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Les Patriotes de 1837@1838 - La place de la langue et de la culture dans le programme patriote
 ANALYSE 
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La place de la langue et de la culture dans le programme patriote
Article diffusé depuis le 25 mai 2004
 


Augustin-Norbert Morin (1803-1865) Au sein du mouvement patriote, l'un de ceux s'étant particulièrement intéressés aux questions de langue et de culture.

Par France Mansour, étudiante au Bacc. en histoire, UQAM

Les Rébellions portent une grande charge symbolique dans notre mémoire collective. Perçues comme événement fondateur du mouvement d’affirmation nationale québécois, les Rébellions suscitent maints questionnements qui interpellent notre sensibilité contemporaine. La question de la protection de la langue française est de ceux-là. On peut dès lors se demander quelle place revêtait cette question dans les revendications patriotes. Si les historiens nationalistes des années 1930-40, dont Gérard Filteau, en faisaient une de leurs revendications principales, cette interprétation a été relativisée depuis.

Je considérerai ici les Rébellions comme un mouvement d’affirmation nationale visant à faire valoir les intérêts des Canadiens français face aux fonctionnaires britanniques et au lobby des marchands anglais. Initié sur la scène politique par la petite bourgeoisie canadienne française, ce mouvement bénéficie d’un important support populaire et vise principalement à assurer à la majorité canadienne française un poids correspondant à son importance démographique dans la vie politique de la colonie. À travers leur lutte pour une juste représentation politique des Canadiens français, les députés patriotes, mus par l’idéal libéral d’égalité, cherchent à faire reconnaître la valeur de leur culture d’origine française, souvent considérée comme arriérée par les autorités anglaises et à protéger leurs acquis culturels, plus particulièrement, la langue française, dans l’optique d’assurer l’égalité des chances aux Canadiens français dans la vie économique et politique bas-canadienne.

Le mouvement patriote s’inscrit dans l’émergence d’une conscience nationale canadienne française construite à travers l’héritage français et britannique. Ainsi, à une première distanciation face aux origines françaises lors de la Conquête, se conjugue la prise de conscience, dans les années 1820-30, de former un groupe national dont les intérêts socio-économiques diffèrent de ceux des élites britanniques ou anglo-canadiennes accaparant les instances décisionnelles. Dans un contexte de main-mise britannique sur l’économie et les institutions gouvernementales, « le facteur national s’imposa de lui-même à la conscience collective (BELLAVANCE, 2000 : 374) ». Les Canadiens français en viennent, dès lors, à se considérer comme un peuple francophone et catholique dont maintes coutumes sont héritées de la France, mais surtout comme un peuple d’Amérique, et ne rechignent pas à reconnaître l’influence britannique et états-unienne sur leurs mœurs, entre autres politiques.

La première phase du courant national et démocratique est celle de la contestation des monarchies de droit divin et de l’élargissement des libertés individuelles par rapport à l’État. La légitimité, dans l’esprit des libéraux, passe du souverain vers la nation, à travers les institutions parlementaires et leur garantie constitutionnelle. Ces idées atteignent le Bas-Canada dès 1776, sous l’influence du républicanisme états-unien, et en 1791 avec l’instauration d’une constitution (BELLAVANCE, 2000 : 370). Se réclamant des idéaux du libéralisme politique, les patriotes cherchent à faire valoir leurs droits devant la Couronne britannique afin d’obtenir les aménagements constitutionnels susceptibles de mieux représenter leur nation. Ainsi, la 52e résolution :

Résolu, Que c’est l’opinion de ce comité, que puisqu’un fait, qui n’a pas dépendu du choix de la majorité du peuple de cette province, son origine française et son usage de la langue française, est devenu pour les autorités coloniales un prétexte d’injure, d’exclusion, d’infériorité politique et de séparations de droits et d’intérêts, cette chambre en appelle à la justice du gouvernement de Sa Majesté et de son parlement, et à l’honneur du peuple anglais; que la majorité des habitants du pays n’est nullement disposée à répudier aucun des avantages qu’elle tire de son origine et de sa descendance de la nation française, qui sous le rapport des progrès qu’elle a fait faire à la civilisation, aux sciences, aux lettres et aux arts, n’a jamais été en arrière de la nation britannique, et qui, aujourd’hui, dans la cause de la liberté et la science du gouvernement, est sa digne émule; de qui ce pays tient la plus grande partie de ses lois civiles et ecclésiastiques, la plupart de ses établissements d’enseignement et de charité, et la religion, la langue, les habitudes, les mœurs et les usages de la grande majorité de ses habitants (BÉDARD, 1869 : 348-49).

Les patriotes cherchent ici à affirmer leur appartenance à une entité nationale d’origine française et le droit de cette nation à bénéficier d’une reconnaissance égale à celle dont bénéficient les Canadiens anglais.

