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Sise dans le fleuve Saint-Laurent à environ 1100 verges de l'île de Montréal, l'île Sainte-Hélène court du sud au nord le long de ses 1200 verges par 600 verges de large et sur une superficie de 125 acres. Son point culminant se situe à environ 46 mètres au-dessus du niveau du fleuve. L'île apparaît dans l'historiographie canadienne en 1611 alors que l'explorateur Champlain la baptise en l'honneur de sa jeune épouse Hélène Boulé. En 1635, elle est cédée avec l'île de Montréal au futur gouverneur de la Nouvelle-France, Jean de Lauzon. L'île Sainte-Hélène et les îlots qui l'entourent sont ensuite concédés à Charles Le Moyne en 1665 et rattachés à son fief de Longueuil. En 1700, la seigneurie de Longueuil est élevée au rang de baronnie au profit de son fils Charles Le Moyne de Longueuil. C'est au moment de la capitulation de Montréal en 1760 que l'île Sainte-Hélène est le théâtre du premier haut fait de son histoire lorsque, selon la légende, le Chevalier de Lévis ordonne aux troupes françaises d'y brûler leurs drapeaux plutôt que de les rendre aux Anglais vainqueurs. Devenue britannique, la colonie est très tôt confrontée à la menace américaine qui culmine par la guerre de 1812. Montréal ayant échappé de justesse aux Américains, cette guerre révèle une fois de plus les lacunes défensives de la colonie britannique. Craignant de nouvelles tentatives d'invasion, le système de défense militaire est alors revu et un important réseau de fortifications est mis en place tout le long du Saint-Laurent et de la rivière Richelieu dans le Bas-Canada. C'est dans ce dessein que l'île Sainte-Hélène est acquise de la prestigieuse famille Le Moyne par le gouvernement britannique en 1818. L'île est cependant jugée inapte à protéger Montréal et on mise davantage sur la protection offerte par Québec et les défenses le long du Richelieu. Bien protégée par les rapides de Lachine qui l'entourent et qui découragent tout débarquement ennemi, l'île se révèle cependant l'endroit idéal pour aménager un important arsenal, celui de Montréal étant de toute façon jugé désuet et dangereux. Par ordre du Duc de Wellington, vainqueur de Napoléon, on entreprend alors entre 1820 et 1824 la construction des fortifications qui comprennent deux importantes poudrières, un arsenal et des casernes. L'île Sainte-Hélène devient alors le dépôt de munitions de l'armée anglaise pour toute l'Amérique du Nord à l'ouest de Québec. L'histoire de l'île Sainte-Hélène, de son rôle militaire et de ses fortifications a peu été étudiée par les historiens. Conscients de ce manque, la Ville de Montréal et le Musée David M. Stewart commandaient en 1994 une étude sur l'histoire des fortifications de l'île Sainte-Hélène. Aussi, bien que l'historienne Elinor Kyte Senior se soit intéressée de près aux régiments britanniques en poste à Montréal lors des rébellions et qu'elle nous éclaire sur le rôle militaire tenu par l'île Sainte-Hélène, l'étude des missions effectuées par les troupes stationnées sur l'île lors des troubles de 1837-38 reste encore à faire. Le fonds WO17 du Great Britain War Office, aux Archives publiques d'Ottawa, nous offre cependant des pistes intéressantes sur la répartition des forces britanniques alors que la tension monte au Bas-Canada. Nous apprenons ainsi qu'entre 1823 et 1837 l'île Sainte-Hélène héberge à l'année une compagnie du Royal Artillery. À l'été 1832, alors que Montréal est aux prises avec le choléra, les 15e et 24e régiments d'infanterie, normalement stationnés à la caserne de la porte de Québec à Montréal, sont temporairement déplacés sur l'île Sainte-Hélène qui est reconnue pour la salubrité de son climat (Tari, 1994 : 64). Les militaires sont alors logés dans l'arsenal et le 24e régiment demeure même sur l'île jusqu'à l'été 1834. L'historien Joseph Schull affirme, par ailleurs, que lors des événements entourant les élections troublées du 21 mai 1832, mettant aux prises les partisans du docteur Daniel Tracey et du marchand Stanley Bagg, ce sont les militaires cantonnés à l'île Sainte-Hélène qui interviennent et enlèvent la vie à trois partisans patriotes (Schull, 1997 : 23). En décembre 1837, deux compagnies du 83e régiment d'infanterie viennent rejoindre le Royal Artillery sur l'île Sainte-Hélène, témoignant ainsi de la recrudescence des troubles. L'année 1838 est encore plus révélatrice de l'augmentation des tensions alors que les forces régulières de l'armée britannique passent de 509 hommes à 2 040 hommes (Senior, 1981 : 218). L'île Sainte-Hélène se voit dès lors mise à forte contribution puisqu'elle héberge plusieurs compagnies de quatre régiments distincts. Bien que nous ne puissions l'affirmer avec certitude, il est plus que probable que c'est le Royal Artillery stationné à l'île Sainte-Hélène qui soutient les opérations militaires britanniques, entre autres à St-Denis, St-Charles et St-Eustache en 1837. En 1839 et 1840, le nombre de régiments d'infanterie stationnés à l'île Sainte-Hélène reste important avec au moins six compagnies du 15e régiment. Deuxième cantonnement militaire en importance après Montréal, le fort de l'île Sainte-Hélène ne sera jamais menacé par les rebelles Patriotes, bien qu'une déclaration de Boucher-Belleville montre que certains patriotes auraient souhaité prendre Montréal et l'île Sainte-Hélène alors que le gros de l'armée britannique s'attaquait à St-Denis et St-Charles (Senior, 1997 : 168). En 1848, l'arsenal de l'île Sainte-Hélène est transformé en prison, mais le feu la détruit l'année même. À la même époque, on reconsidère la possibilité d'étendre les fortifications suite à de nouvelles menaces du côté de la frontière américaine, mais le projet est abandonné. A partir de 1867 la défense du pays relève désormais du nouveau gouvernement canadien et les dernières troupes impériales britanniques quittent le pays en 1870. En 1905, l'île Sainte-Hélène devient un parc municipal et son rôle militaire cesse officiellement, bien qu'elle serve encore de dépôt à munition lors de la première grande guerre (1914-1918) et de camp de prisonniers de guerre et de prison militaire lors de la Deuxième Guerre mondiale (1939-1945). L'île Sainte-Hélène est aujourd'hui un parc récréotouristique fort apprécié par les Montréalais et les visiteurs du monde entier. Le fort de l'île Sainte-Hélène est, quant à lui, toujours bien vivant et loge maintenant dans son arsenal un musée d'histoire canadienne. Normand Trudel Senior, Elinor Kyte, British regulars in Montréal: an impérial garrison, 1832-1854, Montréal, McGill-Queen's University Press, 1981, 288 p.; Senior, Elinor Kyte, Les habits rouges et les Patriotes, Montréal, VLB, 1997, 313 p.; Tari, Katy, Les fortifications de l'île Sainte-Hélène, Montréal, document interne, Musée David M. Stewart, Ville de Montréal, MAC-Ville, 1994, 246 p. ; Schull, Joseph, Rébellion, le soulèvement patriote de 1837 au Bas-Canada, Montréal, Québec-Amérique, 1997, 318 p.; Archives publiques d'Ottawa, Great Britain War Office, Records of Service of British Garrison in Canada, 1760-1870, fonds WO17.
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