Ils sont finalement arrivés au collégial ces fameux « enfants de la Réforme »; ceux ayant réalisé l’ensemble de leur scolarisation à l’intérieur des cadres pédagogiques dits du « Renouveau pédagogique » et appliqués de manière systématique au primaire depuis 2001 et au secondaire depuis 2006. Est-il besoin de rappeler que cette réforme mise davantage sur l’acquisition de compétences que de connaissances, sur la créativité et la l’initiative plutôt que sur la rigueur et la discipline? Les observateurs attendaient avec impatience de voir comment cette cohorte allait se comporter face aux exigences du niveau collégial. Or, on peut jusqu’ici soutenir que pratiquement chacune des présomptions entretenues à leur égard s’est vérifiée.
Le premier constat est que les élèves du Renouveau pédagogique ne sont pas foncièrement différents de leurs prédécesseurs. Le passage du secondaire au collégial demeure profondément bénéfique. Les élèves y arrivent plus motivés et mieux conscients d’avoir ainsi fait le choix des études supérieures, avec toutes les contraintes que ce parcours impose. Ils demeurent également tout aussi curieux que la cohorte précédente, désireux d’apprendre, mais aussi tous un peu étourdis par la liberté et les possibilités qu’offre l’environnement collégial.
Le second constat qui semble aussi s’avérer est que ces étudiants sont plus autonomes, mieux préparés à la recherche, en particulier sur Internet, plus créatifs aussi et moins inhibés lors des débats en classe et moins embarrassés au moment de choisir un thème de recherche ou de mettre en œuvre les moyens de l’investiguer. Ils sont aussi nettement plus efficaces dans le cadre des travaux en équipe. Une formule qu’ils choisissent désormais spontanément, sans rechigner, moins distraits par les aspects relationnels, se concentrant davantage sur la tâche à accomplir.
Le troisième constat est qu’ils semblent en revanche bénéficier d’un bagage de connaissances plus léger que jamais. Les professeurs qui ont soumis cette cohorte à des questions de base, concernant par exemple l’histoire du Québec, sont généralement à même de constater l’ignorance de leurs élèves à propos des faits, des dates et des personnages marquants de leur histoire. La connaissance semble désormais reléguée au rang d’ « information » qu’on peut, dit-on, toujours commodément puiser sur Google. Disons aussi que la spontanéité et la créativité exacerbées de cette nouvelle cohorte donne des étudiants plus revendicateurs et davantage prompts à la critique et à la négociation qu’à la rigueur et à la minutie.
Le bilan demeure mitigé. D’un côté, le professeur qui sait s’y prendre aura à faire à des étudiants efficaces, soucieux de réussir leur passage au collégial et d’y acquérir les outils conceptuels qui leur seront utiles à l’université. En revanche, il risque fort d’être éberlué par le niveau d’ignorance de cette nouvelle cohorte, en particulier en ce qui a trait à leurs connaissances à propos du Québec
Comment, dans un tel contexte, les étudiants sont-ils préparés à suivre un cours d’histoire du Québec de niveau collégial ?
En principe les étudiants sont bien formés en histoire nationale. Les didacticiens considèrent en général que les étudiants ont, tout compte fait, suivi des cours d’histoire à chaque moment de leurs études secondaires. On pense en particulier au cours Histoire et éducation à la citoyenneté, où l’histoire du Canada est tour à tour vue sous un angle chronologique en 3e secondaire et sous quatre angles thématiques en 4e secondaire : la population, l’économie, la politique et la culture. En somme, les élèves revoient le même récit historique à cinq reprises. Passons rapidement sur les mérites d’une telle approche et concluons que la période amérindienne est généralement vue de fond en comble, que celle de la Nouvelle-France l’est surtout sous l’angle de l’histoire sociale, que celle du régime britannique s’en tire encore assez bien mais que l’histoire du XXe siècle, et en particulier depuis 1960, est peu abordée. Les enseignants doivent en effet généralement escamoter cette période afin de courir aborder la même histoire sous un thème différent.
Bref, on est ni en face de la catastrophe prévue par certains ni, bien sûr, en face d’élèves particulièrement bien préparés pour les études collégiales. Des études devraient le corroborer, mais il apparaît que les élèves sont tout bonnement plus ignorants qu’avant en histoire du Québec au moment d’aborder le niveau collégial. Ce fait n’est pas anodin et devrait être mieux compris par ceux et celles qui s’évertuent à défendre le programme d’histoire actuel, taxant de tous les noms ceux qui, de bonne foi, proposent des correctifs à ce déplorable bilan.