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Les Patriotes de 1837@1838 - La crise politique sous le gouverneur James Craig (1807-1811)
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La crise politique sous le gouverneur James Craig (1807-1811)
Article diffusé depuis le 8 janvier 2012
 




À l’arrivée du nouveau gouverneur, sir James Henry Craig, au sein de la colonie britannique en Amérique, rien ne laissait présager la terrible crise qui allait secouer l’administration du Bas-Canada. Bien au contraire, Craig n’avait démontré aucun préjugé à l’égard des Canadiens et, en janvier 1808, il traçait un bilan plutôt positif des premiers mois de son administration : « la disposition des esprits paraît excellente dans toutes les parties de la province ainsi il sera possible de compter sur le concours cordial des représentants pour toutes les mesures tendant au bien général ». (Lacoursière, 1996 : 98) Or, certains sujets, notamment le cas du député juif Ezekiel Hart et la question de l’inéligibilité des juges, allaient, dès le déclenchement des élections le 27 avril 1808, devenir la cause de réelles tensions entre les membres du parti canadien et les membres du Conseil exécutif auxquels le gouverneur s’était rallié. En effet, le conflit devint si vif entre les deux parties que ce dernier prorogea la chambre trois fois durant ses cinq années de règne.

Cependant, bien que les principaux protagonistes constituent les membres du parti canadien, représenté tout particulièrement par leur chef Pierre-Stanislas Bédard, et le gouverneur, fidèlement appuyé par son fidèle secrétaire Ryland, il n’en demeure pas moins que les journaux jouèrent un rôle prépondérant dans ce conflit. Le Canadien, qui représentait les idéaux du parti portant le même nom, n’hésita pas à se prononcer à plusieurs reprises sur les enjeux dont débattait l’administration, tout comme le fit également le Quebec Mercury, principal représentant des idéaux de la bourgeoisie anglaise. Ainsi, notre principal objectif ici sera de démontrer à quel point Le Canadien fut un journal combattif durant le règne de Craig dans la mesure où il ne craignit nullement de s’ingérer dans les débats se déroulant au sein même de l’arène politique. Néanmoins, une brève mise en contexte s’impose à priori.

La crise sous Craig : tensions économiques, sociales et ethniques

D’abord, l’une des principales causes qui est relevée par l’historien Fernand Ouellet en ce qui a trait à la crise sous le gouvernement Craig constitue les problèmes économiques que connaissait la colonie. En effet, selon ce dernier, la récession, principalement causée par le recul de la production du blé, aurait incité la bourgeoisie marchande à demander que des réformes soient entamées au niveau économique afin de faciliter le développement du capitalisme commercial. Or, ces valeurs marchandes ne pouvaient que se heurter aux valeurs canadiennes-françaises défendues par les députés de la Chambre d’assemblée, issus surtout de la petite bourgeoisie canadienne-française, d’où l’éclosion de vives tensions sociales entre ces deux groupes. En fait, selon Ouellet, la crainte qu’avaient les marchands de voir le contrôle politique passer entre les mains des professionnels canadiens-français était due à leur volonté d’assurer l’avenir économique de la colonie. Ainsi, même s’ils n’étaient pas totalement en accord avec « les menées de la clique fanatique, dont Ryland et Mountain étaient les leaders, […] ne pouvant plus commander une majorité à la Chambre d’assemblée, malgré leurs efforts sur le plan électoral, ils choisirent de s’appuyer sur les deux conseils ». (Ouellet, 1971 : 201) De plus, il considère que la difficile situation financière que connaissaient les professionnels durant cette période de crise économique les incita à trouver un autre moyen de rehausser leur prestige social, soit sur la scène politique qui devint le vecteur des idéaux de cette classe soucieuse de libéraliser le système politique au nom de la majorité.

