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Ma chère amie, Personne ne m'écrit du Canada, mon exil se prolonge et me devient de plus en plus fatigant. Les livres et les jardins sont si beaux et si nombreux et mon gout si décidé et de vieille datte pour les amusements qu'ils procurent, que si je n'avais eu cette ressource, je n'aurais jamais eu le courage de tenir en ce pays aussi longtems que je l'ai fait. Néanmoins puisque j'y suis venu pour remplir un devoir public, dont j'aurais mieux fait de ne me pas charger, vu qu'il aurait été rempli par tout autre aussi bien que par moi, il faut consommer le sacrifice, et rester encor non à Londres, mais en Angleterre jusques vers le dix d'Août. Mrs. Willmot & McKintosh fatigués de leur tâche en Parlement ont été à la Campagne avant la fin de la Session d'où le dernier m'écrit qu'il sera de retour à Londres où il desire me voir le sept ou huit d'Août. Gagné comme il est à la bonne cause, il est trop important que je le voie actuellement où il a plus de loisir pour que je ne me trouve pas au tems fixé. En attendant je vais promener dans les campagnes d'Angleterre au lieu d'aller sur le Continent. J'avais pris mes mesures avant cette lettre de Sir Jame, et je devais partir hier pour Paris; mais c'est ajourné. Sur le tout ma bonne amie c'est une grande misère que je n'aie pas eu plus d'expérience au tems de mon départ de Montréal, et prévu combien peu je serais occupé ici. Avec cette connaissance ou je ne serais pas venu du tout où je serais venu avec toi. J'ai été le maitre d'une assez grande partie de mon tems que je n'aurais pas été souvent dans le cas de te laisser seule, comme je l'apprehendais lorsque nous avons parlé de faire ensemble le voyage et malgré l'affreuse misère de la traversée nous aurions échappé tous deux à l'accablant ennui d'une si longue séparation. Je vois par tes lettres combien tu t'attristes et cette considération ajoute au dégout de mon séjour ici. J'y aurai acquis quelque connaissance mais malgré mon désir de m'instruire je ne considererai pas comme une époque heureuse de ma vie celle où pendant si longtems je suis séparé de ma femme et de mes chers enfans. Mon Amédée me reconnaitra-t-il quand il me reverra ? Probablement qu'il ne pourra pas au premier moment se remettre ni mes traits, ni mes chansons, ni nos jeux. Oh que je souhaite les recommencer; ils seront bien plus 211 jolis à présent que Lactance y sera en tiers. Oh ma douce amie, ma chère cabanne, mes enfans, mes livres, mes parens, mes amis, la tranquilité de Montréal au lieu du bruit de Londres et la solitude plus grande de la Petite Nation quand me serez vous rendus-- La dernière que devait m'apporter Monseigneur de Rhésine, qui n'est pas venu à Londres je ne sais s'il a laissé le Canada m'est parvenu par la poste. Je souhaite que la pauvre Vevette soit heureuse et contente du parti qu'elle a pris. Elle est une bonne enfant--Moi qui me pique de raisonner, je pense toujours humainement parlant que c'est prendre un mauvais parti, mais dans l'ordre de la grace où à vrai dire je n'ai vu que confusément il se peut faire que ce soit bien (quoique) Néanmoins je vois ici un pays qui prospère plus que bien d'autres bien (quoi) qu'il soit sans couvent. Tes dernières lettres sont venues à propos m'avertir de l'incertitude ou nous étions (...) de savoir si notre Gouvernement Banqueroutier me payerait ou ne me payerait pas ce qu'il doit. Je n'aurais pu me refuser si j'avais été sur de recevoir cette somme, au plaisir d'accroitre ma Bibliothèque de plusieurs grands ouvrages qui ne sont pas encor introduits en Canada. J'avais commencé mes emplettes cela y a mis fin. Il faut pourtant s'y éclairer; il n'y manque que des lumières pour en faire la plus heureuse portion du Globe tant le dégré de liberté dont on y jouit comparativement aux gênes et aux restrictions qui pèsent sur l'Europe, est propre à assurer le bonheur de l'ordre social. Il y a peu de jours j'ai visité l'établissement du plus riche joaillier de l'Europe. J'ai eu entre mes mains un diamant qu'il venait de vendre à un des Souverains du continent pour trente mille louis j'ai été tenté fortement de briser de mon pied ce vil jouet en songeant avec dépit à la folie inconcevable de mettre une si grande somme sur un objet aussi inutile quand une si grande partie de l'Europe manque d'écoles aussi bien que le Canada. J'y ai vu la Couronne louée pour le Roi d'Angleterre et qu'il a porté le jour de son couronnement pendant deux heures et qu'il avait gardé jusqu'à ce jour dans l'Espérance de l'acheter ce qu'il n'a pu effectuer, ce frivole amusement coute aussi trente mille Louis à ce pays. Oh qu'un Roi doit avoir de Sollicitude s'il se croit obligé de faire du bien à proportion de ce qu'il coute aux peuples. J'étais vraiment passablement bon sujet en Canada, Sincère admirateur des Anglais et de leur Gouvernement mais j'y remarque tous les jours de si insuportables abus que j'y deviens assez mauvais sujet. Ceux qui ont écrit avec tant de fiel contre les Rois et les Prêtres les voyaient tels qu'ils sont en Europe tels que nous ne les concevons pas en Amérique. Plusieurs de nos Concitoyens Anglais qui trouvent à redire à tout ce qui existe en Canada quand ils y étaient sont quelque fois forcés de convenir qu'ils étaient un peu préjugés. Je ne leur en passe pas et en général (...) plupart d'eux assez bon Canadiens compa(rativement à) (...) aient sur nous. D'ailleurs leur influence est nulle il sont de petits hommes au milieu de la population de Londres -- Je ne sais si Mr. Walker t'a remis les effets argenterie et coutellerie que je t'ai adressés --ta première lettre m'en parlera j'espère. S'il y avait quelque malentendu je regardais cela ici. Adieu ma bonne ami, conserve ta santé, surmonte ton ennui, jouis du bonheur de voir nos chers enfans profiter à proportion de tes tendres soins. Respects & amitiés dans la famille et dans la mienne pour la vie ton meilleur ami et fidèle époux. L.-J. PAPINEAU (Au verso:) Londres le 22 Juillet 1823. Madame Papineau Rue Bonsecours Montreal pr. Corinthian from Liverpool via New-York. 1 8 2 5 - 1 8 2 9
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