|
Le Monument aux Victimes politiques de 1837-1838 inaugur par l'Institut canadien de Montr閍l, le 14 novembre 1858.
|
Par Gilles Laporte
Incroyable mais vrai, le cimeti鑢e Notre-Dame-des-Neiges avait au d閜art un plan
d抏nsemble destin permettre aux proches des d閒unts de facilement rep閞er
la s閜ulture d抲n parent ou d抲n ami. Difficile imaginer tant tout un chacun
s抏st d閖 mille fois perdu dans les d閐ales du second plus grand cimeti鑢e
d扐m閞ique (apr鑣 celui d扐rlington pr鑣 de Washington), o sont enfouis depuis
1855 plus de Montr閍lais qu抜l y en a de vivants!
On le sait, l抋m閚agement d抲n nouveau cimeti鑢e avait 閠 d閏id apr鑣 la
grande 閜id閙ie de typhus de 1849 dont on subodorait que le vieux cimeti鑢e de
la rue Saint-Antoine 閠ait le foyer. On entreprend donc d抋m閚ager une vaste
n閏ropole s抩uvrant sur la c魌e des Neiges et domin閑 par un ou deux MONUMENTs
prestigieux, propres inciter les Montr閍lais se donner une s閜ulture du m阭e
acabit. En 1854, quand prend vie la corporation Notre-Dame-des-Neiges, les deux
projets soumis consistent, chacun leur mani鑢e, comm閙orer des victimes de
la r閎ellion de 1837-1838 : l抲n parrain par l扞nstitut Canadien, l抋utre par
la Soci閠 Saint-Jean-Baptiste. Flairant l抋ubaine, la corporation s抏mpresse de
leur c閐er chacun un site 間alement prestigieux pour y 閞iger deux ob閘isques,
alti鑢es sentinelles de part et d抋utre de l抋ll閑 centrale menant la crypte.
Il faut aujourd抙ui beaucoup d抜magination pour saisir ce sch閙a initial et
rep閞er les deux ob閘isques dissimul閑s derri鑢e le bouquet d抋rbres. Mais elles
sont bien l, distantes chacune de 30 m鑤res : l抲ne soulignant la lutte
nationale pour la langue et la foi, l抋utre, la lutte lib閞ale et d閙ocratique
la mani鑢e des Rouges 粎
Dans le coin droit, mesurant 10 m鑤res, le MONUMENT Duvernay Revenu d抏xil en 1845, Ludger Duvernay s抏st bien assagi et, m阭e s抜l relance
La Minerve et l扐ssociation Saint-Jean-Baptiste, c抏st terme pour les mettre
au service des Bleus de Georges-蓆ienne Cartier et de la hi閞archie catholique.
sa mort en novembre 1852, avant m阭e l抩uverture du cimeti鑢e, la Soci閠
Saint-Jean-Baptiste (SSJB) entend donc 閞iger un MONUMENT son fondateur dans
le nouveau cimeti鑢e catholique qui sera certainement ouvert en dehors des
limites de la Cit. Lors de la translation des restes, le 21 octobre 1855, le
cort鑗e est suivi par pas moins de 10 000 personnes, dont la meilleure soci閠
de Montr閍l. Wolfred Nelson, maire de Montr閍l et illustre patriote, est
lui-m阭e parmi les porteurs, tandis que George-蓆ienne Cartier pr閟ide aux
c閞閙onies. Mgr Bourget offre m阭e spontan閙ent d抩fficier pontificalement
pour t閙oigner du haut int閞阾 qu抜l porte la grande et bienfaisante Soci閠
Saint-Jean-Baptiste, en payant ce tribut d抙ommage la m閙oire de son
fondateur. On inaugure ainsi le tout premier MONUMENT de Notre-Dame-des-Neiges
la m閙oire de Ludger Duvernay et, par la m阭e, celle de ses fr鑢es d抋rmes
patriotes. La SSJB en est toujours propri閠aire. Elle a d抋illeurs vu tout
r閏emment en assumer les co鹴s de r閒ection l抩ccasion du 150e du d閏鑣 de
son fondateur.