En ce sens, Ouellet tout comme Wallot considèrent que ce conflit social fut doublé d’un conflit de nationalités opposant deux visions divergentes du monde. Les professions libérales, tout en prenant conscience de leur rôle social au sein de la colonie, prirent également conscience de « l’existence d’une nation canadienne ayant un passé propre, des traditions à sauvegarder et des objectifs particuliers à atteindre ». (Ouellet, 1971 : 209) À cette considération, Wallot ajoute que trois conditions essentielles à l’émergence d’un conflit ethnique étaient réunies dans le Bas-Canada depuis l’Acte constitutionnel de 1791, acte qui avait permis à l’élite canadienne-française de faire l’apprentissage du système parlementaire britannique et donc de participer plus activement à la vie politique du Bas-Canada. D’abord, il y avait bel et bien existence de deux groupes distincts, du moins Canadiens et Britanniques se considéraient comme étant deux groupes différents ne partageant pas les mêmes perceptions de la réalité. Ensuite, il y avait interaction entre ces deux groupes à divers niveaux, notamment aux niveaux politique, économique, social et religieux. Finalement, il y avait sur le plan de la hiérarchie sociale de réelles inégalités de chances quant à l’obtention de postes importants au sein de l’administration qui était fondée sur l’origine ethnique des individus : les Anglais se retrouvaient au sein des plus hautes instances (Conseil législatif et Conseil exécutif), là même où se prenaient les décisions pouvant influer sur le développement de la colonie, et les Canadiens-français se retrouvaient majoritaires au sein de la Chambre, votant des projets de loi qui pouvaient à tout moment être rejetés par la minorité dominante.

Cette situation fut d’ailleurs à maintes reprises décriée par Le Canadien qui, dès l’éclosion des débats concernant l’exclusion du député juif Ezekiel Hart et la question de l’inéligibilité des juges, lança des attaques cinglantes contre les « gens à place » du gouvernement. En effet, après les élections complémentaires d’avril 1807 qui avaient donné la victoire à Hart, Le Canadien du 18 avril de la même année, fit publier une lettre accusatrice où l’on reprochait au candidat juif d’avoir volé son siège de député de par sa fortune, voire même d’être responsable de la ruine de ses adversaires. Puis, lors de la campagne électorale qui fut déclenchée le 27 avril 1808 et qui laissa en suspend le projet de loi concernant l’inéligibilité des juges qui avait été proposé par Bourdages, Le Canadien du 7 mai 1808 dénonça vivement le cumul des charges en publiant la liste des sommes payées par le gouvernement tout en réclamant qu’une indemnité soit versée aux députés : « Ce sont les gens en place et les Anglais dans la Chambre qui s’opposent à cette modique allouance pour les membres ». (Le Canadien, 7 mai 1808 : 3) Par ailleurs, le juge de Bonne fut tout particulièrement attaqué dans cet article. Il n’est donc pas surprenant que lors des discussions concernant l’inéligibilité des juges, ce dernier alla jusqu’à accuser le fameux journal « d’avoir enfanté un projet de loi qui ne [visait] qu’à l’exclure de la Chambre ». (Lacoursière, 1996 : 100)

Or, une fois les résultats de l’élection connus ( une députation composée de 14 anglophones et de 36 francophones), les relations entre les députés du parti canadien et les tenants de ce que l’on pourrait nommé le parti gouvernemental, s’envenimèrent grandement. Ryland fit aussitôt part de ses remarques au gouverneur : « Il y a lieu d’appréhender que le temps approche rapidement où la Chambre d’assemblée du Bas-Canada deviendra un foyer de sédition et le rendez-vous des plus hardis démagogues de la province ». (Lacoursière, 1996 : 101) Pour résoudre le problème, il proposa donc d’établir de nouvelles circonscriptions électorales dans les Eastern Townships afin de freiner le fait français et catholique de surcroit au sein de la province. Durant cette même période, Jean-Antoine Panet, Pierre Bédard, Joseph-Louis Borgia, François Blanchet et Jean-Thomas Taschereau furent démis de leur poste de cadre des officiers au sein de la milice sous prétexte que le gouverneur

ne pouvait avoir aucune assurance dans les services d’un homme qu’il a bonne raison de croire l’un des propriétaires d’une feuille séditieuse et diffamatoire, qui se répand de tous côtés pour déprimer le gouvernement, exciter au mécontentement la population, et créer un esprit de discorde et d’animosité entre les deux éléments qui la composent. (Lacoursière, 1996 : 102)

Autrement dit, on rendait Le Canadien directement responsable du sort qui leur avait été réservé.

