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Ma chère Julie ma bonne amie, sois assurée que l'ennui et la tristesse ne m'assiegent pas moins que toi; et que rien n'y peut faire diversion à l'égal du plaisir que j'ai a recevoir de tes lettres. Je souhaite que tu puisses te faire une habitude de coucher chaque jour sur le papier quatre à cinq lignes qui réunies formeront une lettre que tu m'adresseras chaque fois que tu auras rempli tes pages. Ne crains pas ma bonne Maman, que ce soit la dissipation du plaisir qui m'empêche(nt) de t'écrire assidument, mais ce sera quelques fois la dissipation des affaires. Il est impossible de se figurer quelle perte de tems entraîne l'obligation de voir tous les jours cinquante personnes différentes parlant chacune de cinquante projets divers. Il est d'absolue nécessité dans l'embarras ou nous nous trouvons tous de se voir fréquemment et de parler longtems sans rien conclure, d'ailleurs le dégout que me donne l'aspect de la condition future de la Province, m'occasione vraiment un état de malaise de mecontentement qui m'ote tout pouvoir de prendre le ton que je souhaiterais pouvoir prendre pour t'écrire quelque chose qui t'amusât et t'interessât. J'ai déchiré une lettre que je t'avais écrite parce qu'involontairement et sans m'en appercevoir il n'y avait pas un mot de toi ni de moi dans la lettre, qui n'était qu'une longue argumentation pour prouver que le Juge en Chef était un fripon et le Gouverneur un sot. J'en reviens toujours là et sans le vouloir, tu auras reçu hier la lettre que j'écrivais à differentes reprises dimanche dernier et que j'ai fermée sans l'avoir datée. J'ai aussi reçu les deux lettres que tu m'as écritte. La dernière par m(r) Quesnel vient de mêtre remise j'avais commencé celle-ci Je vois pauvre Maman que tu t'abandonnes à trop de douleur. Ta Maman t'a-t-elle promis de revenir sous peu te tenir compagnie. En verité la Pitié devrait l'y résoudre, à moins que tu ne crusses praticable d'y aller toi même. Les Sacrifices de (ses) mes intérêts au bien public, me sont possibles mais ceux du bonheur de famille, seront bientôt au dessus de mes forces.--Quand je te vois souffrante et délaissée, que je me vois sans aucune espérance de faire le bien du Pays, privé du bonheur d'être avec ma famille que j'aime plus que moi; de suivre des habitudes de retraite et d'étude que j'aime, pour vivre journellement dans la fréquentation de personnes qui me haïssent et que je ne considere que comme des voleurs publics, je regrette du fond de mon coeur d'être engagé dans la lutte penible où je suis engagé C'est en finissant cette phrase que le Chèr Curé Bruneau vient d'entrer dans ma petite Cellule. C'est un trésor de sensibilité que ce bon Curé. Je lui ai communiqué tes lettres nous nous sommes attristés ensemble et cela console. La Neige en abondance et le grand froid, nous font dire que les communications doivent s'établir bien vite entre Montreal & Chambly et que sans doute (quel) il y aura quelque réunion de famille qui te distrairont un peu de ton ennui. puis il me dit les démarches qu'il a faites auprès de l'Evêque pour nous rejoindre et celles qu'il fera je ne doute nullement qu'il ne finisse par réussir. Il nous aime tous bien tendrement et il est bien estimable. Denis est occupé et c'est tant mieux. Dans un lieu de frivolité et de dissipation comme Québec il n'y a que l'assiduité au travail qui puisse arracher les jeunes gens à des folies dangereuses. Je n'ai point de nouvelles de Dessaulles ni d'aucuns des Représentans au Sud du fleuve; ceux du Nord sont tous arrivés, exceptés M(rs) Tassé, Thain, Prevost qui écrivent qu'ils sont malades. Nous saurons probablement d'ici à huit jours si la Session sera longue ou courte quoique quelques uns des Représentans inclinent à ne pas se décider bien vite sur la question de la liste Civile, pour empêcher l'Administration d'avoir un nouveau Parlement avant mai, néanmois je crois et je le désire encore bien plus surement être bientot réüni à ma chère Julie.-- Le progrès de notre Amedé sont infiniment flatteurs et pour l'éleve, et pour l'Institutrice, et pour moi leur meilleur ami à tous deux. Je remercie Philippe de ce qu'il me mande sur l'état de l'Opinion Publique à Montréal. Tant mieux que l'administration demeure absolument isolée, ce laisse croire qu'il y a plus d'honnêtes gens au monde que je ne suis en Général disposé à en convenir. Il ta fait bonne compagnie j'en sûr Je te recommande d'avoir avant tout soin de ta chère santé Qu'il hâte la fabrication de la Couchette d'Amédée et que celui ci soit livré pour la nuit aux soins de Rose. Adieu chère Amie, tout ce que tu seras en état de prendre d'amusement je le regarderai comme pris p(r) me faire plaisir et t'en aurai infinie obligation. M(r) & M(e) Plamondon le Curé & Denis te font des amitiés. Pour moi je suis et pour la vie tout à toi ton bon ami & fidele époux. L.-J. PAPINEAU (Au verso:) Le 20 Decembre 1820 Madame Papineau Rue Bonsecours Montréal
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