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Jonathan Lemire
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Comme le citait le quotidien La Presse dans son édition du mardi 27 janvier dernier, « la plus grande collection privée de livres sur les Rébellions de 1837-1838 a été vendue aux enchères ». L'événement s'est déroulé au Ritz-Carlton de Montréal les 26 et 27 janvier dernier par l'Hôtel des Encans, sous la supervision du commissaire-priseur, Iégor de Saint-Hippolyte. Les 1 200 ouvrages mis en ventes incluaient également des manuscrits et des illustrations. Le tout appartenait à Mme Rosanna Seaborn qui les collectionna pendant 50 ans. Mme Seaborn, toujours aussi active à 92 ans, comptait sur la vente de sa collection de livres pour donner le coup d'envoi de son grand projet : un film sur les Rébellions de 1837-1838 intitulé : Le Grand Brûlé.
Une cinquantaine de personnes étaient présentes à ce grand happening, pour la plupart des libraires et des collectionneurs de livres anciens, mais aussi certaines grandes institutions de la province et du pays telles la Bibliothèque nationale du Québec, les Archives nationales du Québec, les Archives nationales du Canada, l'Université de Montréal, la Société des Alcools du Québec (Prison-des-Patriotes), la Maison nationale des Patriotes et le Musée de Saint-Eustache et de ses Patriotes.
Mais qu'en est-il de la vente? Quels furent les livres les plus prisés ? Soulignons d'emblée que lors de la première soirée (lundi 26 janvier), au moins le tiers des ouvrages vendus le furent à un libraire torontois qui déboursa plus de 40 000$. L'ouvrage le plus dispendieux de la collection fut l'ensemble des 8 volumes du capitaine James Cook (1728-1779) pour la modique somme de 21 000$. Les deux autres lots plus importants étaient des manuscrits lorgnés par les ANQ. et pour cause : il s'agit du Journal intime de Caroline Debartzch (fille de Pierre-Dominique Debartzch, seigneur de Saint-Hyacinthe et fervent opposant aux patriotes) dans lequel on relate, tantôt en français, tantôt en anglais, les premiers affrontements dans le Richelieu. Le document de 228 pages, signé par son auteure, fut rédigé en 1839-1840. Il fut malheureusement acquis pour 14 000$ par un acheteur anonyme au téléphone!
Le second lot, d'une importance capitale pour la mémoire collective québécoise, était un ensemble de onze dépositions manuscrites de patriotes, exposant un éventuel complot en novembre 1838 afin de capturer le village de Longueuil. Il est à noter que les Archives nationales du Québec possèdent déjà la plupart des dépositions dans le fonds du Ministère de la Justice. Encore une fois, ces archives leur ont pourtant échappé, malgré une belle bataille entre l’institution québécoise et un autre acheteur anonyme. Le lot fut emporté pour un montant de 15 000$.
La Presse rapporte le 28 janvier 2004 que le gouvernement québécois ne laissera pas filer hors de ses frontières de tels documents historiques (Journal de Caroline Debartzch et les 11 dépositions de Longueuil). En effet, « ces deux pièces ne prendront pas le chemin de Toronto ou d'ailleurs, a fait savoir hier la ministre de la Culture et des communications, Line Beauchamp, au cours d'un point de presse à Québec. Pour s'en assurer, la ministre a émis lundi deux avis d'intention de classement qui impliquent que les documents en question ne pourront quitter le territoire du Québec sans son consentement ». Toutefois, « cela ne signifie pas pour autant que les Archives nationales feront elles-mêmes l'acquisition des précieux lots ». « Les moyens sont tout de même limités, a avoué la ministre. Même s'ils devaient être vendus à quelqu'un d'autre que les Archives nationales, cela nous permettra d'avoir un droit sur les documents et de nous donner le temps d'avoir une négociation avec l'acheteur », a précisé la ministre.
D'autres ouvrages de grandes importances dans l'historiographie des Rébellions furent vendus pour de plus modiques sommes. Notamment, soulignons l'achat, par la B. N. Q. , des "procédés de l'assemblée des électeurs du comté de Montréal tenue à Saint-Laurent le 15 mai 1837" (20 pages) dans lequel on retrouve le fameux discours de Louis-Joseph Papineau (2 000$). On a aussi vendu l'ouvrage de lithographie de lord Charles Beauclerk datant de 1840 (3 800$). Notons aussi la vente de diverses articles du Vindicator, de la Gazette de Québec du 18 août 1837 pour plusieurs centaines de dollars, les procès politiques de François Nicolas publié en 1838 (1 500$) et celui de Joseph-Narcisse Cardinal publié en 1839 (1 300$), un fac-similé de l'Histoire de l'insurrection par Louis-Joseph Papineau (700$), le "Report of the State Trials" (1 400$), un feuillet de 24 pages de la Chambre d'assemblée du 21 février 1834 par Augustin-Norbert Morin (3 200$), un document de Stephen Walcott relatant le nombre de décès à la bataille de Saint-Charles le 25 novembre 1837 acquis par l’Université de Montréal (1 100$), plusieurs exemplaires du Rapport Durham, dont un encore pour l’Université de Montréal (1 200$), des adresses à John Colborne et Francis Bond Head et une « planche » de billets de banque datés de 1837 de la "Champlain & St. Lawrence Railroad" datée de 1837 (700$).
Mentionnons aussi la vente d'une lettre manuscrite datée du 5 mars 1838 envoyée à New York dans laquelle on relate par exemple : "The Canadian revolt produce a considerable excitement!" (350$) et une autre correspondance datée du 10 décembre 1837 par un témoin du début des troubles à Toronto le 5 décembre précédent (400$).
Finalement, plusieurs documents et ouvrages étaient signés de la main même des protagonistes des Rébellions de 1837-1838. Mentionnons la "Réfutation de l'écrit de L. -J. Papineau" signé par son auteur : Pierre-Clément Sabrevois de Bleury (1 200$), d'autres ouvrages signés par Samuel Neilson, Joseph Howe, Jacob DeWitt, Denis-Benjamin Viger et Amédée Papineau. Enfin, un exemplaire du "Guide du cultivateur ou Almanac de la température pour chaque jour de l'année 1834", celui-ci autographié par Amédée Papineau où il écrit : « Dieu et la Patrie ou la mort!!! Vive le Canada!!! ».
Le montant de cette deuxième journée de vente totalise environ 150 000$. Il est important de noter que tous les prix mentionnés ci-dessus (en fait tous les achats à l'encan) doivent être augmentés de 30% : soit 15% de frais d'encan et 15%... pour les incontournables taxes !
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