De plus, ce geste révélait un brusque changement d’attitude de la part du gouverneur que Wallot explique par plusieurs causes :

Le ton violent du Canadien et ses accusations contre l’Exécutif ont dû gifler le gouverneur : en militaire énergique, paternaliste, disciplinaire, il n’est pas homme à se croire visé sans riposter avec force. Malade et de tempérament aristocratique par surcroît, il dépend de son entourage pour ses contacts avec l’extérieur. Ces individus, tous du même parti, ont pu le suggestionner habilement. Ryland, en particulier […] qui avait prêché comme remède l’évangile du parti britannique […] de manière à assimiler et protestantiser les Canadiens. (Wallot, 1973 : 150-151)

Or, l’intervention du gouverneur, plutôt que de calmer les ardeurs, ne fit que les augmenter. La violence des propos tenus dans les journaux fut haussée d’un cran. Le Canadien se mit à dénoncer plus que jamais les abus de l’administration, à dénoncer les projets d’assimilation qui n’aboutiraient selon lui qu’à l’annexion avec les États-Unis, à vilipender les gens à place s’enrichissant grâce aux cumuls des charges lucratives et bloquant ainsi les possibilités de promotion aux Canadiens. Bref, le journal invitait la population à ne voter que pour des députés canadiens, véritables représentants de l’intérêt de la majorité.

Quant au Quebec Mercury, il répondit lui aussi avec ferveur aux attaques lancées par Le Canadien. Il se mit à critiquer allègrement la langue, les mœurs, la religion et l’éducation des Canadiens qui en faisaient pour la plupart des ignorants incapables d’assurer les progrès économiques de la colonie. On proposa l’assimilation pure et simple de la population pour mettre un frein aux conflits paralysant l’administration et bien sûr sous prétexte que cette assimilation serait favorable au peuple canadien, arriéré et inadapté au monde moderne. (Wallot, 1973 : 154) Ainsi, lorsque le gouverneur, convaincu que la majorité des députés souhaitaient s’opposer à son autorité, fit dissoudre la Chambre seulement un an après les élections, le conflit éclata de plus belle.

En effet, durant la campagne électorale, la compétition fut féroce. Le gouverneur croyait être en mesure d’obtenir le balayage de la plupart de ses opposants, alors que les membres du parti canadien s’étaient donné comme mission de convaincre la population qu’ils étaient les meilleurs pour représenter ses intérêts. Par ailleurs, un nouveau journal français, intitulé Le Vrai-Canadien, fut fondé durant cette campagne pour défendre le gouvernement et répondre aux coups portés par Le Canadien, ce qui n’empêcha pas pour autant ce dernier de jouer un rôle décisif durant la campagne. Dans bon nombre de ses éditions qui parurent entre juin et novembre 1809, il se mit à dépeindre les ministres comme de véritables profiteurs craignant la surveillance de la Chambre composée de représentants libres, à réclamer la responsabilité ministérielle, etc. (Wallot, 1973 : 153) Il fit même publier des extraits du « Bill of Rights » afin de dénoncer les interventions de l’Exécutif et des fonctionnaires dans les élections. Les résultats de cette élection témoignent que les efforts du Canadien ne furent pas menés en vain. La nouvelle Chambre été sensiblement la même qu’avant la prorogation avec seulement 14 Britanniques, au plus grand dam du gouvernement.

Or, à l’ouverture de la nouvelle session, Craig tenta d’adopter un discours plus modéré pour calmer l’atmosphère. Il promit de ratifier une loi décrétant l’inéligibilité des juges qui entrerait en vigueur cependant seulement à compter des prochaines élections, ce à quoi les députés répondirent en affirmant que le siège du juge de Bonne était désormais vacant. Ce geste inconstitutionnel mena une fois de plus à la dissolution de la Chambre, qui fut annoncée dans Le Canadien du 3 mars 1810, où l’on fit publier le discours du gouverneur qui invoquait la violation directe de l’Acte du Parlement impérial pour expliquer la dissolution. Le Quebec Mercury du 5 mars 1810 fit une description élogieuse de ce discours dans la mesure où la dissolution de la Chambre était devenue une nécessité face aux agissements ingrats des députés canadiens-français. (Quebec Mercury, 5 mars 1810 : 6-7) De plus dans son édition du 19 mars, le journal s’acharna sur leur esprit proprement démagogue voire même tyrannique. (Quebec Mercury, 19 mars 1810 : 6)

