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Les Patriotes de 1837@1838 - Étienne Parent et le projet d'Union de 1840
 ANALYSE 
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Étienne Parent et le projet d'Union de 1840
Article diffusé depuis le 2 janvier 2012
 




Après les rébellions de 1837 et 1838, qui avaient laissé la vallée du Saint-Laurent dans un profond état de désolation, les Canadiens ne savaient plus trop quelle attitude ils devaient avoir à l’égard de la Métropole. Après tout, elle avait bel et bien permis que leurs droits les plus fondamentaux soient brimés alors que l’on avait proclamé l’annulation de l’Acte constitutionnel. En effet, les mesures arbitraires mises sur pied par Colborne et son conseil spécial avaient inspiré tantôt la colère et la haine, tantôt la tristesse et le désespoir. Il n’est donc pas surprenant que l’arrivée de lord Durham, qui pose pied dans la colonie en avril 1838, suscita beaucoup d’enthousiasme au sein de la colonie. « Parent et Le Canadien déclarèrent même que, si les Canadiens-français avaient eu la liberté de choisir leur propre gouvernement, ils n’auraient pas trouvé de meilleurs amis que Durham et son entourage ». (Monet, 1981 : 29)

Cependant, cet enthousiasme fut rapidement transformé en méfiance. Des treize nominations qu’il avait annoncées, deux seulement allèrent à des Canadiens français, sans parler du fait qu’il nomma le directeur du Montreal Herald, Adam Thom, que Le Populaire décrivit comme étant « un ennemi irréconciliable des Canadiens-français, un fanatique haineux, méprisé même par la lâcheté et le sang-froid de sa violence politique » (Le Populaire, 24 novembre 1838 : 2), à un poste important de la Commission municipale. Or, comme nous le savons aujourd’hui, cette hostilité au fait français allait se retrouver de manière assez évidente dans le fameux Rapport pour remédier au conflit ethnique que Durham avait pu observer dans le Bas-Canada. D’abord, l’Angleterre devait procéder à l’union du Haut-Canada anglophone et du Bas-Canada francophone en une seule province où la population anglaise serait nettement majoritaire et où la langue anglaise serait la seule langue officielle de manière à assimiler le plus rapidement possible les francophones. Ensuite seulement, on devait octroyer la responsabilité ministérielle au nouveau parlement de la province unie.

Lorsque le Rapport Durham parvint dans le Bas-Canada en mars, il suscita de nombreuses réactions qui sont facilement perceptibles dans les divers journaux de l’époque. Or, Étienne Parent fut l’un de ceux qui se prononça le plus rapidement sur les recommandations de Durham. Néanmoins, contrairement à ce que l’on aurait attendu de la part de ce patriote, patriote qui fut certes modéré, mais patriote qui appuya tout de même généralement Papineau dans ses démarches, il ne s’opposa pas à la visée clairement assimilationniste du projet de Lord Durham. Bien au contraire, il sembla s’y résigner, voire même l’encourager, du moins jusqu’à ce qu’il prenne conscience des intentions du Haut-Canada lors des débats qui furent tenus sur la question dans cette province en janvier 1840. Ainsi, il sera proposé ici d’étudier la réaction de Parent qui fut fort bien véhiculée dans Le Canadien et l’opposition qu’il rencontra chez un adversaire qui n’avait pourtant pas aussi bonne figure chez les patriotes, John Neilson, qui s’opposa farouchement au projet d’Union proposé dans le Rapport Durham.

Parent et l’Union

Dès la parution du Rapport Durham dans le Bas-Canada, Parent en fit une traduction qu’il rendit disponible par parties dans Le Canadien durant les mois de mars et d’avril. Or, plutôt que de s’y opposer comme on aurait pu s’y attendre, il affirma dans l’édition du 13 mai 1839 :

Nous avons toujours considéré que notre nationalité ne pouvait se maintenir qu’avec la tolérance sincère, si non l’assistance active de la Grande-Bretagne ; mais voici qu’on nous annonce que bien loin de nous aider à conserver notre nationalité, on va ouvertement travailler à l’extirper de ce pays. Situés comme le sont les Canadiens-français, il ne leur reste d’autre alternative que celle de se résigner avec la meilleure grâce possible. Résister à ce décret de la politique britannique serait semer des germes funestes de discorde et de division entre eux et les populations anglo-saxonnes ou celtiques de ce continent […] Nôtre affaire à nous Canadiens-français, c’est de montrer comme une des parties du mariage politique qu’on nous impose, que nous sommes bien disposés à apporter dans l’Union proposée toute la bonne disposition nécessaire pour rendre l’alliance aussi profitable, aussi heureuse que possible, nous attendant à réciprocité de la part de la partie conjointe. (Le Canadien, 13 mai 1839 : 2)

Ainsi, Parent semblait bien disposé à accepter le sort que réservait l’Angleterre au peuple canadien-français. Soubresaut de défaitisme affirme Lacoursière, pragmatisme affirme Monet. Ce qui demeure évident, c’est que Parent continua à afficher cette attitude tout au long de l’été 1839, attitude qui était d’ailleurs complètement en désaccord avec la devise de son journal qui était, rappelons-le « Nos institutions, notre langue et nos lois ».

