Allan Greer est professeur d’histoire à l’Université de Toronto. Il se spécialise sur l’histoire coloniale du Canada ainsi que sur celle du monde atlantique (Allan Greer, Université de Toronto). Il porte d’ailleurs un intérêt certain pour la société rurale canadienne-française (GREER, 1997 : 9). Il donne également à l’Université McGill portant sur les autochtones (Allan Greer, Université McGill). Le document choisi est la monographie Habitants et Patriotes. Ce livre est une compilation de plusieurs articles de périodique sur les sujets des Rébellions de 1837-1838 (GREER, 1997 : 13). Ce qui l’a amené à ce livre est son intention de comprendre le monde rural du Bas-Canada et la rébellion qui en est issue (GREER, 1997 : 9). Dans cet ouvrage, Greer propose une relecture de 1837-1838, et plus particulièrement de ce qui a mené aux rébellions, afin de mettre comme acteurs principaux les paysans canadiens, « en examinant la vie communautaire rurale de la période qui précède la Rébellion » (GREER, 1997 : 9). Ce choix jette un éclairage intéressant sur ce moment si important dans l’histoire du Québec parce que l’emphase est mise sur le peuple plutôt que sur les politiciens, aussi importants puissent-ils être dans la compréhension de l'histoire. Non pas que cela ne soit pas pertinent, au contraire, l’histoire politique est primordiale, il n’en demeure pas moins que peu de choses ont été écrites sur le peuple et sur son apport à l’histoire des patriotes. Le principal intérêt du livre est donc dans l’idée que les habitants n’ont pas été passifs dans l’alliance patriote entre la bourgeoisie et la paysannerie canadienne.
La structure du livre est utile à celui qui cherche quelques éléments particuliers sur l’histoire des rébellions. Cela n’empêche pas tout de même au livre de former généralement un tout structuré et cohérent. Le livre se veut à moitié thématique et à moitié chronologique. Le résultat final est positif et rend le livre plus agréable à lire. Toutefois, la présence des références de fin plutôt qu’en note de bas de page rend la lecture un peu laborieuse, d’autant plus que Greer ajoute à l’occasion certaines informations pertinentes au texte qui pourraient donc ne pas être considérées par le lecteur qui ne se donne pas la peine d’aller à la fin du livre.
D’un point de vue historiographique, Greer se range assez facilement dans la catégorie des historiens du social, et plus spécifiquement dans le courant de la folk history. Il remet en question plusieurs idées déjà émises sur les patriotes, entre autres, celles de Fernand Ouellet. Par exemple : « On a affirmé le plus sérieusement du monde qu’ils aspiraient à une économie agraire statique, préférablement modelée sur le féodalisme de l’Ancien Régime. Ce n’est certainement pas le message qui ressort des déclarations dans la presse patriote sur des principes économiques généraux » (GREER, 1997 : 122). L’impression générale du livre est que la bourgeoisie patriote, sauf quelques éléments extrémistes, n’a pas la même vision que la paysannerie avec laquelle elle s’est alliée. La question agraire montre bien la divergence de vues entre les deux classes sociales. L’historien montre aussi bien que les paysans et les bourgeois ont certaines références culturelles communes, ce qui permet d’une part l’alliance de classes où les habitants ont un rôle actif, et d’autre part, et contrairement à Ouellet, que le combat patriote n’est pas réactionnaire. Greer adopte aussi une position euro atlantique, ce qui semble aussi pertinent dans la mesure où les patriotes n’agissent pas en vase clos. En ce sens, cela permet au lecteur de situer les rébellions de 1837-1838 par rapport à d’autres moments d’agitation. Pour l’auteur, « ce sont les conditions économiques prévalant en 1837, de même que les dynamiques sociales et les principes politiques invoqués qui suscitent des comparaisons avec d’autres révolutions » (GREER, 1997 : 17).
