'aura l'assemblée sur le Conseil. Ces imbéciles, tirés du néant par le Gouvernement pour le servir, 299 essaient dans ce moment de rejetter le Bill d'appropriation demandé de la part des ministres et je me réjouirais vraiment de ce nouveau trait de leur folie. Hier on les donnait comme également divisés sur cette question, sauf la voix prépondérante du Juge en Chef: et au lieu de finir les affaires aujourd'hui, comme ils ont été invités hier à le faire, ils ont remis à demain cette question dans l'attente que M(r) Kerr viendra à tems pour s'y opposer; Mais le Juge en Chef a en réserve son Evêque qu'il fera venir contre le Juge Kerr, ainsi ce délai, demandé par M(r) Richardson, ne peut avoir d'autre effet que de compromettre un fou comme Kerr, encor plus qu'il ne l'est. Sir James, s'il continue à vouloir ménager tout le monde est à la veille de déplaire à tout le monde. La Chambre avance, les autres reculent et pas à pas chacun se trouvera à sa place. Il n'y a plus de quorum pour demain ceux qui l'ont formé à grand peine aujourd'hui partent ce soir. Moi je vais être pendant un jour ou deux la victime de leurs petites intrigues. Leslie devait partir avec moi demain, aussitôt après la Session finie, mais voyant qu'elle n'aura lieu qu'après demain au plutôt, il part ce soir et il a raison. Je reste dans un isolement qui m'est bien pénible. Aujourd'hui j'ai passé la journée à la Chambre, il est vrai, mais demain je resterai seul, avec la vive douleur que j'ai de la perte de ma chère Aurélie, avec le tourment de vouloir partir pour chercher auprès de toi et de mes enfans des consolations, et d'être retenu et privé du bonheur de faire route par des hommes que je hais et méprise à l'infini. Je m'en veux du mal, je suis dans un étât de souffrance et de mauvaise humeur qui éclate à chaque instant, quoique je sois sur mes gardes pour me tenir à quatre. Je croyais avoir du loisir aujourd'hui, mais il faut perdre mon tems à attendre le Quorum depuis dix heures jusqu'à deux, et j'ai peu de tems avant le départ de la poste, parceque je règle d'avance ce qu'il y a à faire dans les bureaux après mon départ. Théophile en me parlant de nos enfans le fait avec tant d'amour pour eux et de sensibilité et m'intéresse si vivement, qu'il est impossible ma bonne amie que tu ne puises pas des forces & du courage dans la considération des soins qu'ils demandent de toi de l'amour dont ils payeront tes soins, de l'amour et de la reconnaissance que je te voue pour tout ce que tu as endurée avec courage de peine et d'afflictions, pour l'amour de nous. Adieu ma chère Julie, j'embrasse tendrement notre bonne Maman et Théophile m'écrit que tes soeurs ne sont plus avec toi j'en suis affligé, j'aurais voulu que nous fussions le plus nombreux possible quand nous nous reverrons pour nous soutenir. Je t'aime de tout mon coeur avec Amédée. Lactance, Ezilda puis bientôt j'aimerai aussi Gustave comme les autres. Tout à toi Ton bon ami & fidèle époux
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