Dans ce contexte, on peut voir dans l’insistance que mettent les discours patriotes sur l’aspect politique de la crise bas-canadienne (contrôle des subsides, nomination des officiers, électivité du Conseil législatif, court-circuitage du gouvernement colonial par le boycott des produits anglais), l’expression de la volonté de participer à la gouvernance de la colonie afin, et là résiderait l’objectif final des patriotes, de promouvoir le projet de société qu’ils croient le plus apte à assurer l’épanouissement national, perçu comme brimé par les institutions constitutionnelles en place et sévèrement compromis par les Résolutions Russel. « Que cette violation [les Résolutions Russel] de notre constitution est attentoire à la liberté du peuple, et tend à détruire son existence politique, par le renversement prochain des lois, culte, langage, mœurs et autres institutions des habitans de cette province (BERNARD, 1987 : «Assemblée de Saint-François-du-Lac »). »

Cet épanouissement national passe notamment par le maintien des institutions sociales et culturelles propres au Bas-Canada et dont la langue française est une composante essentielle. « Or, le plus important, et le plus sacré de ces usages est indubitablement celui par lequel un peuple donne les mêmes noms aux choses et les mêmes signes aux idées (MORIN, 1825 : 11). » À cet égard, les patriotes revendiquent, entre autres, un système scolaire francophone adéquat et la prestation des services gouvernementaux en français, particulièrement dans le domaine juridique.

La question d’une éducation francophone accessible préoccupe l’Assemblée, en témoignent l’adoption à l’arraché de la loi des écoles de fabriques en 1824 et celle des écoles de l’Assemblée en 1829. « Si l’on vouloit anéantir, pour les Canadiens, tous les moyens d’acquérir des talents et les connoissances utiles que procurent l’éducation parmi eux, on ne pourroit prendre un moyen plus sur et plus efficace que d’abolir l’usage de la langue Françoise dans nos colléges et ailleurs (VIGER, 1809 : 11). » Ainsi, une éducation de qualité en français s’avère, pour les patriotes, indissociable du développement économique et social du Bas-Canada. Or cette éducation est mise en péril par les autorités en place : « [...] 13° Les injustes obstacles opposés par un exécutif, ami des abus et de l’ignorance, à la fondation de colléges dotés par des hommes vertueux et désintéressés, pour répondre aux besoins et aux désirs croissants de la population, de recevoir une éducation soignée (BÉDARD, 1869 : 359). »

Le problème de la prestation des services publics en français dans le contexte où la majorité des fonctionnaires sont unilingues anglais préoccupe également les patriotes. C’est dans le domaine judiciaire que ce problème se révèle le plus criant.

Résolu, -Que c’est l’opinion de ce comité, que par suite de leurs liaisons avec les membres des administrations provinciales et leurs antipathies contre le pays, quelques-uns des dits juges ont, en violation des lois, tenté d’abolir, dans les cours de justice, l’usage de la langue parlée par la majorité des habitants du pays, nécessaire à la libre action des lois et formant partie des usages à eux assurés, de la manière la plus solemnelle, par des actes du droit public et statuts du parlement britannique (BÉDARD, 1869 : 355-56).

Pour A. N. Morin, le français doit être maintenu comme langue du droit afin de garantir l’accessibilité de la justice, déjà limitée par l’éloignement des campagnes et le manque d’éducation des plaignants, et qui serait autrement inaccessible à la masse des ruraux francophones. Par ailleurs, les hommes de loi devant obligatoirement parler anglais, l’accès à la profession d’avocat est limité pour les Canadiens français. Encore, il estime nécessaire que le plaignant puisse s’assurer de la conformité de l’action entamée par son représentant d’où la nécessité de comprendre la langue des procédures (MORIN, 1825 : 8).

[...] quelle doit être la langue juridique d’un pays? La réponse se présente tout bonnement; c’est la langue du peuple que l’on juge. Ici toutefois d’injustes distinctions politiques tendent sans cesse à faire reconnoître en principe que les Canadiens dont neuf sur dix au moins n’entendent que le françois, sont obligés de se servir de la langue angloise dans tous leurs actes civils, lors même qu’il n’est aucune des parties intéressées qui ne l’ignore. Entre les raisons qu’on apporte au soutien de cette doctrine oppressive les principales sont les avantages de l’uniformité, la dépendance où nous sommes de l’Angleterre, la supériorité que doit avoir sur toute autre la langue de l’Empire, celle du Souverain. [...] les journaux anglois [...] s’efforcent d’insinuer qu’il devroit y avoir dans le pays une classe privilégiée de sujets qui fît la loi aux autres sous le rapport du langage comme de tout le reste (MORIN, 1825 : 4-5).