Dans le coin gauche, mesurant 16 m鑤res, le MONUMENT aux Victimes politiques
Malgr les humiliantes dispositions de l扷nion, les ann閑s suivant les
R閎ellions marquent la naissance de nombreux journaux, cercles de lecture et
biblioth鑡ues qui surgissent alors dans le d閏or montr閍lais. Parmi eux,
l'Institut canadien est fond le 17 d閏embre 1844 par de jeunes intellectuels
d閟ireux de constituer un foyer de patriotisme et d閒endre les id閑s lib閞ales
et r閜ublicaines. D'abord apolitique, l扞nstitut prend vite une teinte rouge
travers ses journaux officieux : l扐venir (1847-1852) puis Le Pays (1852-1871).
Fatalement, l扞nstitut s抏xposait d鑣 lors aux foudres de ses opposants Bleus et
de la puissante nomenklatura catholique.
Or, dans le Pays du 8 juin 1853, l扞nstitut canadien annonce son tour son
intention d抙onorer la m閙oire de ceux qui ont sacrifi leur vie pour leur
patrie en 1837, 38 et 39 . Derri鑢e l抜nitiative : un proche de Papineau, le
libraire 蒬ouard-Raymond Fabre, Antoine-Aim Dorion, journaliste et chef des
Rouges, et Joseph Doutre, avocat, journaliste et libre-penseur. Ce MONUMENT
aura l抏ffet de rappeler aux g閚閞ations venir que, dans le Canada, en l抋nn閑
1837 et 1838, il y a eu des h閞os martyrs.
Si l抜ntention semble apolitique, cette ouverture du c魌 de la comm閙oration
permet en filigrane de disqualifier ceux qui auraient l抋udace de s抩pposer
cette cause nationale : Nous nous permettons aussi de remarquer que cela n抏st
l挏uvre d抲n parti politique plut魌 que d抲n autre, mais bien une chose toute
nationale et laquelle tout Canadien doit tenir l抙onneur et bonheur de
pourvoir y contribuer. On ne se g鑞e d抋illeurs pas pour associer le projet au
scandale que constitue le r間ime de l扷nion de 1840, en attendant la
Conf閐閞ation de 1867 : Ce MONUMENT semble avoir attendu jusqu掄 ce jour pour
s掗lever comme un spectre et protester plus fortement contre cet autre MONUMENT
fun鑒re que le ciseau de l扐ngleterre va bient魌 tailler dans le roc de notre
nationalit.
La SSJB avait tr鑣 t魌 閠 sollicit閑 pour participer au projet de l扞nstitut.
Joseph Papin, membre des deux institutions, milite d抋illeurs intens閙ent pour
qu抏lle y contribue. Finalement, en f関rier 1860, la Soci閠 conclut qu抲n tel
octroie serait contraire sa charte et qu抏lle ne donnera pas un sous. Derri鑢e
le refus, l抩bjection de l捝glise pour qui Nous voulons simplement dire que
l捝glise, en tol閞ant certaines c閞閙onies religieuses l抜ntention des gens de
37, ne peut pas r閔abiliter la r関olte. [匽 Elle rendrait hommage un acte de
r閎ellion qui en soi est criminel et a 閠 maintes fois condamn par les plus
hautes autorit閟 dans la hi閞archie.