Quant au Canadien, il sut rapidement répliquer. Dans l’édition du 14 mars, on y dénonça la signature d’une pétition approuvant la dissolution de la Chambre où l’on pouvait lire que le bon sens des habitants les avait amenés à ce questionner sur la véritable nature de cette affaire : « depuis longues années nous voyons quelques-uns des hommes que l’on accuse aujourd’hui avoir défendu nos droits avec courage, irons-nous les croire tous gâtés en un jour; irons-nous leur préférer, sans les avoir entendus, ceux qui ont des sentiments opposés ». (Le Canadien, 14 mars 1810 : 1) Puis, le 15 mars, il parut de courts pamphlets où l’on s’adressait directement aux électeurs. Dans l’un d’entre eux, on y défendait la nécessité de préserver la Constitution qui permettait non seulement à la population d’élire une Chambre favorable à ses intérêts, mais qui empêchait également que le gouvernement ne vote des lois pouvant lui être désavantageuses. Dans un autre de ces pamphlets, on abordait la question de la liste civile : « Croyez que ce n’est pas le désir de ménager votre bourse qui les (les membres de l’Exécutif et les fonctionnaires) agite si fort, mais que c’est bien plutôt le désir d’en avoir le ménagement eux-mêmes, et d’être les maîtres d’augmenter la dépense tant qu’ils voudront ». (Le Canadien, 15 mars 1810 : 1-2) Le journal fit même publier une chanson, intitulée « La mort du Canadien », incitant le peuple à chasser les sinécures qui était payée à même ses taxes. (Le Canadien, 15 mars 1810 :1-2) Ce fut la goutte qui fit déborder le vase. Le 17 mars 1810, Craig fit saisir les presses du Canadien et emprisonner ses principaux propriétaires et distributeurs pour « pratiques traîtresses ». (Wallot, 1973 : 154) Il en profita aussi pour faire incarcérer les principaux chefs du parti canadien, parmi lesquels on retrouva bien évidemment Pierre Bédard. Ainsi, lorsque le gouverneur quitta la colonie en mars 1811, après avoir envoyé maintes lettres de recommandation à Londres pour régler le sort des Canadiens, il avait la certitude qu’il avait poser les bases susceptibles de mener à leur l’assimilation et donc à la création d’une colonie purement britannique.

En conclusion, il est donc possible de constater que la détermination et l’esprit proprement combattif du Canadien durant la période de crise que connut le Bas-Canada sous le gouvernement Craig, menèrent à sa mise en échec par sa fermeture. Cependant, sa persévérance mena également à une grande victoire, soit à la mise sur pied d’une Chambre d’assemblée dominée à très forte majorité par des Canadiens affichant une cohésion croissante dans leurs propos, à un déplacement des rapports de force par le contrôle du budget de la province et à l’abandon, du moins pour 30 ans, du rêve assimilationniste prôné par Ryland, Sewell et Mountain qui avaient proposé une panoplie de mesures (abolition du régime seigneurial, asservissement du clergé catholique, union des deux provinces, etc.) visant à corriger l’erreur de 1791 qui avait octroyé une Chambre d’assemblée au Bas-Canada peuplé majoritairement par des Canadiens et ainsi assurer la suprématie des Britanniques au sein de la colonie. En ce sens, nous pouvons donc affirmer comme Wallot que la crise sous Craig fut davantage la résultante d’un conflit ethnique opposant deux sociétés ayant des intérêts proprement divergents, en concurrence inégale pour l’obtention de postes d’influence au sein de l’administration et souhaitant chacune prendre la direction de leur agir collectif pour imposer leur vision du monde au sein de la colonie, que la résultante de troubles économiques et sociaux conjoncturels comme le laisse entendre Ouellet, bien qu’il admette l’existence d’un conflit des nationalités.

Jessica Riggi

BIBLIOGRAPHIE

LACOURSIÈRE, Jacques, Histoire populaire du Québec de 1791 à 1841, Québec, Septentrion, 1996, 447 p.

OUELLET, Fernand, Histoire économique et sociale du Québec de 1760 à 1850, tome 1, Montréal, Fides, 1971, 289 p.

WALLOT, Jean-Pierre, Un Québec qui bougeait, Montréal, Boréal express, 1973, 345 p.

Le Canadien, 18 avril 1807; Le Canadien, 7 mai 1808; Le Canadien, 3 mars 1810; Le Canadien, 14 mars 1810; « À tous les électeurs du Bas-Canada », Le Canadien, 15 mars 1810; « À tous les électeurs du Bas-Canada », Le Canadien, 15 mars 1810; « Chanson sur la mort du Canadien », Le Canadien, 15 mars 1810; Quebec Mercury, 5 mars 1810; Quebec Mercury, 19 mars 1810.

 

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