Allan Greer divise son livre en deux. La première partie brosse un portrait socioculturel des paysans canadiens. Si cette première partie peut paraître moins intéressante parce qu’elle concerne moins directement les rébellions, elle demeure essentielle pour comprendre comment les censitaires pensent et agissent. De plus, cette partie du livre permet de comprendre pourquoi les habitants ne jouent pas un rôle secondaire dans les rébellions. Pour Greer, les habitants n’ont pas nécessairement besoin des députés patriotes pour contester l’ordre établi parce qu’ils ont d’abord des réseaux de solidarité et ensuite des moyens traditionnels de contestation. Selon lui, « les communautés rurales du Canada français sont cimentées par quelques institutions rudimentaires » (GREER, 1997 : 61). C’est pourquoi les cultivateurs canadiens ne sont pas contrôlés par l’élite patriote. Cela permet donc de mieux comprendre pourquoi il y a un mouvement patriote « national » représenté par la bourgeoisie patriote et des mouvements patriotes locaux dans chaque paroisse ou chaque comté.
Pour Allan Greer, « si la politique et les événements revêtent en eux-mêmes une grande importance […], cela ne signifie pas pour autant que l’histoire de la Rébellion puisse être réduite à celle des politiciens » (GREER, 1997 : 19). La trame politique est bien utilisée par l’historien pour servir ses idées. Toutefois, et c’est peut-être par manque de sources, il semble manquer le lien qui unit la politique au social. En fait, si le lecteur est bien informé de ce qui unit les paysans et les bourgeois patriotes sur le plan des idées, l’auteur ne montre pas ce que pense le peuple de leur Chambre d’Assemblée et des idées défendues par leurs députés. Ainsi, Greer semble passer un peu vite sur l’aspect politique des rébellions, même ceux qui sont liés aux habitants. Il traite aussi de l’aspect ethnique. À cet égard, l’auteur nuance bien son propos. Il montre bien que les rébellions ne sont pas vraiment causées par des facteurs ethniques, mais que le climat de 1837 cause bel et bien de fortes tensions ethniques, puis politiques :
Le processus révolutionnaire — c’est-à-dire l’intensification de la vie politique, l’engagement direct de gens et de classes jusque-là passifs, et le déplacement du combat politique hors de l’arène habituelle — afflige inévitablement une minorité qui croyait avoir trouvé sa place dans l’ordre préexistant (GREER, 1997 : 154).
Quant au nationalisme, son explication est que celui-ci devient plus revendicateur en avançant dans le XIXe siècle, mais qu’il demeure toujours inclusif. Encore une fois, le mouvement patriote n’est pas rétrograde ou conservateur pour Greer.
L’idée la plus intéressante d’Allan Greer est que le peuple canadien réussit à intégrer des idéaux très modernes, et bourgeois, comme la liberté et la démocratie, aux institutions civiles et culturelles traditionnelles :
« Si les principales caractéristiques de ce plan [des tribunaux populaires, NDLR] reflètent la philosophie politique que les patriotes bourgeois partagent avec les radicaux partout dans le monde occidental, bon nombre de ses détails tirent leurs origines des institutions et des coutumes du Canada français rural. » (GREER, 1997 : 202).
De ce fait, il montre également que la paysannerie canadienne est bel et bien révolutionnaire. De cette façon, l’auteur déconstruit bien l’idée voulant que les patriotes soient figés dans le passé et que les paysans qui les appuient soient manipulés par la bourgeoisie. Une autre force d’Habitants et patriotes est de montrer le climat de peur qui existe dans le district de Montréal. D’autant plus que Greer montre bien les deux côtés de la médaille, à savoir qu’à une certaine forme de terrorisme organisé par les paysans patriotes avant les rébellions et que les autorités ont répondu par une répression générale et violente.
La mise en contexte socio-économique est très appropriée. L’auteur montre bien l’état de crise économique dans les années 1830, mais la nuance en affirmant que la population ne vit pas dans l’extrême pauvreté. Il montre bien aussi les problèmes locaux des paysans, essentiellement causés par des abus relatifs à la tenure seigneuriale. Il lie la contestation paysanne au fardeau trop lourd du censitaire, qui est de surcroît le fait de plusieurs seigneurs anglophones. Le facteur seigneurial semble déterminant pour Allan Greer :
Il ne fait pas de doute que la haine est particulièrement vive dans la région du Haut-Richelieu-L’Acadie, là où […] le cens est considérablement élevé. C’est aussi le secteur — et cela ne saurait être attribué au hasard — où les charivaris sont les plus nombreux en 1837 et où les rebelles établissent leurs quartiers généraux pendant l’insurrection de novembre 1838 (GREER, 1997 : 242).
