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Les Patriotes de 1837@1838 - L'art dramatique selon Félix Poutré
 ANALYSE 
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L'art dramatique selon Félix Poutré
Article diffusé depuis le 2 janvier 2012
 




L’Affaire Félix Poutré est loin d’être simple. L’homme mythifié pour ses prouesses de duperie envers les bourreaux anglais de 1838-1839 élève au sommet du paradoxe l’élan de patriotisme qu’il aura su soulever. Si l’annonce de sa traitrise atteint officiellement la place publique dans les débuts du XXe siècle, son histoire n’en demeure pas moins romanesque et nébuleuse, autant par l’élaboration de son récit que par les circonstances entourant la fiction et la réalité des faits.

Le récit du personnage débute le 3 novembre 1838 alors que, travaillant sur la terre paternelle, Poutré reçoit la visite personnelle de nul autre qu’Octave Côté et son ami Robert Nelson (Poutré, 1968 : 7-8). Voilà que le dirigeant patriote et le futur Président de la République du Bas-Canada se dirigent à travers les champs pour exhorter l’aide de Félix Poutré, paysan illettré de 21 ans. Ce dernier se voit chargé d’organiser des comités et de collecter des fonds pour acheter des armes (Poutré, 1968 : 10). Après avoir porté serment devant les deux chefs, Poutré fait du recrutement pour la cause patriote puis prend part en tant que dirigeant à la bataille d’Odelltown, qu’il fait durer deux jours. Ensuite on l’envoie à Lacolle pour chercher des armes que l’on sait ne pas y être. Poutré accuse donc ses chefs de trahison, retourne chez son père à Saint-Jean et se cache dans les bois pendant deux semaines. À la fin novembre, il se livre aux autorités afin de sauver les propriétés paternelles, menacées d’incendie. Par cet acte de bravoure, Poutré se fait prisonnier et va rejoindre ses frères d’armes au Pied-du-Courant, où il simulera la folie par différents actes et fausses attaques épileptiques des plus rocambolesques. Ses nombreuses mises en scène lui vaudront la libération quelques mois plus tard.

La popularité que connaîtra le récit de Félix Poutré auprès des masses populaires trouve peu d’équivalents chez les autres héros de cette période. Son petit récit, publié en 1862, soit 24 ans après sa libération, s’inscrit dans la littérature canadienne-française comme un succès sans précédent. Rééditée à une dizaine de reprises, traduite en anglais et publiée sous forme de feuilleton dans les journaux, l’histoire du patriote qui berna les Anglais fera vite le tour des chaumières du pays. Mais c’est sans aucun doute le drame en trois actes que lui consacre le jeune Louis Fréchette qui aura contribué d’autant plus à alimenter le mythe. Dans un mélange de patriotisme flamboyant et d’incidents drolatique, la pièce soulevait les applaudissement des spectateurs (Lanctôt, 1948 : 207). Poutré lui-même s’y rendait souvent pour récolter les acclamations du public et par le fait même, pour y vendre des brochures dans lesquels se trouvaient quelques moments inusités de son histoire et quelconque autre inventions de son cru. Il convient de remarquer qu’une fois éditée, la pièce de Fréchette est enregistrée non pas à son nom, mais à celui de Félix Poutré et Compagnie. L’ex-patriote et l’éditeur s’en appropriaient donc les droits d’auteur aux dépens de Fréchette qui, de toute façon, « ne se souciait guère d’afficher la paternité de ce drame populacier d’aucune valeur » (Lanctôt, 1948 : 207-208). Peut-être était-il au courant de la véritable histoire? Toujours est-il que cela n’empêchera pas Poutré de se plaindre de la violation du droit d’auteur dans une lettre ouverte de 1879, et ce, au nom de l’art dramatique! (La Minerve, 5 juin 1879) Par la suite, Félix Poutré parcourra les villages du Bas-Canada et différentes villes de la Nouvelle-Angleterre pour y donner des conférences sur les événements de 1837-1838. Ses récits lui rapporteront des sommes d’argent qui, disait-on, « n’étaient pas considérables, mais [qui] étaient suffisantes pour les besoins modestes du vieux Patriote » (La Patrie, 23 janvier 1885).