L扞nstitut comptait au d閜art 閞iger non pas un mais trois MONUMENTs aux
Patriotes : un MONUMENT Montr閍l, la m閙oire de ceux qui ont 閠 ex閏ut閟
; un second Saint-Denis, la m閙oire de Charles-Ovide Perrault et de ceux qui
sont morts dans les engagements qui ont eu lieu sur la rive Sud du Saint-Laurent
; et un troisi鑝e Saint-Eustache, la m閙oire du Dr. Ch閚ier et de ses
malheureux compagnons d抋rmes. Devant les difficult閟 financi鑢es, il doit
toutefois se rabattre sur un seul projet, celui de Montr閍l. Apr鑣 moult tracas
financiers, le MONUMENT est inaugur inachev le 14 novembre 1858. Il faudra
dix autres ann閑s pour le compl閠er force d抏xp閐ients. Si on comptait d抋bord
le coiffer d抲n aigle vengeur, on n抷 posera finalement qu抲n modeste
pyramidion. Avec les ann閑s le foss entre l捝glise, la SSJB et l扞nstitut ne fera que se
creuser. Le conflit se perp閠ue d抋illeurs chaque translation des restes d抲n
patriote au pied du l抏ncombrant MONUMENT. Encore en 1891, le l間ataire des
restes de Jean-Olivier Ch閚ier, le docteur Marcil, se demande publiquement
comment la religion qui enfante les martyrs peut ainsi condamner les h閞os
[?]. Marcil en sera quitte pour installer sa statue de Ch閚ier rue
Saint-Denis, o personne ne la remarque plus. Quant aux restes du martyr de
Saint-Eustache, ils vont vadrouiller jusqu抏n 1987 quand ils sont finalement mis
en terre au cimeti鑢e de Saint-Eustache. En fin de compte, suite des fouilles
r閍lis閑s en novembre 1953, seules trois s閜ultures de patriotes auront 閠
d閜os閑s au pied du MONUMENT du cimeti鑢e : celle de F. X. Prieur,
Fran鏾is-Maurice Lepailleur et de Joseph-Narcisse Cardinal. Ostracis, l扞nstitut canadien ferme entre temps ses portes le 21 d閏embre 1860.
Le MONUMENT aux victimes se retrouve d鑣 lors en d閟h閞ence et c抏st la fabrique
Notre-Dame qui doit en assumer la charge. Cela pose bient魌 probl鑝e quand
l抩b閘isque montre des signes de faiblesse, en particulier au d閎ut du 21e
si鑓le alors qu抏lle menace carr閙ent de s抏ffondrer. La fabrique entreprend
alors des travaux en profondeur, d閙antelant le MONUMENT pierre par pierre
jusqu抋u soubassement pour le reconstituer l抩riginal; des travaux de
plusieurs centaines de milliers de dollars qui auraient en partie 閠 financ閟
par un myst閞ieux donateur 粎 Ces comm閙orations rivales sont significatives de la fracture qui s抏st
d閟ormais op閞 entre ceux qui, vingt ans plus t魌, se ralliaient pourtant tous
au panache blanc de Papineau. D閟ormais et pour la post閞it deux branches
rivales du nationalisme revendiqueront l抙閞itage patriote. L抲ne, plus
conservatrice et aur閛l閑 de la b閚閐iction cl閞icale, mettra de l抋vant la
lutte nationale pour la pr閟ervation de nos droits, de notre langue et de notre
culture. L抋utre, plus radicale, continuera se r閏lamer de l抙閞itage lib閞al
et r閜ublicain des patriotes, tel que le d閒endra d抋illeurs Papineau jusqu掄 sa
mort. Ces deux MONUMENTs demeurent donc, l抏ntr閑 du cimeti鑢e de Montr閍l, le
rappel ironique que l抜dentit nationale tient la fois de la conservation
et de la r関olution .
Pour en savoir plus :
Rumilly, Robert, Histoire de la Soci閠 Saint-Jean-Baptiste de Montr閍l, des
Patriotes au fleurdelys, 1834-1948. 蒬itions de l'Aurore. 1975. 564 p.
O扚laherty, Rosemary, Carving the Past in the Stone : Le MONUMENT des Patriotes,
m閙oire pr閟ent l扷niversit Concordia, Montr閍l, 2005.
Karboudj, Samira, Le MONUMENT aux victimes politiques de 1837-1838 au cimeti鑢e
Notre-Dame-des-Neiges : histoire et comm閙orations. Travail r閍lis pour
l捝comus閑 de l扐u-Del. 16 mai 2008. 46 p.
Lamonde, Yvan, Histoire sociale des id閑s au Qu閎ec (1760-1896), S.l., Fides,
2000, 572 p.
| |