DEBAT        L�h�ritage sans testament des Rebelles de 1837 Article diffus� depuis le 26 mai 2011

Par Marc-Andr� Cyr �tudiant au doctorat en science politique, UQAM Les comm�morations entourant la Journ�e nationale des patriotes se sont fait on ne peut plus discr�tes cette ann�e. Les martyrs et les h�ros constituent pourtant le butin de guerre culturel, l�h�ritage symbolique permettant � l��lite de perp�tuer son h�g�monie id�ologique. Tous les grands �pisodes historiques participent ainsi � ce que le penseur Walter Benjamin appelle le � cort�ge triomphal � des vainqueurs. Ce cort�ge d��lite est charg� de ces � grands hommes � de pouvoir qui ont marqu� notre � grande histoire �, mais �galement de quelques martyrs, victimes d�une autre �poque dont nous sommes heureusement sortis. Les Patriotes sont une pi�ce de l�h�ritage symbolique de l��lite qu�b�coise. � l�entendre �lorsqu�elle ne parle pas des Patriotes en termes strictement n�gatif, comme l�a fait Benoit Pelletier dans La Presse cette semaine � ces martyrs se seraient battus pour b�tir � notre � soci�t�. Ils auraient �t� des pr�curseurs de la lutte pour la souverainet� du Qu�bec, des pr�curseurs de � notre � d�mocratie et de � nos � droits constitutionnels; bref, ils auraient �t� � et c�est � peu pr�s le seul crime que l�histoire officielle pardonne � en � avance sur leur temps �. Enfermer le pass� Or, comme le rappelle le penseur John Holloway, en consid�rant le pass� comme la pr�histoire du pr�sent, on le purge de toute la n�gativit� et de l�utopie dont il est pourtant travers�. L�histoire est ainsi pr�sent�e sous le mode de l�indicatif, comme un processus relatant ce-qui-�tait sans consid�rer le mode du subjonctif, du possible, de l�incertitude, bref, de ce-qui-aurait-pu-�tre. L�histoire perd de ce fait toute alt�rit�. Cette t�l�ologie fait violence au pass� en l�enfermant dans les fronti�res de notre pr�sent, mais �galement au futur qui, ainsi purg�e de critique et d�utopie, peut d�sormais �tre consid�r� comme le prolongement d�un processus � la trajectoire pr�d�termin�e. Or, le mouvement patriote �tait un mouvement r�volutionnaire qui ne trouve son prolongement en aucune des familles politiques dominant actuellement l�espace public. Les R�volutionnaires de 1837 ne se battaient pas pour l�av�nement de la � d�mocratie � telle qu�on la connait maintenant � ce mot est d�ailleurs � peu pr�s absents de leur discours �, mais bien pour l�av�nement d�une autre soci�t� qui n�a jamais vu le jour et qui fut r�prim� dans le sang. Nier la radicalit� D�s le d�but des ann�es 1830, la radicalit� du mouvement se manifeste par de sanglantes �meutes (qui se font parfois � coups de fusils, de couteaux et de b�tons clout�s), par des attaques contre des manoirs, des actions directes contre � clique des bureaucrates �, des charivaris, des assembl�es publiques, des escarmouches contre les troubles anglaises, etc. Ces modes d�action ne sont pas ceux privil�gi�s par les patriotes mod�r�s. D�s 1837, l�aile r�formiste du mouvement en fuite aux �tats-Unis tente d�sesp�r�ment de favoriser un r�glement diplomatique ou attend, plus simplement, que la temp�te passe. C�est le cas de Papineau lui-m�me, ce qui lui voudra le titre peu honorable de � Grand chef � ou de � Num�ro 1 � de la part des radicaux fomentant, au m�me moment, le deuxi�me soul�vement arm�. Certains lui reprochaient depuis longtemps ses positions conservatrices et sa d�fense de la tenure seigneuriale, on parle d�sormais de lui comme d�un homme d�shonorable. Afin de lever son verre � la m�moire des Patriotes, notre �lite lib�rale, conservatrice ou souverainiste doit donc pr�alablement �purer le mouvement rebelle de ses composantes radicales et violentes. Ce r�alignement du pass� sur le pr�sent serait toutefois incomplet s�il ne se prolongeait sur le terrain de l�identit�, qui est, elle-aussi, incompatible avec la conception �litiste actuelle de la Nation. Nier les identit�s Paradoxe pour les nationalistes actuels: ce n�est pas l�appartenance � un pass� commun qui fonde l�identit� canadienne de l��poque, mais bien l�appartenance � un projet futur. Pour les Rebelles, l�ennemi n�est pas � Anglais � � nombre de ceux-ci se joignent d�ailleurs � leur lutte �, mais bien la � clique du ch�teau � ou encore les � bureaucrates � � la solde du statu quo. Plus encore, c�est souvent l�ennemi qui accuse les Patriotes d�avoir dans leur rang des �trangers, ce � quoi les R�publicains r�pliquent que le terme de Canadien inclut � tous ceux qui font cause commune � pour la patrie. Loin de la nation abstraite et sans contenu de la th�se lib�rale contemporaine tout autant que de la d�finition culturelle et ethnique propre � l�id�ologie conservatrice, les Patriotes, encore une fois, portaient une part de critique et d�utopie irr�ductible � l�id�ologie de notre �lite contemporaine. C�est donc � tort que celle-ci, souverainiste ou non, confortablement lov�e dans le confort du statut quo, se permet de c�l�brer l�h�ritage des patriotes. � notre �re de conservatisme et de rectitude politique, m�me la frange mod�r�e de ce mouvement historique passerait pour � extr�miste �. Quant � l�aile radicale, celle qui tenta de renverser l�ordre �tabli et de refonder la soci�t� sur de nouvelles bases, ses volont�s de transformer la soci�t� furent �cras�es dans le sang. Cette tentative d��mancipation participe � cette historique n�gation de la domination et de l�exploitation, c�est contre elle que furent dirig�e les centaines d�arrestations, les villages incendi�s, les assassinats, les pendaisons et les dizaines de d�portations. Et comme ceux et celles qui d�sirent une transformation radicale du monde n�ont d�sormais plus voix au chapitre dans l�espace public, l�h�ritage des patriotes reste pr�sentement sans testament. Il git toujours, comme les vaincus d�aujourd�hui, sous le cort�ge triomphal des vainqueurs.

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