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Née à Québec le 19 janvier 1795, Julie Bruneau est l'une des sept enfants de Pierre Bruneau et de Marie-Anne Robitaille. Marchand général de profession, Pierre Bruneau siège à la Chambre d'Assemblée du Bas-Canada entre 1810 et 1816 (DBC, V, 1983: 128). Après des études chez les Ursulines, Julie Bruneau épouse, le 29 avril 1818, Louis-Joseph Papineau, député de Montréal-Ouest, orateur (président) dans la même Chambre et seigneur de la Petite-Nation. Il a acheté la seigneurie l'année précédente de son père, Joseph, arpenteur et notaire, marié à Rosalie Cherrier. L'évêque de Québec, Mgr Joseph-Octave Plessis préside à la bénédiction du mariage de Julie et de Louis-Joseph. Détail amusant: une tempête hivernale empêche la famille Papineau d'assister à la noce. Le couple s'installe à Montréal, sur rue Bonsecours.
Entre 1819 et 1834, le couple Papineau donne naissance à neuf enfants: quatre d'entre eux, René-Didier, Arthur, Ernest et Aurélie, décèdent en bas âge; les cinq autres, Amédée, Lactance, Ézilda, Gustave et Azélie, atteignent l'âge adulte (PAPINEAU, 2000: 10). En raison de son activité politique et de son poste d'orateur et de chef du Parti canadien puis du Parti patriote, Papineau est obligé de séjourner à l'extérieur de Montréal pendant plusieurs mois, voire jusqu'à plus d'un an à l'occasion d'un séjour en Angletrerre. Il n'est pas toujours présent lors des accouchements de sa femme; celle-ci doit s'occuper de l'éducation des enfants et de l'intendance. Elle peut compter sur l'aide de domestiques dévouées et sur la collaboration d'un réseau de parenté impressionnant, tant du côté des Bruneau que des Papineau: sa mère et son frère, René-Olivier Bruneau, longtemps curé de Verchères, ainsi que Rosalie Papineau, la soeur de Louis-Joseph, mariée à Jean Dessaulles, font partie des personnes-ressources immédiates auxquelles elle recourt volontiers.
Souvent malade, soumise à une médication à base de purgations et d'émétiques, elle connaît des moments de découragement, de frustration et d'ennui, que l'éloignement et les absences prolongées de son mari avivent. La correspondance régulière que le couple entretient pendant plus de quarante ans contribue à les adoucir. Les lettres de Julie qui nous sont parvenues vont de 1823 à 1862 et celles de Papineau de 1820 à 1862.
Riche et varié, le contenu de cette correspondance est également très instructif. En plus de fournir des bulletins de santé périodiques sur tous les membres de la famille, proche ou éloignée et de nous renseigner sur les progrès scolaires des enfants Papineau, les lettres de Julie et de son mari nous apportent une foule de détails intéressants sur les problèmes d'organisation matérielle et financière d'une grande famille bourgeoise du début du XIXe siècle, de même qu'une série d'informations privilégiées sur la vie politique de l'époque, dominée pendant près d'un demi-siècle par l'une des figures les plus fortes de l'histoire du Québec et du Canada.
Dans cette relation à deux voix, Julie Papineau n'est pas qu'un faire-valoir, qu'une oreille. La politique la passionne, comme elle passionne son mari, même s'il se plaint et s'il rêve d'une retraite dorée à la campagne au milieu de ses fleurs et de ses livres. Plus pragmatique, Julie regrette que les "gazettes" ne donnent pas plus de nouvelles sur les débats et reconnaît que la politique seule l'amuse et l'intéresse "quand je peux en avoir des nouvelles" (PAPINEAU, 1997: 78).
Elle s'anime dès qu'il en est question. Complaisance ou conviction, elle partage les colères et les inimitiés de son époux, commente les événements, critique les attitudes et les partis-pris des autorités en place, défend naturellement l'altruisme de son mari, vilipende l'avidité de ses adversaires ou de ses faux amis. Elle va même jusqu'à blâmer le clergé (PAPINEAU, 1997: 95), elle qui a reçu une éducation janséniste et qu'agace l'anticléricalisme de son mari. Et, à quelques reprises, elle fait preuve d'un flair politique indéniable, comme dans cette lettre datée du 17 février 1836, où elle écrit que la violence est peut-être l'ultime recours auxquels les patriotes devront se résoudre (PAPINEAU, 1997: 117). Rien d'étonnant dans ces conditions qu'elle ait participé à la création d'un comité de femmes patriotes.
Une fois les rébellions enclenchées, Julie Papineau se réfugie chez Rosalie Dessaulles puis rejoint son mari à Saratoga aux États-Unis. Elle incite fortement celui-ci à aller en France afin de trouver des appuis auprès du gouvernement et du public français à la cause des patriotes. Papineau part pour la France en février 1839. Elle le rejoint en août, accompagnée de tous leurs enfants, à l'exception d'Amédée. À Paris, les Papineau connaissent des difficultés financières et sont déçus par la réponse ou plutôt de l'absence de réponse de la classe politique et du public français.
Julie revient au pays avec trois de ses enfants en juillet de 1843 et son mari deux ans plus tard. Elle fait pression sur lui pour qu'il effectue un retour à la vie politique. Ce retour est décevant. Même s'il est élu dans les comtés de Saint-Maurice (1847) et de Deux-Montagnes (1852), l'ancien chef du Parti patriote n'occupera plus sur l'échiquier politique du Canada-Uni, la place qui avait été la sienne entre 1800 et 1837 au Bas-Canada.
Les dernières années de Julie Papineau seront endeuillées par la mort de son fils Gustave à 22 ans, par la maladie mentale de Lactance qu'on devra interner et par la maladie nerveuse d'Azélie. Elle n'acceptera pas non plus de vivre en permanence à la Petite-Nation, ce qui nous vaudra une dernière série d'échanges épistolaires entre elle et son " cher ami", où la famille occupe désormais la première place.
Julie Bruneau Papineau décède à Montebello le 18 août 1862. Elle est âgée de 67 ans. Son corps est inhumé dans le caveau de la chapelle familiale construite près du manoir. Son époux y repose également depuis 1871.
Martial DASSYLVA
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