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Même si un temps exécrable accablait cette soirée de février 2003, j’errais sur les trottoirs de Montréal pour chasser de ma tête la tristesse et la déception qu’avaient engendré les derniers résultats d’un sondage concernant la popularité du parti Libéral en vue des élections provinciales du printemps suivant.
Sans m’en rendre réellement compte, mes pas me conduisaient inexorablement vers un inconnu qui allait, par ses propos, tenter de rallumer une flamme d’espoir dans mon coeur alourdi par le mauvais pressentiment que le vrai peuple québécois allait encore une fois se trouver sous le joug d’un parti politique voué à des courbettes déshonorantes devant un fédéralisme oppresseur.
Alors que le vent froid venu du fleuve s’acharnait à faire tourbillonner inlassablement autour de moi des trombes de neige, je levai mes yeux à demi clos vers un édifice grisâtre et, malgré la poudrerie, je pus y lire une immense inscription qui me semblait surgir du passé : Au pied du Courant.
Inconsciemment, je me suis immobilisé face à ce vestige, que certains appellent monument historique, enveloppé d’une aura d’injustice et de traîtrise. Une larme de nostalgie vint se figer sur ma joue rougit et mon coeur bondit d’indignation qu’engendrait le souvenir funeste de la quasi extinction d’une race qui méritait de porter le nom de québécois.
Afin de m’accorder quelques minutes dans le but de digérer ma frustration, je me mis à l’abri du grand mur de pierres, à demi ravagé par le temps, témoin impuissant de la mort d’une illusion idéologique qui aurait pu mener à la confirmation d’un peuple. Mon esprit ainsi protégé des rafales cinglantes plongea littéralement dans un songe mystérieux qui se révéla à moi sous la forme d’un personnage à l’accoutrement étrange et au regard aussi mélancolique que le mien, mais néanmoins animé d’une ineffable lueur d’espoir. Un doigt tremblotant pointé vers le fond de la grande cour, il posa ses yeux sur moi tout en dodelinant tristement la tête.
--- C’est là-bas que mes amis et moi avons été pendus pour trahison envers un pays qui se refusait d’être le nôtre. J’ai accepté sereinement de mourir pour nos convictions en espérant réveiller, par cette injustice, la fibre patriotique qui sommeille dans le coeur de tous les Canadiens français.
L’homme fit une pause pour ravaler son amertume et endiguer ses larmes qui s’apprêtaient à couler. J’aurais voulu trouver les mots pour le réconforter et lui dire qu’il n’était pas mort en vain, mais je n’arrivais même pas à ouvrir la bouche, subjugué par la présence de ce grand défenseur de nos droits et de notre langue. De toute évidence, l’esprit de cet homme était resté sur place pour constater les effets de sa mort, alors il était inutile d’essayer de le berner en lui racontant que son sacrifice avait porté fruit et que sa pendaison avait engendré l’indignation du peuple au point de se soulever contre le régime anglais.
--- Nos femmes et nos enfants ont également accepté de vivre l’enfer de l’humiliation et de la déchéance pour nous accompagner dans notre rêve de liberté qui s’est malheureusement soldé, quelques années plus tard, en un morcellement éhonté de notre Bas Canada. Car il ne faut pas vous méprendre, ce que vous appelez provinces, ne sont en fait que des colonies anglaises regroupées sous un même drapeau dont la couleur rappelle les habits de l’envahisseur.
J’étais consterné par les propos de cet idéaliste dont la vie avait été subtilisée par l’oppresseur pour étouffer définitivement une rébellion contre l’esclavagisme Britannique.
Lentement, son image devint de plus en plus pâle, mais avant de disparaître complètement, il tourna vers moi des yeux remplis de tristesse, dans lesquels subsistait tout de même une faible lueur.
--- Il est encore temps de redonner à nos racines la vigueur nécessaire pour bâtir votre pays, mais dans un siècle il sera trop tard car l’assimilation vous guette et la disparition de notre race est imminente. Déjà on vous a enlevé les crucifix de vos écoles pour ne pas déplaire aux envahisseurs, bientôt on vous enlèvera votre langue et votre drapeau.
Un tourbillon glacial me fit frissonner et, dans mes veines, mon sang sembla se figer complètement. Était-ce dû aux intempéries ou aux dernières paroles du glorieux Patriote?
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