Dans Le Canadien du 2 août, où Parent fit la présentation textuelle du Bill de l’Union, il disait :

Dans d’autres temps, […] nous n’aurions pas hésité à nous prononcer hautement contre tout projet d’Union quelconque, et à inviter nos compatriotes à faire de même, mais après tout ce qui s’est passé, nous hésiterons, nous attendrons, et nous prierons nos compatriotes d’en faire de même. […] Pour nous mettre en garde contre une décision dont nous pourrions nous repentir, nous Canadiens-français, nous ne devons pas perdre de vue, dans la considération de cette grande question, que quoiqu’il arrive, la perte de notre nationalité est assurée; que nous soyons unis au Haut-Canada, ou que nous ne le soyons pas, il a été décidé en Angleterre que le Bas-Canada ne pouvait rester Français. (Le Canadien, 2 août 1839 : 2)

Bref, selon Parent, le sort de la nation canadienne-française avait toujours été entre les mains de la Grande-Bretagne et sa survie dépendait entièrement des décisions qui étaient prises dans la métropole. Or, elle avait décidé de mettre un terme à son existence, et les Canadiens-français devaient s’y faire à l’idée affirmait Parent.

Néanmoins, plutôt que de laisser les mesures assimilationnistes proposées par Durham suivre leur cours naturel, Parent alla jusqu’à encourager une assimilation volontaire de la part des Canadiens-français, et ce, pour leur propre bonheur :

Que leur restent-ils donc à faire dans leur propre intérêt et dans celui de leurs enfants, si ce n’est de travailler eux-mêmes de toutes leurs forces à amener une assimilation qui brise la barrière qui les sépare des populations qui les environnent de toutes parts, populations déjà plus nombreuses qu’eux et qui s’accroissent d’une immigration annuelle considérable. Avec la connaissance des dispositions de l’Angleterre, ce serait pour les Canadiens-français le comble de l’aveuglement et de la folie, que de s’obstiner à demeurer un peuple à part sur cette partie du continent. (Le Canadien, 23 octobre 1839 : 2)

Cependant, bien que Le Canadien fût un journal influent à l’époque, il reçut une vive réplique de la part de John Neilson qui fit également paraître son opinion dans une série d’articles qui parurent dans le journal La Gazette.

L’opposition de John Neilson

En effet, Neilson était fermement contre le projet d’union. Étant membre du Conseil spécial, devant lequel on avait présenté les treize résolutions concernant le Bill de l’Union, Neilson avait voté contre chacune d’entre elles. (Lacoursière, 1996 : 430) Il affirma dans Quebec Gazette du 13 août que si l’Union avait comme objectif de punir les Canadiens suite aux rébellions, elle était profondément injuste dans la mesure où elle dépeignait alors la vaste majorité des habitants comme des rebelles, alors qu’au contraire la plupart des Canadiens-français étaient demeurés loyaux envers la Couronne britannique durant l’insurrection. (Qubec Gazette, 13 août 1839 : 2) Dans l’édition du 28 novembre, il ajouta que « ce n’était pas dans les tensions raciales qu’il fallait chercher la cause des troubles, mais plutôt dans les agitations des hommes ambitieux, factieux, et mécontents ». (Monet, 1981 : 41) En fait, Neilson souhaitait que l’Acte constitutionnel de 1791 soit conservé afin que le système légal protégeant les droits, la langue et les coutumes des Canadiens-français, soit maintenu. Il était d’ailleurs tout à fait contre le sacrifice que nécessitait l’octroi de la responsabilité ministérielle qu’il considérait de toute façon être une illusion américaine, voire un terme raffiné désignant en réalité « pourriture et corruption ». ( Monet, 1981 : 43) Bref, Neilson considérait que le projet d’Union n’avait nul autre objectif que de forcer les Canadiens français à l’assimilation et donc à sacrifier les victoires de leurs ancêtres au profit du Haut-Canada qui allait pouvoir déverser le poids de sa dette sur le Bas-Canada. Ce projet était donc un projet vicié à ses yeux.

Or, Parent ne resta pas silencieux à cette attaque que menait Neilson contre le gouvernement responsable. Dans Le Canadien du 6 décembre 1839, il affirma :

Si le parti officiel est la cause de tous nos maux politiques, c’est à ce parti qu’il faut s’attaquer, il faut détruire son influence pernicieuse, le réduire à son état normal, à être serviteur et non pas dominateur de l’État. […] Nous ne concevons pas réellement l’inconséquence de ceux qui attribuent tous nos malheurs au parti officiel et qui repoussent le principe de la responsabilité officielle. Messieurs le mal n’est pas dans les personnes, il est dans l’absence de contrôle populaire. (Le Canadien, 6 décembre 1839 : 2)