Les revendications patriotes, en ce qui a trait à la protection de la langue française, se placent dans l’optique du droit naturel des peuples à la conservation de leurs acquis culturels, de la reconnaissance de leur liberté comme sujets britanniques à conserver certains usages français et à bénéficier de services en langue française, droits garantis par la Constitution de 1791 (MORIN, 1825, 5-6). La langue française n’a toutefois pas, dans leur vision, de primauté sur la langue anglaise, tous les sujets britanniques étant égaux en droit devant la Constitution et devant le roi.

Les Canadiens anglois de naissance ne sont pas plus étrangers ici que les Canadiens françois; ils ont les mêmes droits que nous, ils sont protégés par les mêmes lois, et soumis aux mêmes usages; ils ont dû considérer avant de se fixer ici, l’ordre des choses qui y étoit établi. Nous ne leur contestons pas la légalité de leur langage; nous voulons seulement défendre celle du nôtre (MORIN, 1825 : 14).

Ainsi, la lutte patriote, tendue vers le contrôle des institutions politiques, est-elle sous-tendue par un projet de société inclusif où la nation pourrait assurer son épanouissement économique.

Que nous appelons de tous nos vœux l’union entre les habitans de cette Province de toute croyance et de toute langue, et origine, que pour la défense commune, pour l’honneur et le salut du Pays chacun doit faire le sacrifice de ses préjugés; nous donner la main pour obtenir un gouvernement sage et protecteur qui en faisant renaître l’harmonie fasse en même temps fleurir l’agriculture, le commerce et l’industrie nationale (BERNARD, 1987 : « Assemblée de Saint-Scolastique »).

Ainsi, si l’on ne perçoit guère, dans les déclarations patriotes, l’urgence de préserver une langue française mise en péril, ces documents témoignent sans conteste du désir de voir le français reconnu dans la vie publique, au même titre que l’anglais. De même, le français, en tant que caractéristique culturelle, est perçu comme devant être préservé, par l’éducation notamment, en vertu du droit naturel des peuples à la conservation. En fait, la quête patriote s’inscrit dans la foulée du libéralisme : légitimité populaire, égalité devant la loi et garantie des libertés individuelles. De ce fait, la langue n’apparaît pas comme revendication première dans le programme patriote en ce que les patriotes cherchent d’abord à assurer aux Canadiens français le contrôle de leur appareil gouvernemental, qu’ils conçoivent comme garant de leur épanouissement national, économique et culturel. Il est significatif de voir comment cette dialectique entre langue et contrôle politique s’est perpétuée en se transformant à travers l’évolution du mouvement nationaliste québécois, mais surtout comment l’objectif de survivance qui s’est imposé suite à l’échec des Rébellions s’est cristallisé autour de la langue et a modifié notre rapport à celle-ci.



Bibliographie



BÉDARD, Théophile-Pierre. Histoire de cinquante ans (1791-1841): annales parlementaires et politiques du Bas-Canada depuis la Constitution jusqu’à l’Union. Québec, 1869, des presses à vapeur de Léger Brousseau.

BELLAVANCE, Marcel. « La rébellion de 1837 et les modèles théoriques de l’émergence de la nation et du nationalisme. » Revue d’histoire de l’Amérique française, vol. 53, no 3 (hiver 2000), p.367-400.

BERNARD, Jean-Paul. Assemblées publiques, résolutions et déclarations de 1837-1838. Montréal, VLB, 1987.

FILTEAU, Gérard. Histoire des Patriotes. Sillery, Septentrion, c1937, 2003.

MORIN, A. N. Lettre à l’honorable Edward Bowen, Ecuyer, Un des Juges de la Cour du Banc du Roi de Sa Majesté pour le District de Québec. Montréal, Imprimé par James Lane; Reedition-Québec, 1825, 1968.

REID, Philippe. « L’émergence du nationalisme canadien-français ; l’idéologie du Canadien (1806-1842). » Recherches sociographiques, vol. XXI, nos 1-2 (janvier-août 1980), p. 11-53.

VIGER, D. B. Considérations sur les effets qu’ont produit en Canada, la conservation des établissemens du pays, les mœurs, l’éducation, etc. de ses habitans et les conséquences qu’entraîneroient leur décadence par rapport aux intérêts de la Grande Bretagne. Montréal, Imprimé chez James Brown, Libraire, 1809.

 

Recherche parmi 16 491 individus impliqués dans les rébellions de 1837-1838.

 



Consulté 6291 fois depuis le 25 mai 2004
 Pierre-Marc Jodoin  (24 octobre 2004)
Excellent travail! D`autant plus qu`on y souligne un détail trop souvent oublié par les nationalistes québécois à savoir que "la langue n`apparaît pas comme revendication première dans le programme patriote(...)", mais comme une des nombreuses revendications d`un programme anti-colonialiste et républicain.
 Réjean Dupuis  (31 mai 2004)
Vous ne parlez pas suffisamment des toutes premières luttes menées dès 1793 pour la langue française.

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