En 1913, le voile est levé. Gustave Lanctôt publie un article dans lequel il présente au public les documents officiels témoignant de la traitrise de Félix Poutré, mort déjà depuis 28 ans. En effet, attaché à la police pour des fins secrètes, Poutré s’était glissé en 1839 et 1840 parmi les milieux patriotes en exile aux États-Unis afin d’y espionner pour le compte du gouvernement (Collin, 2003 : 21). Le récit du héros n’était alors qu’un tissu de mensonges. Benjamin Sulte en avait fait le sujet d’un poème en 1898, mais faute d’explication et de développement, celui-ci n’eut aucun impact. Or selon Lanctôt, les affirmations de Félix Poutré entrent en parfaite contradiction avec ce que révèlent d’autres sources, notamment le registre de la prison et le propre témoignage de Poutré à la police, dans lequel il affirme que Lucien Gagnon lui avait fait porter serment de force (Poutré, 1968 : iii). Il dira aussi avoir voulu capturer Robert Nelson, alors que son récit lui accorde un parfait dévouement. De plus, non seulement Poutré aurait été délateur, mais il n’aurait jamais joué de rôle important dans aucune bataille, tel qu’il le raconte. Dans une autre déposition, il avouera avoir déserté le camp de Napierville à deux reprises (Lanctôt, 1948 : 216).

L’histoire de sa sortie de prison demeure non moins nébuleuse. Bien entendu, dans son récit, Poutré dira avoir réussi à sortir en feignant la folie : « Il faut absolument que ce pauvre homme-là sorte d’ici » dira un geôlier complètement désarçonné (Poutré, 1968 : 62). Or d’après Lanctôt, ce serait plutôt l’échec d’espionnage qu’aurait connu Poutré auprès des chefs patriotes qui l’aurait poussé à réclamer son départ, bredouille d’information. Ainsi, ce « simple garçon de ferme [aurait essayé] de faire causer des gens trop intelligents pour se prendre à ses gros pièges de campagnard finaud (Lanctôt, 1948 : 218). Vu les circonstances, le Dr Arnoldi, médecin de la prison, lui aurait alors suggéré de simuler la folie.

Après son incarcération, entre 1840 et 1850, Félix Poutré fait le commerce des foins dans les campagnes, où le récit de ses jérémiades aurait débuté : « il continua […] à l’utiliser dans ses relations et dans le monde de ses clients » (Lanctôt, 1948 : 218). Voyant le succès assuré de son histoire, Poutré verra toute la pertinence d’une publication. Toutefois, étant donné son illettrisme, il en confiera la rédaction à Médéric Lanctôt, jeune avocat de 23 ans, qui fondera plus tard un journal nommé La Presse (rien à voir avec son homonyme). Or le style élaboré de Souvenir d’un prisonnier montre très bien la plume de Lanctôt qui romance le tout, notamment par un bon nombre de parties dialoguées. Mais selon Marc Collin, il est fort possible que Poutré, qui récitait probablement les faits à Lancôt pour la rédaction, ait eu le temps à souhait de romancer son récit dans les faits, à défaut de le faire dans le style et la forme. En ce sens, étant donné que le récit oral, comparativement à l’écrit, ne repose que sur la mémoire du conteur, il devient ainsi un éternel recommencement qui comporte des variantes, des ajouts et des suppressions (Collin, 2003 : 38). Le récit s’adapte donc au goût du public auquel il s’adresse. Ce qui fait que, 24 années plus tard, Poutré aura eu tout le temps nécessaire à l’élaboration d’une bonne histoire, ou d’un bon roman. Mais comment se fait-il que, pour la rédaction de son récit, Félix Poutré ait choisi Médéric Lanctôt, fils d’Hyppolyte Lanctôt, Patriote et vétéran de la bataille d’Odelltown? Ce choix s’incérerait-il dans son amour pour l’art dramatique? Bien des hypothèses restent sur la glace.

Le casse-tête toujours inachevé, bien des faits entourant le récit et sa conception demeurent sans explication valable et ne mènent, somme toute, qu’à l’interprétation. Or en reconsidérant certains éléments de l’affaire Félix Poutré, en repensant au patriotisme qu’une pièce basée sur des supercheries a pu soulever, il est encore légitime de se dire que, bien souvent, la réalité dépasse la fiction.

Yoan Lavoie

Bibliographie

COLLIN, Marc, Mensonges et vérités dans les Souvenirs de Félix Poutré, Les cahiers du Septentrion, 2003, 245 p.

LANCTÔT, Gustave, Faussaires et fausseté en histoire canadienne, Les éditions

Variétés, 1948, 224 p.

POUTRÉ, Félix, Échappé de la potence, Souvenir d’un prisonnier d’État canadien en 1838, Réédition-Québec, 1968, 70 p.

La Minerve, 5 juin 1879; La Patrie, 23 janvier 1885;

 

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