La question agraire montre bien les limites de l’alliance de classe entre habitants et patriotes. En effet, l’historien montre toute la complexité de la question et les divergences d’opinions. Dans un premier temps, le point de vue paysan lui-même change au cours des décennies. Dans un deuxième temps, le conservatisme social de Papineau fait en sorte que le parti patriote est bien loin des censitaires quant à leur préoccupation majeure. La question agraire rend donc tout à fait pertinentes la division en deux classes du mouvement patriote et la division de la bourgeoisie patriote elle-même. L’explication de Greer quant à la « fuite de Papineau » va dans ce sens. Pour l’historien, Papineau fuit parce qu’il ne contrôle plus son mouvement. S’il a perdu le contrôle, sa position décentrée sur la question agraire est un facteur déterminant. En considérant le problème de la tenure seigneuriale comme central dans la participation des paysans au côté des patriotes, la compréhension du phénomène ville contre campagne s’explique mieux.
L’auteur consacre un chapitre à la question des femmes. L’intérêt de cette section réside dans l’idée que les patriotes, tout en étant moderne, voir à l’avant-garde dans certains cas, sont des hommes bien de leur temps en ce qui concerne les femmes. Il est d’ailleurs intéressant de lier le républicanisme à une politique qui vise à exclure les femmes de la vie publique. Bien que pertinent, ce chapitre s’intègre moins bien à la trame du livre. Néanmoins il explique comment les patriotes pensaient leur monde.
L’historien réserve deux chapitres aux combats militaires de 1837-1838 et à la répression qui s’en est suivi. Si la partie portant sur les combats est un peu rapide, la partie sur la répression jette un éclairage intéressant. Si le désarroi politique est énorme, le désarroi du peuple l’est tout autant. Greer illustre bien le repli des habitants, majoritairement pro-patriotes dans le district de Montréal, pour ensuite déboucher sur une violence inconnue jusque-là. L’auteur démontre bien que si les conséquences des rébellions sont déterminantes sur le plan politique, elles sont essentiellement négatives sur le plan social. Cependant, « cette crise douloureuse a fait perdre aux habitants leurs illusions sur le pouvoir et le privilège » (GREER, 1997 : 318).
En conclusion, Habitants et patriotes semble un incontournable pour quiconque souhaite en savoir plus sur les Rébellions de 1837-1838. La relecture d’Allan Greer permet de comprendre différemment cet événement en mettant l’emphase sur le peuple et c’est là le plus grand mérite du travail de l’historien. C’est d’ailleurs en ayant en tête cette idée de relecture qu’il faut lire le livre pour en tirer le maximum de connaissances. Ses idées sont très intéressantes et permettent, en quelque sorte, de faire lien entre une histoire sociale (les charivaris, le mai, le républicanisme populaire) et une histoire nationale (les luttes armées, la vie politique locale, le climat d’agitation).
Sébastien Lecompte-Ducharme
BIBLIOGRAPHIE
« Allan Greer », Université de Toronto, s.d. (15 décembre 2011).
« Allan Greer », Université McGill, 25 octobre 2011. (15 décembre 2011).
BERNARD, Jean-Paul, « Compte rendu. GREER, Allan, The Patriots and the People: the Rebellion of 1837 in Rural Lower Canada (Toronto, University of Toronto Press, 1993), xiv-386p. 30 $ », Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 49, no 3, 1996, p.430-433.
CARDINAL, Linda, « Compte rendu. Habitants et Patriotes. La Rébellion de 1837 dans les campagnes du Bas-Canada d'Allan Greer, Montréal, Boréal, 1997, 368 p. », Politique et société, vol. 18, no 1, 1999, p.184-186.
GREER, Allan, Habitants et Patriotes. La Rébellion de 1837 dans les campagnes du Bas-Canada, trad. de l’anglais par Christiane Teasdale, Montréal, Boréal, 1997, 370p.