En fait, pour Parent et bien évidemment pour LaFontaine, qui avait compris mieux que quiconque que la solution au problème canadien se trouvait au cœur même de la reconnaissance politique, la responsabilité ministérielle allait devenir la priorité de leur combat une fois l’Union réalisée. Néanmoins, cela ne les empêcha pas de s’opposer à certaines clauses, une fois les intentions du Haut-Canada révélées. D’ailleurs, dans Le Canadien du 3 janvier 1840, Parent, qui avait pourtant défendu avec ferveur le projet d’Union, quitte à sacrifier l’héritage français du Bas-Canada, se disait profondément déçu par les positions adoptées par ses compatriotes du Haut-Canada qui avaient pourtant déjà tout à gagner de l’Union, mais qui réclamaient maintenant davantage de bénéfices, notamment la fusion des dettes. (Le Canadien, 3 janvier 1840 : 2) Il n’en demeure pas moins que Parent, une fois allié à LaFontaine, continua de lutter pour l’obtention de la responsabilité ministérielle, qui, si elle était obtenue rapidement après l’Union grâce à une alliance avec les réformistes du Haut-Canada, pourrait nous sauvegarder du suicide identitaire annoncé par leurs opposants, dont faisait partie Neilson et plusieurs autres tel que le clergé. Néanmoins, ce changement d’attitude de la part de patriotes, tels que Parent et LaFontaine, suscita de nombreux questionnements auxquels certains historiens, notamment Jacques Monet et Fernand Ouellet, ont tenté de répondre. Voici donc leurs interprétations.

Pour Monet, l’attitude qu’avaient adoptée Parent et ensuite bien évidemment LaFontaine, provenait de leur esprit profondément pragmatique. Tous deux s’étaient mis à étudier le projet d’Union et avaient compris que la clé de l’avenir des Canadiens-français reposait dans la lutte politique que constituait l’obtention de la responsabilité ministérielle. Ainsi, bien que Parent ait pu afficher une certaine résignation, tout particulièrement durant l’été 1839, en se ralliant à LaFontaine, il comprit rapidement que l’identité de la nation canadienne-française pourrait être épargnée s’ils réussissaient à obtenir le gouvernement responsable avant qu’il y ait eu assimilation.

Quant à Ouellet, il considère que l’attitude de Parent et de surcroît celle de LaFontaine, n’avait pas vraiment changé en réalité depuis les rébellions puisque ces derniers avaient déjà affiché une nette opposition aux options prises par Papineau et les patriotes durant l’insurrection. (Ouellet, 1971 : 443) De plus, il considère que, devant le profond désespoir dans lequel était plongée la masse rurale, les nouveaux chefs politiques ne pouvaient plus s’opposer aux améliorations économiques et juridiques proposées dans le Rapport Durham et n’avaient d’autres choix que de s’adapter au nouveau contexte qui s’était installé dans la colonie. Ainsi, il affirme que « l’heure de Papineau et de l’intransigeance était révolue ». (Ouellet, 1971 : 444)

Pour conclure, il est donc possible de constater que le projet de l’Union provoqua de nombreuses réactions divergentes dans le Bas-Canada. Or, contrairement à ce dont on aurait pu s’attendre, c’est Étienne Parent, puis bien évidemment Louis-Hippolyte LaFontaine, deux anciens patriotes, qui se firent les portes-étendards des réformes politiques que pouvait amener la nouvelle constitution, qui fut par ailleurs adoptée officiellement le 23 juillet 1840 à Londres. (Lacoursière, 1996 : 433) Tandis que de son côté, John Neilson, qui n’avait pourtant plus tellement bonne presse parmi les patriotes, se fit le défenseur de la nation canadienne-française en foudroyant le projet d’Union de reproches, tout particulièrement en ce qui avait trait à sa visée assimilationniste. Cependant, comme nous le savons aujourd’hui, le pari de LaFontaine qui consista à abandonner le rêve d’un pays français au profit de cette alliance avec les réformistes du Haut-Canada pour l’obtention du gouvernement responsable, qui seul permettrait de préserver la langue et la culture françaises au sein de la province unie, s’avéra fructueux. En 1849, la responsabilité ministérielle fut obtenue et LaFontaine fut le premier député de la Chambre à prononcer un discours en français.

Jessica Riggi

BIBLIOGRAPHIE

LACOURSIÈRE, Jacques, Histoire populaire du Québec de 1791 à 1841, Québec, Septentrion, 1996, 447 p.

MONET, Jacques, La première révolution tranquille : le nationalisme canadien-français (1837-1850), trad. de l’anglais par Richard Bastien, Montréal, Fides, 1981, 504 p.

OUELLET, Fernand, Histoire économique et sociale du Québec de 1760 à 1850, tome 2, Montréal, Fides, 1971, 639 p.

Le Canadien, 13 mai 1839, p. 1-2. ; Le Canadien, 2 août 1839, p. 1-4.; Le Canadien, 23 octobre 1839, p. 1-2.; Le Canadien, 6 décembre 1839, p. 1-2.; Le Canadien, 3 janvier 1840, p. 1-2.; La Gazette, 13 août 1839, p. 2.; Le Populaire, 24 novembre 1838, p. 2.;

 




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